Yvon Malette, Marcher vers le matin, essai, Ottawa, Éditions David, 2024, 256 pages, 19,95 $.
La sagesse d’Yvon Malette
Professeur de littérature pendant plus de trente ans à Ottawa et
en Outaouais, puis fondateur
des Éditions David, Yvon Malette
a réuni 35 courts textes incisifs
issus de réflexions, lectures et anecdotes. Cela donne le recueil
Marcher vers le matin.
L’auteur fait confiance aux mots, les écoute, avance avec eux… Sans le prie-Dieu (titre de la première partie du recueil), pour mieux comprendre la Situation et avenir du Franco-Ontarien (deuxième partie) et pour mieux mesurer l’Influence du politique sur nos vies (troisième partie).
Malette écrit qu’il n’est nullement croyant : « je ne crois en aucune religion et j’abhorre l’extrémisme religieux ». Pour lui, la spiritualité est trop souvent associée à un cléricalisme malsain qui risque « de créer une dépendance et de mener à un esprit
de soumission quasi aveugle ».
Il croit cependant en une prière qui peut nous rendre solidaires des autres, qui permet de « croire en l’homme et en l’humanisme, sans la religion et sans Dieu ». C’est ce qu’il appelle une soif de spiritualité.
Parmi les anecdotes relatées, on apprend qu’à 14 ans Yvon n’a pas hésité à assener
un coup de poing à l’aumônier pédophile
de la troupe scoute de la paroisse, créant
un scandale comme on peut l’imaginer
en 1957.
Yvon Malette écrit qu’il a ressenti très tôt
le besoin de se prouver qu’il n’était pas né pour un petit pain (contrairement à l’enseignement de l’Église), qu’il avait
le droit de prendre la parole. Lorsqu’il
fonde les Éditions David en 1993, c’est pour permettre aux siens de prendre aussi
la parole, de revendiquer leurs droits à
un territoire, à une culture, à une langue.
Avec 17 textes sur 35, la première partie
est la plus longue. Elle renferme plusieurs références littéraires. Il est fait mention du Journal d’un curé de campagne (Georges Bernanos), de Bouvard et Pécuchet (Gustave Flaubert), de La peste (Albert Camus), de
Ces enfants de ma vie et De quoi t’ennuies-tu, Évelyne ? (Gabrielle Roy), pour n’en citer que quelques-uns.
Dans la deuxième partie sur Situation et avenir du Franco-Ontarien, on peut lire une critique acerbe de l’Université de l’Ontario français. Elle n’est jamais mentionnée comme telle; on parle du « projet farfelu d’une université francophone en Ontario ». Malette estime que ce projet n’est pas viable,
« c’est une chimère, un bien triste mirage ».
Après une longue et pertinente analyse de l’Affaire Lieutenant-Duval sur le mot en N prononcé dans un cours à l’Université d’Ottawa en 2020, Malette donne son avis sur le résultat de l’enquête menée à l’interne et sur la recommandation d’un très bref rapport.
Il écrit que si l’Université d’Ottawa « a jugé sage de créer des cours de rééducation en matière de racisme, elle aurait aussi eu intérêt à proposer un pareil cours de rééducation, cette fois pour ceux et celles qui sont fautifs en matière linguistique. »
Dans le Mot de la fin, l’auteur fait remarquer que les jeunes nés dans des familles d’expression française en Ontario s’identifient de plus en plus non pas comme Franco-Ontariens mais comme bilingues. « La paroisse, l’école et la famille, ces piliers d’autrefois souvent associés à des forces identitaires, ne présentent plus les mêmes remparts contre l’assimilation », note-t-il.
Nos institutions secondaires et postsecondaires ne parviennent pas à freiner cette perte d’identité. Au point où Malette se demande « si le bilinguisme institutionnel n’a pas ouvert la voie à l’assimilation, comme le démontre
tristement la situation présente à l’Université Laurentienne et celle, fort inquiétante, à mon alma mater, l’Université d’Ottawa. »
Vincent Francœur, Tu y connais quoi, toi,
à l’amour ? roman, Ottawa, Éditions David, coll. Indociles, 2024, 488 pages, 26,95 $.
Ces hommes
qui aiment les hommes
Psychothérapeute vivant à Toronto, Vincent Francœur raconte des histoires qu’il aurait aimé lire lui-même lorsqu’il était jeune adulte.
Il peint avec brio un Montréal de sexe passionné, d’amant secret et d’infidélité dans un premier roman intitulé Tu y connais quoi, toi,
à l’amour ?
L’action se déroule dans la métropole québécoise entre le 1er juin et le 24 décembre 2004, plus un épilogue le 20 mai 2005. À une ou deux exceptions près, tous les personnages sont des homosexuels ou des lesbiennes.
Le narrateur Justin, 21 ans, est un danseur nu dans le Village gay. Son corps attire les hommes, mais une petite voix intérieure lui dit que « sa personnalité n’est pas assez attrayante pour les garder ». Il n’arrive pas
à demeurer en couple plus de trois mois.
Éric, 21 ans, est le colocataire et meilleur ami de Justin. Il veut tellement être en amour qu’il accepte de faire des sacrifices pour plaire à Marc, un homme quatorze
ans plus vieux que lui, un mec jaloux qui
le plonge dans une relation toxique, qui pique une crise dès qu’Éric sors dans
un bar sans lui.
Quand Justin met en garde son meilleur
ami contre le contrôle que Marc exerce sur lui, il lance que « ça ne devrait pas être comme ça, l’amour ». Ce à quoi Éric répond : « Tu y connais quoi, toi,
à l’amour ? » Le titre du roman est trouvé.
Justin s’inscrit au Cégep du Vieux-Montréal et suit un cours de français offert par Frédéric, un prof à la veille de marier
un jeune homme. C’est le coup de foudre.
Ce prof le fait sentir comme aucun homme ne l’a jamais fait sentir. Le roman illustre avec brio comment Justin est tour à tour « plus heureux et plus triste, plus libre et plus pris au piège, plus vivant et plus
étouffé que jamais ».
Les rebondissements abondent dans cette fiction sentimentale et sexuelle. On voit Justin mentir à tout le monde qu’il aime pour être l’amant d’un homme déjà en couple. Il va récolter, bien entendu,
les conséquences de ses actions.
Le danseur nu couche avec un homme fiancé tout en utilisant un autre homme
très attentionné pour se faire sentir moins seul et moins coupable. Ce que Justin a envie de vivre avec un autre homme est « de l’excitation, un sentiment électrique, être incapable d’arrêter de sourire, de
penser à lui ».
Curieusement, Justin n’hésite pas à affirmer que son métier de danseur nu lui a beaucoup appris sur lui-même, sur son corps et sur sa sexualité Le romancier multiplie les occasions illustrant ce type particulier d’apprentissage.
Vincent Francœur décrit le Village gay comme « un lieu où l’on peut être qui on veut sans avoir peur, [où] on trouve une communauté accueillante dans un monde trop souvent hostile ». C’est aussi un milieu où la meilleure façon d’oublier un gars,
c’est d’en rencontrer un autre. Les occasions ne manquent pas, loin de là!
Il se boit une quantité phénoménale d’alcool dans ce roman. Quand Justin dit qu’il a besoin d’une bière, il en cale souvent cinq. Avec quelques amis, il passe une soirée
« à boire un verre à chacun des bars que nous croisons ».
Tu y connais quoi, toi, à l’amour ? dissèque et analyse finement la queeritude pour conclure que ce qui demeure le plus important, c’est l’envie de nous perdre
dans le monde imaginaire de nos désirs.
Jean-Philippe Bernié, Tu ne mentiras point, roman, Montréal, Les Éditions Glénat Québec, 2024, 200 pages, 24,95 $.
L’arbre de l’amour cache
la forêt de la fraude
Derrière les hauts murs d’un collège privé se tisse un réseau de mensonges, de trahisons et d’escroqueries que Jean-Philippe Bernié décrit en fin limier dans
le roman Tu ne mentiras point.
Il se cache surtout une histoire d’amour impossible.
L’action se déroule dans le Collège Saint-Jacques, au beau milieu des lacs et forêts
au nord d’Ottawa. Depuis plus d’un siècle,
la vénérable institution a formé des hauts fonctionnaires, des ambassadeurs,
des ministres et même quelques premiers ministres.
Le personnage principal est Claire Lanriel, nouvellement embauchée au poste de responsable des relations gouvernementales et des affaires publiques. Elle remplace
une femme qui a mis en place un système permettant à des fils à papas d’entrer à Saint-Jacques en évitant les aléas du concours d’admission, moyennant
un paiement sous la table.
Dans ce roman, lorsqu’on cherche à gagner du temps, on prépare un mauvais coup. Claire Lanriel veut agir rapidement et l’auteur la place en interaction corsée avec le directeur de Saint-Jacques et son épouse, avec le directeur des études et avec divers profs.
L’enquête sur l’escroquerie du concours d’admission est loin d’être le plus intéressant dans Tu ne mentiras point. Ce qui demeure passionnant concerne la relation de deux garçons de 17 ans : Louis-Philippe et Laurent. Le second est certain d’avoir été admis frauduleusement.
Louis-Philippe rêve d’une amitié particulière, pour reprendre l’expression de Roger Peyrefitte. Il s’entiche de Laurent qui a une blonde, mais se dit que ce n’est possible que son confrère soit hétéro à 100 %.
« S’il était complètement hétéro, cela voudrait dire qu’il ne se passerait jamais rien entre eux, et s’il ne devait rien se passer entre eux, Louis-Philippe ne pourrait pas continuer à vivre. Tout simplement. »
Louis-Philippe panique totalement à l’idée de tenter quelque chose pour séduire Laurent. Depuis sa première rencontre,
il est incapable de penser à quoi que ce
soit d’autre que le bel ado. Il a envie de
le toucher et rêve que Laurent le touche.
Il ne sait pas s’il est possible que cela arrive. Il ne sait pas comment faire pour que cela arrive.
« Il ne savait pas comment il pourrait continuer à vivre si cela n’arrivait pas. C’était terrible, savoir exactement ce qu’on voulait et en même temps se sentir complètement perdu. »
Laurent apprécie l’intelligence de Louis-Philippe qui fait les devoirs de mathématiques en moins de temps que
les autres. Il le trouve brillant. Si Louis-Philippe est bon avec les chiffres, il n’en va pas de même avec les paroles. « Ses mots étaient maladroits, il le savait, mais il était incapable de vraiment exprimer ses émotions. »
Louis-Philippe voudrait que Laurent
le trouve beau, que Laurent lui dise qu’il a envie de le toucher, de l’embrasser. Je ne vous dirai pas si cela arrive. Je soulignerai tout simplement que Louis-Philippe ne peut pas imaginer ce que sa vie aurait pu être
s’il n’avait pas rencontré Laurent, « partie essentielle de son existence, partie centrale, partie vitale ».
Plusieurs romans décrivent des protago-nistes qui ont l’impression de vivre vraiment et pleinement lorsque l’être cher entre dans leur vie. Jean-Philippe Bernié va plus loin en peignant la douleur qui vient avec.
Hervé Gagnon, Susan, tome 7 de la série
Les enquêtes de Joseph Laflamme, roman, Montréal, Éditions Glénat Québec, coll. Hugo, 2024, 416 pages, 32,95 $.
Ferveur religieuse
et folie meurtrière
Prostituées au visage aspergé d’acide, sermons enflammés ponctués de menaces, croisade contre les francs-maçons, assassinat, auto-pendaison, auto-égorgement, voilà le Montréal de 1895 que décrit Hervé Gagnon dans Susan, une nouvelle enquête
du journaliste Joseph Laflamme.
Je vous ai déjà parlé des enquêtes Maria
et Adolphus. La Susan du titre, ici, est une prostituée qui a été décapitée une quinzaine d’année plus tôt et dont le fantôme terrorise un quartier de Montréal. Le vicaire
dénonce ladite Susan « qui entraînait
les hommes honnêtes dans le stupre et
la concupiscence ».
Les sermons de l’abbé Pierre-Adélard Breton attaquent surtout les francs-maçons, société dont un catholique ne peut en joindre
les rangs sans risquer le salut de son âme.
Il prêche « sans gêne et avec force artifices oratoires » contre ces hommes qui aident depuis plus de cent trente ans le conquérant anglais à maintenir la nation canadienne-française sous sa botte.
La loge montréalaise des francs-maçons
se réjouit des attaques du vicaire Breton. Elles sont une véritable bénédiction pour eux car ce vicaire « excite les foules
d’une façon qui nous convient et braque toute l’attention sur notre œuvre. La cause avancera plus rapidement grâce à lui. »
Sous la plume de Joseph Laflamme,
le prédicateur, les fidèles, le Département
de police, l’évêché et la loge des francs-maçons en prennent pour leur rhume.
Sa plume plus forte que l’épée réjouit
le journal La Patrie (dirigé par un franc-maçon).
Les rituels des membres de la loge des francs-maçons, tout comme leurs meurtres, sont toujours accompagnés de références
à des citations de la Bible : Psaume 37; Maccabées 7, 36; Job, 3, 17; Exode, 32, 34.
Côté religion, l’auteur y va de quelques remarques… erronées. Il dit que le vicaire endosse surplis et chasuble pour dire
la messe (le surplis n’a pas sa place ici).
En latin, la messe commence par Introibo
ad altare Dei et non par le charabia que Gagnon écrit.
Laflamme mène son enquête avec l’appui indispensable d’un ancien de Scotland Yard qui s’exprime souvent dans sa langue maternelle (avec traduction en bas de page). Il fait cette savoureuse comparaison :
« He’s as nervous as a long-tailed cat in
a room full of rocking chairs. »
Le journaliste Laflamme n’est pas connu pour lancer des jurons, mais lorsqu’il est provoqué outre mesure, voici ce que ça donne : « Sacrement de maudit tabarnac de bout de câlisse de crisse de saint-chrême
de baptême de ciboire de viarge ! »
Le vicaire Breton est un des principaux personnages du roman Susan. Hervé Gagnon décrit fort bien comment la prédication
est un art, une forme de théâtre. Pour être efficace et avoir de la portée, elle doit avoir recours à des effets spéciaux. Cela permet d’exciter la foi des fidèles et de « raviver
la ferveur d’une nation qui se flétrit lentement dans un pays protestant qui ne parle pas sa langue ».
Le romancier illustre aussi comment
la frontière entre la ferveur religieuse et
la folie demeure parfois assez mince.
Les manifestations encouragées par
un prédicateur peuvent faire dérailler et tourner à l’émeute. Et un sermon peut être complice d’un meurtre.
Micheline Marchand et Daniel Marchildon, L’étonnant cas de Nico, roman, Ottawa, Éditions David, coll 14/18, 256 pages, 18,95 $.
Fenêtre sur la vie
après la mort
Partageant un vif intérêt pour l’histoire et le patrimoine de
la Huronie, leur lieu d’origine, Micheline Marchand et Daniel Marchildon nous offrent L’étonnant cas de Nico, un roman jeunesse
sur la vie que mènent les trépassés, les fantômes. Ces derniers ne reposent pas tous en paix, loin de là.
L’histoire et le patrimoine occupent une large place dans l’histoire concoctée à quatre mains. Le fil conducteur est comme le signet dans un atlas de nos parcs nationaux, hauts lieux de commémoration.
Le personnage principal s’appelle Nico Longlade, 17 ans, un Métis des Grands Lacs habitant à Penetanguishene. Sa conduite irréfléchie d’une voiture empruntée sans permission s’avère fatale. Il se présente non pas devant saint Pierre, mais devant trois juges qui « le toisent du sommet d’un rocher » pour lui imposer une étrange sentence.
Le juge masculin est Gabriel Dumont et une des juges féminines est Rose-Délima, grand-mère de Nico. Avant de pouvoir accéder
à sa prochaine vie, Nico doit « réussir trois bonnes actions auprès des mortels dans
des parcs et des lieux historiques nationaux de Parcs Canada ».
À bien y réfléchir, je n’ai pas trouvé cette sentence trop étrange car le premier roman de Daniel Marchildon s’intitule Le secret de l’île Beausoleil, lieu qui fait partie du parc national des Îles-de-la-Baie-Georgienne. Quant à Micheline Marchand, également d’origine métisse, elle a signé Perdue au bord de la baie d’Hudson, non loin du parc national Wapusk au nord du Manitoba.
Avec Gabriel Dumont comme membre du tribunal, il ne faut pas s’étonner de voir
Nico se rendre en Saskatchewan, au lieu historique national de Batoche. Il en apprendra évidemment plus sur les Métis, mais aussi au sujet des bisons.
On apprend qu’au XIXe siècle, il y avait trente millions de bisons sur le continent. Lorsque Dumont est mort en 1906, il n’y en avait presque plus suite à une chasse qui a frôlé l’extinction. Selon une prophétie de Dumont, « quand les bisons reviendront,
la culture métisse renaîtra aussi ».
D’autres endroits explorés par Nico incluent le lieu historique national de La Fourche (Winnipeg), le parc national de Prince Albert, le parc national de la Rouge et le parc national de la Péninsule-Bruce, reconnu pour ses hautes falaises en dolomite gris-blanc (où l’attend sa grand-mère).
Lorsque Nico arpente l’île Beausoleil,
il rencontre un massasauga, une sorte de serpent à sonnette protégé dans ce parc.
De nature timide, le massasauga est
« la seule espèce venimeuse à habiter l’Ontario ».
Nico se rend dans le parc urbain national
de la Rouge, situé dans le Grand Toronto.
Un des plus grands d’Amérique du Nord,
ce parc urbain regorge d’un riche assemblage de forêts, ruisseaux, fermes, sentiers, marais et plages.
Nico ne s’intéresse pas aux 10 000 ans d’histoire du parc, ni à son environnement spectaculaire; il recherche le corps de
sa guide Angélique. Leur relation donne lieu à des échanges de grande tristesse et de profonde compassion.
En plus d’être une excursion dans un monde brumeux, L’étonnant cas de Nico entre dans le genre du roman didactique.
À titre d’exemple, il décrit l’homme d’affaires et éleveur François-Xavier Letendre
(c. 1841-1901) qui fait partie de la dernière génération de Métis, dits « gens libres » dans l’Ouest canadien.
J’ai trouvé que certains passages semblaient avoir été copiés directement de pages Internet ou de prospectus. Le dosage renseignements-rebondissements n’est
pas toujours équilibré.
Vic Verdier, Faces de bœufs, roman, Lévis, Éditions Alire, 2024, 334 pages, 27,95 $.
Des bœufs dans la mire
de l’abattoir
L’été 2019 s’annonce chaud à Montréal. Une enquête du service
de police et une série de morts
ont des parallèles avec le vol
d’une lithographie de Picasso. Voilà le merdier dans lequel Vic Verdier nous plonge avec Faces de bœufs.
Vic Verdier est le pseudonyme de Simon-Pierre Pouliot. C’est aussi le nom du principal sergent-détective de ce polar.
Lui et Jesssy Di Filipo, sa partenaire de patrouille, envisagent de fonder une famille.
Vic enquête sur des tableaux volés; Jessy
est agente de liaison auprès d’une compagnie qui pilote un projet visant à équiper tous les policiers de Montréal
d’une caméra corporelle. Leurs parcours se croiseront… comme les animaux sur la ferme. En France, un policier est un poulet, ici,
c’est un bœuf. À chacun son patrimoine agricole.
Le style de l’auteur est très coloré : « excité comme un p’tit gars lâché lousse à
La Ronde…, son bras broyé ressemblait à du pâté chinois avec du ketchup…, une face qui a l’air d’une compote à la rhubarbe ». L’auteur aime les préparations culinaires; selon Vic Verdier, les deux hommes battus à mort ressemblent à « des pièces de viande passées à l’attendrisseur ».
Parlant style, on a droit à plusieurs fuck et shit, sans parler de calvince de tabaslak.
Le franglais et l’anglais carrément sont aussi assez courants; Verdier écrit : « Les ordres, c’était de jump la personne et get the fuck out. […] T’es vraiment une piece of shit, you know ? Ton buddy killed a cop. »
En lisant Faces de bœufs, j’ai appris qu’un Sam Brown est le nom de la ceinture
sur laquelle les policiers accrochent leur équipement. Quant au Fall in, cela désigne
la réunion de toute l’équipe avant le début du quart de travail.
La référence aux bœufs dans le titre du roman n’est pas sans conséquences.
Les couilles, les oreilles et la queue d’un taureau se retrouvent sur le seuil de
la maison de Vic et de ses beaux-parents. De plus, une œuvre volée est une lithographie de Picasso intitulée Le Taureau.
Deux crimes violents requièrent l’expertise du sergent-détective Vic Verdier. Dans chacun des cas, un vol d’œuvre d’art
semble avoir mal tourné, et un homme a
été retrouvé battu à mort.
L’auteur nous signale que les crimes violents commis sans arme demandent beaucoup d’efforts. « Il est plus difficile qu’on croit de battre quelqu’un à mort. […] On s’improvise pas tueur à mains nues. » Seul un homme peut y arriver, pas une femme.
Dans le milieu policier, ajoute-t-il, on peut bien préférer quelques contusions, voire une commotion cérébrale, mais mourir vient « avec le privilège de porter l’uniforme ».
Quand Vic jette un regard sur la scène de crime, il constate un vrai bordel, un terrible gâchis, un homme étranglé à mort et de
la cervelle éparpillée. Verdier est-il toujours un policier après avoir commis cela…?
L’éditeur Alire écrit que Faces de bœufs est un véritable page turner, avec ses secrets de famille, ses manigances qui tournent mal et ses meurtres sanglants. Or, le roman n’a pas su me garder en haleine du début à la fin; j’ai décroché presque au beau milieu en raison surtout aux références inutiles à
la mafia sicilienne.
Aristote Kavungu, Céline au Congo, essai, Montréal. Éditions du Boréal, 2024,
138 pages, 21,95 $.
Céline fut autant raciste qu’antisémite
Louis Ferdinand Auguste Destouches (1894-1961), mieux connu sous
le pseudonyme Louis-Ferdinand Céline, a signé plusieurs ouvrages antisémites. Aristote Kavungu a lu
et relu Céline pour nous montrer aussi le côté raciste de l’auteur,
peu dénoncé par la critique.
Il signe Céline au Congo pour
mettre les pendules à l’heure.
Aristote Kavungu a aimé et détesté l’auteur de Voyage au bout de la nuit. Il n’écrit pas sur Céline, mais sur les réverbérations de
ce que ce dernier a dit et écrit en son temps, « ce qui a été acclamé et aussi ce qui a
été haï. Je vais écrire du point de vue
d’un Noir. »
Dès la première partie de son essai, Kavungu note à quel point Céline « crache, vomit et défèque avec un insolent talent. […] Il jette son dévolu sur tout un peuple ou toute une race avec une violence inouïe. » Faut-il distinguer entre l’auteur qui est
un génie et l’homme qui dégoûte, entre l’excellent écrivain et le parfait salaud…?
Si la haine contre les Juifs pèse plus lourd que la négrophobie chez Céline, cela ne l’empêche pas, dans Voyage au bout de
la nuit, d’affubler le Noir de qualificatifs qui vont de sauvage à bougnoule en passant par charognard, cannibale, gorille, voleur, cancre et analphabète.
Dans Bagatelles pour un massacre,
le racisme demeure flagrant; Céline écrit : « J’aime pas les nègres hors de chez eux… c’est tout. » Kavungu répond : « C’est tout ? Dont acte. » C’est un prélude romancé de « La France aux Français ! »
Céline à travaillé en Afrique, y a découvert sa vocation de médecin. Toujours dans Bagatelles, il écrit que, « en Afrique,
les nègres sont des braves gens. Ici, ils me gênent, ils m’écœurent. »
Lorsqu’Aristote Kavungu étudie à Paris, Voyage est au programme et un ami lui fait remarquer que Céline n’est pas le seul antisémite de son époque. Il y a aussi, apprend-on, Montherlant, Maurras, Morand, Bernanos, Jouhandeau et même Gide.
Chez Céline, les Noirs sont interchangeables avec les Juifs. Même condescendance. Ce qui fait dire à Kavungu que le Juif et le Noir, c’est bonnet blanc et blanc bonnet. Dans Voyage et Bagatelles, le Noir en prend sérieusement pour son grade.
L’analyse célinienne fait ressortir
un écrivain excellent et salaud, talentueux et dégueulasse, génial et abject. « Et si Céline n’avait fat que tendre un miroir à
ses compatriotes, un miroir qui pourrait
leur renvoyer l’image d’une France raciste
et antisémite ? »
En conclusion, Kavungu demande simplement qu’on accorde à Louis-Ferdinand Céline le droit à l’aberration, Selon lui, « ce qui est dit sur les Noirs ou Nègres dans ses œuvres, y compris la plus célèbre d’entre elles, c’est-à-dire Voyage
au bout de la nuit, n’est que de l’ordre
des clichés… ». C’est aujourd’hui tellement éculé qu’il ne faut pas s’en indigner.
Ce livre d’environ 130 pages souffre,
à mon avis, de fastidieuses digressions. Kavungu aime ouvrir de longues parenthèses philosophiques ou politiques
et disserter sur des théories littéraires.
Il prend aussi plaisir à ressasser
ses souvenirs estudiantins en France.
J’aurais préféré un plus grand nombre
de citations illustrant le racisme éhonté
de Céline.
Andrée Poulin, Quand ils sont venus, album illustré par Sophie Casson. Montréal, Éditions de l’Isatis, coll. Griff, no 20, 2024, 48 pages, 26,95 $.
Du poème
au conte universel
« L’histoire que je vais te raconter pourrait te faire l’effet d’une claque. Ou d’un coup de poing. » Tels sont les premiers mots de l’album Quand ils sont venus, d’Andrée Poulin.
Il est question de ne pas rester neutre face à l’injustice.
En quarante ans, cette écrivaine franco-ontarienne a publié une soixantaine de livres pour sensibiliser les enfants à
des réalités socio-politico-communautaires. Sa plume alerte et colorée captive l’attention et glisse des messages d’ouverture.
Quand ils sont venus raconte l’histoire
d’un village paisible où chacun vit sa vie, heureux et tranquille au bord du lac Paisible. Les personnages sont des chiens, des renards, des coyotes, des loups et
des fennecs, tous observés par un grand-père chien.
Dans les parages rôdent les Sans Entrailles qui veulent « que tous les habitants soient à leur image. Lisses et sombres. Menaçants et méchants. » Ils décident de faire la loi dans ce village où tous s’entendent bien… malgré leurs différences.
Les Sans Entrailles s’en prennent aux renards parce qu’ils sont roux, aux loups parce qu’ils ont de belles terres fertiles,
aux coyotes qui vénèrent leur dieu et aux fennecs qui s’aiment différemment. Chaque fois, grand-père dit : « Ce ne sont pas
mes affaires », et il ferme les yeux.
Vous reconnaissez sans doute ce scénario basé sur le célèbre poème Quand ils sont venus, du pasteur allemand Martin Niemöller : « Quand ils sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit. / Je n’étais pas communiste. » Et ainsi de suite pour
les syndicalistes, les Juifs et les catholiques. « Quand ils sont venus me chercher, / il ne restait personne pour me défendre. »
Traduit dans de nombreuses langues,
ce poème universel et intemporel illustre
le danger de l’indifférence et dénonce l’inaction.
Très riche, grand-père vit dans une immense maison et dirige une imposante usine de croquettes. Sa fortune rend jaloux les Sans Entrailles rapaces. Quand ces derniers viennent le chercher, il re reste personne pour le défendre, bien entendu.
L’autrice entend des enfants dire qu’il n’y a pas d’espoir dans cette histoire. Ce n’est pas le cas, « L’espoir est dans ce que toi,
tu diras… / Dans ce que toi, tu feras… /
pour dénoncer l’injustice. »
Deux citations sont placées en exergue au début de l’album. Desmond Tutu : « Rester neutre face à l’injustice, c’est choisir le camp de l’oppresseur. » Jean-Paul Sartre :
« Ne pas choisir, c’est encore choisir. »
À la fin de l’album, on trouve la définition
et le contexte du racisme, du colonialisme, de la persécution religieuse, de l’homo-phobie et de l’appropriation des richesses d’autrui.
Andrée Poulin réussit encore une fois à mettre son imagination fertile au service des laissés-pour-compte.
François Gravel, Comment insulter ses amis et autres poèmes débiles, poèmes illustrés par Laurent Pinabel, Montréal, Éditions
Les 400 coups, 2024, 44 pages, 20,95 $.
La poésie peut faire
flèche de tout bois
Après des poèmes biscornus,
des poèmes pas bêtes, des poèmes sportifs et des poèmes tordus, François Gravel nous offre vingt textes réunis dans Comment insulter ses amis et autres poèmes débiles. Laurent Pinabel demeure toujours son fidèle illustrateur.
Dans leur esprit vif et décalé, Gravel et Pinabel explorent des sujets aussi variés que l’amour, la musique, les sports, les animaux et les contes. Ce sont des poèmes disparates à l’humour complètement tarte qui brillent dans ce nouveau recueil où prime le rose.
Comment insulter ses amis et autres
poèmes débiles s’adresse aux 9 ans et plus, un public que Gravel dessert abondamment (une centaine de livres jeunesse en trente-trois ans d’écriture). Pour ma part,
j’ai découvert cet auteur à travers
des romans plus grand public.
Il y a belle lurette que la rime n’est plus obligatoire en poésie. L’auteur la recherche néanmoins, sans pour autant se prendre pour un Ronsard ou un Lamartine. Dans
le premier poème, diagonale rime avec transversales. Dans le deuxième, presque chaque vers termine en ing (parking, ring, pouding, signe, digne, consignes, ding, bing).
Le jeune âge du lectorat n’empêche pas Gravel de servir un adage en latin. Voici comment le court poème Mens sana in corpore sano se décline : « Avoir un esprit sain dans un corps sain, / Comme disaient les Romains, / C’est sûrement très bien, /
Du moins pour les humains. / Mais si j’étais un oiseau. / Je voudrais plutôt / Un esprit beau dans un corps beau! » Le corbeau est une belle trouvaille.
Le poème Comment insulter ses amis fait appel à la nourriture et aux bestioles pour lancer des flèches. « Patate » est une valeur sûre en matière d’injure, tout comme « vieille carotte, courgette rabougrie et
kiwi pourri ». Quant aux bestioles, le poète suggère « moufette, sangsue, cancrelat, punaise et limace ».
François Gravel a remporté une trentaine
de prix et de mentions au fil des années, dont le Prix du livre M. Christie, le Prix du Gouverneur général du Canada et le Prix TD de littérature canadienne pour l’enfance et la jeunesse.
Claudia Larochelle, Les Disgracieuses, récits, Montréal, Éditions Québec Amérique, coll. III, 2024, 136 pages, 21,95 $.
La vie toujours
à la base de l’écriture
À travers trois récits liés par le doute,
la persévérance et le désir d’émanci-pation, Claudia Larochelle revient sur les expériences fondatrices qui ont jalonné son assez jeune parcours (elle a à peine 45 ans). Ces trois textes sur des expériences fondatrices sont réunis sous le titre Les Disgracieuses.
Publiés dans la collection III, ces trois récits son inspirés de moments marquants dans
la vie de l’autrice. Il s’agit de textes portant sur diverses expériences scolaires, professionnelles et amoureuses dans la vie d’une femme qui s’est affranchie dans les années 1990.
Claudia Larochelle a étudié dans une école de filles dirigée par la dernière génération de religieuses à encadrer l’enseignement privé au Québec. Elle raconte avoir longtemps été cette jeune fille en uniforme « qui trouve dans l’irrévérence et le pied
de nez aux conventions une fenêtre par laquelle s’échapper ».
Lors de ses débuts comme journaliste,
ses collègues « prenaient un plaisir à mecspliquer la profession ». Ce qui lui démontre que la misogynie ne dort jamais, qu’elle s’abreuve à nos peurs pour redoubler d’ardeur.
Larochelle explique comment elle s’est débrouillée dans un monde où presque tout se serait passé différemment si « elle avait eu les mêmes “facilités” qu’un homme : l’écoute sérieuse, les avancements,
la légitimité ».
On a droit à plusieurs passages sur
les fréquentations de l’auteure, du flirt amoureux ou relations soi-disant plus durables. Elle découvre que « le sens
des priorités s’affaiblit à mesure que l’aveuglement amoureux s’accroît ».
L’auteure a la nette impression de s’être parfois mis les pieds dans les plats pour pouvoir transformer le réel, « y donner
une fin qui convienne. » Elle se demande
si nous n’avons pas tous déjà renoncé à
nos convictions pour plaire ou pour ne pas déplaire. « Comment marcher droit sur
le mince fil de son code d’éthique, rester digne, tête haute, épaules redressées? »
Trois fois, Larochelle est allée se réfugier dans les bras d’une femme après avoir été éconduite. « Je crois qu’il n’y a pas de meilleur repos que dans cette sécurité féminine, cet accueil désintéressé et cette douceur constante, parfaitement arrimée
à ma souffrance. »
Ces récits assez courts sont émaillés
de nombreuses références ou citations littéraires, le plus souvent d’œuvres féminines : Nelly Arcan, Kate Beaton, Colette, Virginie Despentes, Marguerite Duras, Annie Ernaux, Violette Leduc, Anne Rice et Patricia Smart, entre autres. Les rares œuvres masculines proviennent de saint Augustin, Albert Camus, Philippe Besson, Fernando Pessoa et François Blais.
Lorsque Claudia Larochelle a lu Environnement toxique de Kate Beaton,
cela lui a donné un élan. Les livres lui ont souvent servi de refuges. Ils ont aussi pu « porter le renouveau ». À preuve cette longue citation tirée de L’événement d’Annie Ernaux :
« Et le véritable but de ma vie est peut-
être seulement celui-ci : que mon corps, mes sensations et mes pensées deviennent l’écriture, c’est-à-dire quelque chose d’intelligible et de général, mon existence complètement dissoute dans le texte et
la vie des autres. »
Robert Lalonde, On est de son enfance, carnets, Montréal, Éditions du Boréal, 2024, 232 pages, 24,95 $.
Un écrivain
obsédé de vérité
J’ai fait la connaissance de Robert Lalonde en lisant Le Dernier Été des Indiens (1982), roman sur l’amour interdit (entre deux hommes).
J’ai renoué avec lui des décennies plus tard et je salue sa plus récente publication, On est de son enfance, nouveau tome de carnets autobiographiques.
On n’apprend que Robert Lalonde écrit
ses premiers poèmes à l’âge de quinze ans : « Je n’écrivais pas encore, je chuchotais
mes désirs et mes frousses. » Il se tourne assez jeune vers les mots pour préserver
le merveilleux de son enfance.
Au collège, avec Bertrand et Jean-Luc,
il cause de livres interdits : Camus, Gide, Sartre. Cette « coalition, collision, complicité dans l’illusion » lui permet d’envoyer promener l’inexorable.
En lisant Alice Munro, il retrouve son propre credo de romancier et nouvelliste : « Dans ma mémoire imaginante, les personnages et les lieux sont à la fois vrais et fabulés, réels et recomposés, palpables et mystérieux. » Lalonde cite ou fait référence à une quarantaine d’écrivains, dont Camus, Colette, Giono, Hemingway, Rimbaud, Gabrielle Roy, Rushdie, Sartre et Thoreau, pour ne nommer que les plus connus.
Lalonde réfléchit beaucoup sur l’acte d’écrire, lequel exige plus de foi que de bon sens, plus de folie que de volonté, plus de persévérance que de préméditation.
Marie-Claire Blais est décédée en 2021
et Lalonde ne s’habitue pas encore à son départ. Plus de cinquante ans après
la publication du roman David Sterne, il se rappelle comment il s’était reconnu dans
la destinée d’un adolescent désireux « d’embrasser tous les vices avant de s’éteindre ».
Il avait envoyé un mot à Blais pour lui faire part de son ardent désir d’écrire, mais aussi des encombrements qui freinaient son incertaine vocation. Elle lui avait illico répondu qu’il n’avait qu’à se mettre à
la tâche, « sans rien craindre. Sans rien espérer, l’écriture étant un voyage qu’il s’agissait d’accomplir sans boussole. »
Tout au long de la lecture de ces carnets, force est de reconnaître que « l’enfance
qui convoque la merveille charroie aussi
le mal-être ». Cela n’est pas évident sur
le coup, bien entendu. Il faut avoir beaucoup vécu et réfléchi pour en prendre conscience.
Camus a déjà écrit qu’il n’avait pas de métier, juste une vocation. Lalonde se chauffe du même bois. Comme l’auteur de
La Peste, il « ne besogne pas en professionnel de l’écriture mais en chercheur de joie obsédé de vérité ».
Comme ce troisième tome de carnets traite de l’enfance, Lalonde colore ses souvenirs
de comparaisons teintées du milieu religieux dans lequel il a sans doute baigné. Il avance « solennel comme un premier communiant ». Il marche « comme
le pèlerin chemine vers Compostelle ».
Il parle les yeux fermés, « comme fait
le prêtre pour mieux voir le péché ».
Menant en parallèle des carrières d’acteur
et d’écrivain, Robert Lalonde s’est imposé
au premier rang de la littérature québécoise contemporaine. Il s’est vu décerner,
en novembre 2023, le prestigieux prix Athanase-David pour l’ensemble de son œuvre.
Daniel Soulié, Louvre olympique, essai illustré par Marjolaine Leray, Éditions Courtes et longues et Musée du Louvre Éditions, 2024, 60 pages, 29,95 $.
Olympisme
et art dans l’antiquité
Les Jeux olympiques sont l’héritier de concours antiques organisés à Olympie en l’honneur du dieu grec Zeus. Plusieurs œuvres d’art en témoignent au Musée du Louvre,
ce qui a poussé Daniel Soulié à publier Louvre olympique.
Il nous apprend d’abord que les premiers concours ont eu lieu en 776 (toutes les dates sont avant notre ère) et que les épreuves sportives ne constituaient qu’un aspect du programme puisqu’on y pratiquait aussi
des joutes poétiques, musicales et d’éloquence. À partir de la quinzième olympiade, en 720, la nudité s’impose dans les compétitions sportives. Les femmes sont exclues de tous les concours.
Au Louvre, on peut admirer un relief architectural de marbre représentant Héraclès et le taureau de Crète, datant de 460. Fils de Zeus et d’une mortelle, il est vainqueur de douze épreuves et « devient en quelque sorte l’initiateur et le protecteur des concours et des célébrations en l’honneur du roi des dieux ».
Pendant les treize premières olympiades,
la course est la seule épreuve sportive.
Il faut attendre 708 pour qu’apparaisse
le pentathlon qui rassemble la course,
le lancer du disque, celui du javelot, le saut en longueur et la lutte.
Un siècle plus tard, on ajoute le pugilat et
la course de quadrige (char tiré par quatre chevaux). Un vase en céramique datant de 390 montre le couronnement d’un aurige ou conducteur de char. Un aurige peut porter un long manteau (la xystis), contrairement aux gymnastes qui sont nus.
Lors des courses de chars, la récompense va au propriétaire de l’attelage et pas à l’aurige. « C’est la seule discipline olympique qu’une femme peut gagner si elle possède des chevaux… » On peut admirer un vase orné d’un défilé d’auriges et datant de 510-500.
Les récompenses sont remises le dernier jour des épreuves. Il n’y a pas de podium sur lequel les meilleurs concurrents sont invités à monter. Seul le gagnant est célébré. Pas de deuxième ni de troisième place, seule la victoire compte. On peut voir une assiette de céramique (520-510) montrant un athlète nu récompensé et couronné.
Une couronne végétale et un ruban de tissu sont remis, « pas de récompense en monnaie sonnante et trébuchante ».
La notion de records n’existe pas; on ne
note point la durée et les positions autres que celles du vainqueur.
La célébrité associée à l’exploit fait du vainqueur une personnalité très en vue.
Il bénéficie d’une grande notoriété et d’avantages notables comme l’exemption d’impôts et la nourriture à vie. Certains vainqueurs se voient offrir une amphore contenant de l’huile des oliveraies, qu’ils peuvent revendre à prix d’or.
Louvre olympique est un petit livre
(60 pages) qui montre comment la Grèce antique a inspiré nos Jeux olympiques.
Il s’agit d’une plongée formidable dans
le monde des sports et les collections des Antiquités grecques au Musée du Louvre.
Hector Lemieux, Cuba en transparence, reportages, Montréal, Éditions Somme toute, coll. Parcours, 2024, 138 pages, 19,95 $.
Regard objectif sur
les Cubains et Cubaines
Fort de vingt-cinq années
de présence dans l’île et de correspondances avec les médias internationaux, Hector Lemieux signe Cuba en transparence, une plongée dans la vie d’un peuple à travers
des chroniques écrites à la manière d’une enquête.
L’auteur nous invite à découvrir l’âme cubaine en reproduisant une cinquantaine d’articles où il donne la parole à de formidables conteurs. Ces textes ont paru entre 2007 et 2024 dans Le Figaro, le Sud-ouest et Le Télégramme en France, dans
Le Soir, L’Écho et Le Vif en Belgique, ainsi que dans Le Temps en Suisse.
On apprend que l’Église catholique cubaine est un partenaire sous haute surveillance. Fidel Castro, le Lider Maximo, note que
les problèmes sont survenus avec
les institutions, « ce qui n’est pas la même chose que le catholicisme ». Il sait que l’Église n’est pas opposée au régime et peut l’aider dans sa mission sociale.
Il est intéressant de noter que dans
les manufactures des cigares, environ 300 lecteurs lisent à haute voix des romans ou des journaux aux ouvriers. L’objectif est non seulement de distraire mais aussi d’éduquer ces travailleurs à la littérature. Les lectures sont des classiques triés sur
le volet. En novembre 2012, les lecteurs ont obtenu le rang de « patrimoine culturel
de la nation ».
Hector Lemieux signale que le Canda a
joué un rôle clé dans le rapprochement entre les États-Unis et Cuba. Les relations historiques d’amitié entre Ottawa et
les deux pays ont été déterminantes pour mener à bien des rencontres secrètes.
Un diplomate canadien confie que « nous sommes le seul pays occidental qui n’a pas rompu ses relations diplomatiques au moment de la Révolution ».
Avec 1,2 million de touristes sur 2,8 millions de visiteurs annuels dans l’île, les Canadiens sont les plus nombreux. Et ce, malgré le fait que Cuba et les États-Unis aient « plus du double des dessertes aériennes actuelles entre le Canada et Cuba ».
Dès 1959, les frères Castro on fait de la santé l’une de leurs priorités. Les soins sont gratuits et leur qualité demeure excellente. La renommée de la médecine cubaine est régulièrement vantée par l’Organisation mondiale de la Santé.
Cuba n’a pas de pétrole, mais des infirmières et des médecins qui sont exportés dans plusieurs pays latino-américains et africains. Près de 30 000 travailleurs de
la santé effectuent des missions de trois
ans au Venezuela, « en échange desquelles Caracas fournit du pétrole à prix bradés ».
Lemieux précise que les 28 700 professionnels de la santé en mission dans 59 pays sont encadrés par des membres
de la Sécurité d’État pour éviter toute désertion. Cela a permis à Cuba de « développer une diplomatie sanitaire sans équivalent auprès de nombreux pays lors des votes au sein d’organisations internationales ».
Un article rappelle que Cuba a été
le premier pays d’Amérique latine à reconnaître la République populaire de Chine en 1960. Fidel Castro s’en est rapproché lorsque l’Union soviétique a disparu et son frère a négocié des accords commerciaux.
Les autorités cubaines ont été à l’origine,
en mars 2021, d’un document signé par 64 nations condamnant les « allégations infondées contre la Chine » sur le Xinjiang. Une relation Pékin-La Havane tout en bénéfices mutuels. Cuba a aussi soutenu
la Chine à l’ONU, notamment sur le dossier de Hong Kong ou des Ouïgours.
Cuba en transparence est un recueil percutant d’histoires et d’aventures où l’auteur s'efforce de raconter la vie des Cubaines et Cubains de la manière la plus objective possible, sans préjugés.
Marianne Brisebois, Balcons, roman, Montréal, Éditions Hurtubise, 2024,
242 pages, 24,95 $.
T’es nice comme gars
Xavier Pellerin, 24 ans, et Elliot Campeau, 19 ans, sont les deux protagonistes du roman Balcons,
écrit au « je ». Il n’y a pas une voix narrative de la part de l’autrice Marianne Brisebois qui campe
son histoire loin des codes de
la masculinité traditionnelle.
Le « je » est Xavier (Vivi) qui parle comme il marche, c’est-à-dire tout croche. « Penser que ça ait été possible de vivre son intimité avec quelqu’un qui nous désirait pas comme nous on la désirait, ça rend tout croche… »
Magalie Péloquin a été la blonde d’Xavier depuis toujours. Or, elle le quitte pour aimer… une femme. Mag trouve que Vivi et Elliot (Éli) feraient un beau couple. Est-ce que cela lui enlèverait toute culpabilité…? « Ça serait donc parfait qu’on se soit trompés les deux. »
Xavier réfléchit constamment. Il se dit que
le statut d’un homme diffère largement de celui d’une femme. L’acte de naissance d’un gars vient avec « capable de se défendre », celui d’une fille vient avec « victime potentielle ». De plus, un vrai gars passe
le balai sur ses états d’âme.
Xavier n’est pas le premier à avoir expérimenté en dehors de son orientation sexuelle. Son homophobie interne le rend honteux d’avoir un gars ou deux sur
sa liste. Est-ce que deux hommes peuvent avoir le goût de dormir ensemble sans faire l’amour, juste se frencher…?
Ce serait tout simplement de la masculinité décomplexée. « Tu peux choisir qu’il a pas franchi de limites si tu continues à pas en mettre, à t’adapter aux siennes. » C’est ce qu’Xavier a fait avec un leader dans
le mouvement étudiant.
L’histoire se passe à Montréal et les prota-gonistes sont tous francophones. N’empêche que les mots anglais pullulent left and right. On peut s’attendre à checker, nice, weird, anyway, fucking, voire heads up, give up ou feeler cheap. Mais pourquoi dire que le chat se colle sur mon chest, sa façon de me sizer, c’était worth it, je follow le Instagram, c’était crissement wrong, j’ai ghosté l’université, mes trigger warnings…?
On trouve même des phrases complètes en anglais : Welcome to the baby boomer world, bitches. Taste your own medicine. What a weird night. I’m part of the crew. Those twisted minds. J’ai été tenté plusieurs fois de mettre ce roman de côté, ou devrais-je dire on the side ?
Ce qui sauve la mise, c’est l’histoire d’amitié immédiate et sincère entre deux gars qui n’avaient en commun, au départ, qu’un trop grand nombre de blessures à panser.
Éli est propriétaire d’une boutique qui s’appelle Fleurs & Laurier. Le second mot renvoie au gars qu’Éli a aimé plus que tout autre homme et qui s’est enlevé la vie.
À la fin du roman, il y a quelques numéros à composer pour de l’aide, dont celui du Centre de prévention du suicide du Québec.
Les mots ont toujours fait partie de la vie de Marianne Brisebois, une autrice à la plume jeune, assumée, maîtrisée. Quand elle n’écrit pas, cette diplômée en psychologie et en communication adore débattre, discuter
et refaire le monde.
Clara Grande, Un jardin l’hiver, roman, Montréal, Éditions Le Cheval d’août, 2024, 168 pages, 23,95 $.
Un cocon de vie
terne et tendre
Les bleus, les veines, les rides,
les courbatures, les cicatrices, tout cela raconte un passé. À l’emploi d’un Centre d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD), Clara Grande en est témoin et raconte
son expérience dans Un jardin l’hiver, son premier roman
écrit au « je ».
Madame Petitclerc, Monsieur Delisle,
Madame Gagnon, Monsieur Potvin, Madame Ponzi, Madame Robinson, Monsieur Maltais, Madame Ménard, autant de patients dans
le CHSLD de Rosemont où Clara, 32 ans, remplit le rôle d’aide de service. À une exception près, tous les corps qu’elle touche ont au moins trois quarts de siècles.
Clara se demande à quel instant les patients ont la force de laisser s’envoler leur pudeur. Lorsqu’une cloche sonne, elle doit souvent se rendre à une chambre pour prêter main forte à quelqu’un qui a besoin d’uriner,
de déféquer ou de faire sa toilette. Parfois c’est pour entendre une plainte, un éternel refrain : « Personne s’occupe de moi! »
Le dimanche après-midi, c’est le bingo. Plusieurs sont ravis, certains grimacent.
Les prix incluent des gracieusetés offertes par des employés : sacs de chips, vernis à ongle, gourde de plastique, cahier de sudoku, jeu de cartes, lampe de poche.
Un jardin l’hiver ne manque pas d’humour, comme en fait foi ce petit échange :
– Voulez-vous une banane, madame Thivierge?
– Elle est-tu ben dure?
– Juste parfaite.
– Ah, parce que moi, j’aime ça ben dur!
Le roman transcrit le menu de quatre repas; ils sont tour à tour régulier, tendre, sans sucre concentré, sans sel ou avec contrôle des glucides. Le souper de madame Martin semble appétissant à première vue, poulet sauce veloutée, riz pilaf, légumes, tarte fraise-rhubarbe, tisane. Comme il est classé tendre, on imagine que tout est servi en purée.
Clara raconte aussi les hauts et les bas de
sa vie de célibataire. Au CHSLD, elle est courtisée par le docteur Brière, déjà marié, qui lui envoie des courriels où il insiste sur « l’importance de la bonne communication : il y a les mots, l’écoute, le regard, le ton. » On la voit se débattre avec ce genre d’avances.
L’œuvre en page couverture est The Nest (150 x 150 cm), du plasticien allemand
Nils-Udo. Une place en CHSLD est souvent
un nid ou un cocon pour des gens qui souffrent. La romancière décrit avec brio
le quotidien à la fois terne et tendre de
ces femmes et hommes en situation
de dépendance et d’isolement.
Née en 1989 à Montréal, Clara Grande a étudié les arts au Freies Jugendseminar de Stuttgart en Allemagne, puis le jeu à l’école de théâtre Actéon à Arles, dans le sud
de la France, où elle a vécu quatre ans.
De retour à Montréal, elle enseigne en francisation et se consacre à ses projets d’écriture tout en menant un baccalauréat en scénarisation et création littéraire à l’Université de Montréal. Un jardin l’hiver
est son premier livre.
Dana Blue, Demon, tome 2 de Kink Club, Paris, Harper Collins, 2024, 252 pages, 28,95$.
Rudesse et tendresse
font bon ménage
Patron du Leather & Pleasure Club, Damien Archer est surnommé Demon, titre du deuxième tome de Kink Club où Dana Blue poursuit
son exploration de l’univers BDSM (bondage et discipline, domination et soumission, sadisme et masochisme). Elle démontre comment la communication et l’honnêteté sont les facteurs les plus importants dans une relation comme celle-ci.
Jeune avocat agressif et homosexuel refoulé, Cole Walker se présente régulièrement au club newyorkais. Un soir, il y profère des insultes homophobes : « Sales PD ! Vous devriez avoir honte ! Sales tapettes, vous êtes toutes les mêmes ! » Demon lui donne le choix : ne plus jamais remettre les pieds dans son établissement ou être initié aux « plaisirs et sensations les plus extrêmes, plonger dans les désirs les plus enfouis
en toi ».
Cole accepte de pactiser avec le démon.
Il va vite se rendre compte que ce n’est pas que son corps, c’est aussi son âme qui sera mise à nue. Et cela va se produire à travers un mélange excitant de peur et de plaisir, « entre le trouble, le désir, la curiosité et l’appréhension ». Le roman décrit bien comment un club BDSM est un milieu qui intrigue et fascine à la fois.
C’est grâce à Demon que Cole a ses premières expériences avec un homme,
c’est avec un Dom qu’il découvre sa sexualité. Le Soumis apprend comment
le BDSM est un mode de vie, « une relation fondée sur la confiance mutuelle ».
Il appréhende autant qu’il attend ce que Demon peut lui faire subir. Délicieux cocktail de peur et d’excitation.
Le roman regorge de scènes de sexe explicites avec toute une panoplie de gadgets ou sex toys. Chaque centimètre
des zone érogènes est léché, pincé, savouré. D’un chapitre à l’autre, les coups de fouet,
de hanche et de langue se succèdent. Rudesse et tendresse font bon ménage.
Avec doigté et brio, Dana Blue concocte
une intrigue qui nous prend aux tripes.
Plus jeune, Cole a filmé son ami Travis en train de tabasser rudement un homosexuel, au point de le faire passer de vie à trépas. La victime est Warren, alors fiancé de… Damien. Deux ans plus tard, Travis est arrêté et Cole est accusé de complicité dans
un homicide involontaire.
Vous pouvez imaginer tous les états d’âme que traversent Damien et Cole qui viennent de signer un contrat BDSM de soumission. Sans révéler le dénouement, qu’il soit permis de rappeler que c’est le Soumis qui détient le pouvoir dans une telle relation
et que c’est aussi lui qui lèche les cicatrices du Dom pour y placer sa marque…
Je signale que, dès la première page, Dana Blue indique que son roman parle de sexe, d’agressions, d’homophobie internalisée et
de scènes recommandées aux plus de dix-huit ans. Elle invite son lectorat « à prendre le temps de la réflexion » si de telles thématiques risquent d’être « préjudiciables à votre santé mentale ».
Pierre Minkala-Ntadi, Du rêve parisien au froid des Prairies, roman, Regina, Éditions
La nouvelle plume, 2024, 174 pages, 20 $.
Quand l’élégance
en prend pour son rhume
Écrivain d’origine congolaise, Pierre Minkala-Ntadi travaille à Saint-Boniface (Manitoba). Il crée un personnage-narrateur qui nous entraîne dans un constant chassé-croisé entre l’Afrique et le Canada.
Ce jeune Adolphe nous en fait voir de toutes les couleurs.
Adolphe vit à Brazzaville et est un adepte de la SAPE (Société des ambianceurs et
des personnes élégantes). Il s’habille avec de grandes marques telles que Chanel, Hermès, Gucci, Rolex, Dior, Giorgio Armani, Hugo Boss, Louis Vuitton, Versace, etc.
Adolphe sait qu’il a été adopté, « mais que
je sois substitué à une autre personne, cela était incompréhensible pour moi ». Il arrive à la conclusion que son père adoptif a remplacé son fils biologique présumé mort par le fils d’un autre, supposément égaré. « Il m’avait utilisé pour essayer de combler une absence. » Adolphe se sent dès lors coupable d’avoir pris la place du fils biologique.
Si le roman commence dans les Prairies,
à Saint-Boniface (Manitoba), il devient rapidement un flash-back sur l’adolescence d’Adolphe et sa vie de jeune adulte au Congo. On apprend qu’aucun statut social n’était autant adulé apr la majorité des jeunes de son quartier que celui de Parisien. Puisqu’Adolphe s’habille comme un Parisien, il en a le titre. « L’habit m’avait déjà fait moine! »
L’auteur montre comment soigner sa tenue vestimentaire pour paraître important aux yeux des autres permet d’augmenter l’estime de soi. « C’est un phénomène social de valorisation de soi par l’habillement. »
En tant que membre incorrigible de
la SAPE, Adolphe est bien sapé et adulé par les jeunes de son quartier. Il peut rêver de s’envoler un jour vers Paris, puis d’effectuer des « descentes saisonnières » à Brazzaville.
Pierre Minkala-Ntadi congolise parfois
une expression bien connue. Il écrit que pour Adolphe, la poésie n’était pas sa tasse de… chocolat. Son roman souffre parfois de longues digressions sur les élections soi-disant transparentes et crédibles en Afrique, sur la fonction publique parlementaires présente partout au Congo, et sur
le chômage endémique qui étrangle notre société.
Quand le jeune Adolphe aboutit dans
un camp de réfugiés, une association internationale lui offre la possibilité d’être accueilli aux États-Unis ou au Canada.
Il rêve plutôt d’être envoyé à Paris (qu’il prend pour un pays). « Accepter une destination étrangère autre que Paris fut pour moi un déchirant renoncement à
la frime et à la mode auxquelles j’étais toujours attaché. »
Arrivé dans les Prairies canadienne,
Adolphe découvre l’hiver et perd du coup son élégance vestimentaire. Le jeune homme demeure dans le Vieux Saint-Boniface et prononce le mots anglais à la française;
il transpose la syntaxe de Molière à celle de Shakespeare. Lorsqu’il s’exprime en anglais, ses interlocuteurs lui demandent presque automatiquement s’il parle français.
La vie du jeune réfugié ne tarde pas à battre de l’aile car il passe à côté des opportunités d’ascension sociale que lui offre son pays d’accueil. Fréquenter
le collège n’est pas sa tasse de chocolat et
il en paie le prix.
Pierre Minkala-Ntadi est le premier auteur canadien d’origine africaine à être publié aux Éditions de la nouvelle plume. Il est arrivé au pays après un long séjour en France où il a décroché un doctorat
en sciences de l’Information et de
la communication à l’Université Grenoble-Alpes. Il enseigne la nouvelle grammaire française à l’Université de Saint-Boniface.
Hervé Gagnon, Maria, Les enquêtes de Joseph Laflamme, roman, Montréal, Éditions Glénat Québec, département Hugo Poche, 2024, 432 pages, 14,95 $.
Quand Montréal devient une nouvelle Sodome
Montréal, fin XIXe siècle, religieuses et prêtres copulent sans distinction de sexes ou d’orifices.
De pauvres enfants sont outragés
de toutes les manières que
la perversité peut imaginer. Voilà
en résumé ce que Hervé Gagnon raconte dans Maria; son roman décrit une nouvelle Sodome.
En 1836, le livre Awful Disclosures of
Maria Monk bouleverse Montréal. Il relate
de sordides histoires de fornication entre
les Hospitalières de l’Hôtel-Dieu et les Sulpiciens, évoquant profanation, assassinats et débauche. La bonne société est en émoi, et l’évêque doit défendre la réputation de son diocèse.
En 1892, toujours à Montréal, un charnier d’enfants est découvert, puis le corps mutilé d’un banquier est retrouvé, ensuite deux fillettes portant de terribles traces d’abus sexuels sont repêchées dans le fleuve.
Les trois affaires ne semblent pas liées, jusqu’à ce qu’un prêtre défroqué remette au journaliste Joseph Laflamme un exemplaire du livre de 1836, en lui laissant entendre que l’histoire se répète.
L’équipe qui mène l’enquête est composée d’un inspecteur dont la femme et les enfants sont pris en orage, d’un constable novice
sur les bords, d’un retraité de Scotland Yard, d’un journaliste plus ou moins alcoolique qui est de connivence avec la police,
d’une modiste amoureuse de l’ex-agent
de Scotland Yard et d’une ex-prostituée amoureuse du journaliste.
Pour réussir à dénouer une affaire sordide, glauque et nauséabonde, le journaliste
et compagnie devront pénétrer dans un univers de corruption aux ramifications insoupçonnées et déterrer un scandale enfoui depuis un demi-siècle. Ils seront à
la fois attirés et repoussés par ce qu’ils découvriront. La morale, apprendront-
ils, est une chose relative, elle devient très élastique.
Dans Awful Disclosures of Maria Monk, une jeune religieuse déclare que son principal devoir avait été de forniquer avec tous les prêtres qui en exprimaient le désir, faisant dans les faits de l’institution fondée par Jeanne Mance un véritable bordel. On se vautrait dans la luxure ; la fornication devenait « une œuvre sainte ».
Dans le roman Maria, on inflige aux religieuses désobéissantes « les punitions les plus délirantes » et on fait passer
« un manuel de l’Inquisition espagnole pour un conte de fées ». De pauvres enfants sont « outragés de toutes les manières que la perversité peut imaginer ».
L’auteur fait dire à Laflamme qu’il tombe
de plus en plus sur des cadavres mutilés
ou dépecés. Le journaliste se demande pourquoi il ne peut pas trouver un mort normal, « sans blessures ni amputations,
pas d’émasculation, ni de pendaison,
ni d’éviscération ».
Les lecteurs et lectrices naviguent entre stupéfaction et horreur, allant d’une macabre surprise à l’autre, parfois sur
un fond de franc-maçonnerie. Et comme si l’intrigue n’était déjà assez sadique, Hervé Gagnon fait écho à l’enfance de Joseph Laflamme dans un orphelinat, plus particulièrement à ce qui se passait dans
le dortoir sous la surveillance des frères religieux. « Ce qu’on le forçait à mettre dans sa bouche. Ce qu’il devait avaler. »
L’auteur a dû avoir sous les yeux une carte de la ville de Montréal en 1892 car il mentionne le nom de chaque rue empruntée par chaque personnage et son cocher. Cela devient assez lassant. Ce livre a d’abord paru en grand format aux Éditions Libre Expression en 2015. J’ai lu le format poche sorti en avril 2024.
Jean-Pierre Charland, La famille Chevalier, tome 1, Une génération dans le vent, roman, Montréal, Éditions Hurtubise, 2024, 362 pages, 26,95 $.
Coup d’œil sur
le Québec de 1966
Une épouse pudibonde, un mari obligé de faire chambre à part,
une fille qui fréquente des lieux,
peu recommandables (aux yeux de
sa mère), un garçon qui s’entiche d’une demoiselle de la bourgeoisie, un oncle qui a défroqué… bienvenue dans La famille Chevalier, roman
de Jean-Pierre Charland.
L’action se déroule dans la région de Montréal en 1966, au moment où les sœurs enseignantes et infirmières cèdent le pas à des laïcs. Des curés quittent la prêtrise;
des religieuses abandonnent le voile; bientôt, les gens pourront se divorcer et
se marier civilement dans la sainte province de Québec.
Madame Chevalier trouve que sa fille Marie-Paule n’est pas assez sage. Les jeunes de la nouvelle génération savent que leurs parents passent pour vieux jeu, mais Viviane Chevalier remporte le championnat à ce chapitre-là. Personne ne lui convient,
ni son mari, ni ses enfants. « Chacune de
ses paroles contient un sous-entendu méprisant. »
Les chansons écoutées par les jeunes sont plus souvent anglaises : Can’t You Hear My Heart Beat de Herman’s Hermits, Help Me, Ronda des Beach Boys, I Got You Babe de Sonny and Cher. C’est parce que danser sur Mon Pays de Gilles Vigneault serait plus difficile et que personne ne saurait quoi faire en entendant La danse à Saint-Dilon.
Lors de l’émission de fin d’année Ça va éclater (forme de Bye Bye 1965), les vedettes sont Dominique Michel, Denise Filiatrault, Donald Lautrec et Benoît Marleau. L’année 1966 est marquée par la défaite de Jean Lesage, chef du Parti libéral. Daniel Johnson, de l’Union nationale, obtient plus de députés mais moins d’appuis dans la population (six pour cent de moins que les Libéraux).
Le Québec de 1966 représente le quart de
la population canadienne, mais les deux tiers des grèves surviennent dans cette province. Le salaire moyen au Québec est inférieur à celui versé ailleurs au pays.
Marie-Paule devient institutrice et
doit « se montrer d’une probité à toute épreuve » L’exigence d’une moralité exemplaire se trouve d’ailleurs inscrite
dans la Loi de l’instruction publique.
Parlant d’éducation, le cours classique a fait son temps. Il faut créer un palier entre l’école secondaire et l’université. Ce sera
les cégeps.
Le romancier indique clairement que
« les bonnes filles » doivent fuir « toutes les occasions où leur vertu est menacée ». Il décrit le necking et ne manque pas de souligner que les baisers lascifs conduisent au petting, aux caresses. « Entre le petting
et une relation sexuelle complète, il y a
le heavy petting.
Un autre membre de la famille Chevalier fait l’apprentissage « des plaisirs de la chair ». C’est Monsieur Chevalier qui désire « mettre fin à une longue disette », sa femme lui ayant dit de « faire un nœud dedans ».
La lecture de La famille Chevalier m’est parfois apparue lassante. Pourquoi ? Parce que Jean-Pierre Charland a fouillé plusieurs journaux de l’époque et fait du remplissage en citant allègrement des nouvelles ou incidents de peu d’intérêt.
Hervé Gagnon, La Cage, tome 2, L’empoisonneuse, roman, Paris, Éditions Hugo, coll. Jeunesse, 2024, 304 pages, 19,95 $.
Une lecture qui suscite
des frémissements d’inconfort
Auteur d’une quarantaine d’ouvrage, dont plusieurs romans pour
la jeunesse sont devenus des best-sellers, Hervé Gagnon remet en
scène le constable Seamus O’Finnigan dans le thriller trépidant La Cage, tome 2. L’action se dénoue
à Montréal en 1852.
Dans le premier tome de La Cage, Eugénie Lachance, 16 ans, et son frère Alexis, 11 ans, avaient décidé de visiter la cage de fer dans laquelle le corps de Marie-Josephte Corriveau fut exposée en 1763.
Cette visite a lieu 90 ans après la mort
de La Corriveau. Dans le second tome,
la célèbre cage fait maintenant d’Eugénie Lachance une sorcière, une empoisonneuse. O’Finnigan a justement été empoisonné par Lachance. Il a l’air d’un cadavre ambulant.
Il a perdu la santé, si en plus il perd la tête…
L’empoisonneuse, elle, perd définitivement
le peu de raison qu’il lui reste. O’Finnigan sait mieux que personne ce dont Eugénie Lachance est capable; cela va de pire en pire. On lit de la folie dans les yeux de
la meurtrière qui a empoisonné ses parents et bien d’autres gens.
Le contact avec la maudite cage de
la Corriveau est un phénomène que
le constable en congé de maladie ne comprend pas, et cela empire son état. Partout où passe cette damnée relique ou ferraille, des drames surviennent.
Eugénie Lachance glisse entre les doigts de la police montréalaise comme du sable fin, comme une vraie couleuvre. O’Finnigan tourne et retourne la situation dans tous
les sens, cherchant en vain une façon d’en reprendre le contrôle.
Hervé Gagnon mêle encore une fois fiction et réalité. Trois chapitres sont consacrés au grand incendie de Montréal survenu le 8 juillet 1862. Il s’agit de la pire tragédie de
la ville en termes de pertes matérielles, soit environ 1 200 demeures parties en fumée (le sixième de la ville) et 10 000 personnes se retrouvant dans la rue.
On lit ce second tome de La Cage avec trépidation. L’écriture est rythmée,
un rebondissement n’attend pas l’autre.
À certains moments, la lecture suscite des frémissements d’inconfort. Sans dévoiler
le dénouement, je peux vous dire que Seamus O’Finnigan va se retrouver emprisonné dans la célèbre maudite cage…
Ce retour de l’enquêteur O’Finnigan dans
un thriller fort bien réussi va fasciner
les ados. La Cage 2 fait d’ailleurs partie de
la collection Jeunesse aux Éditions Hugo.
La maison précise que Hervé Gagnon adore faire peur aux ados lorsqu’il s’adresse à eux.
Patrick Senécal, Civilisés, roman, Lévis, Éditions Alire, 2024, 644 pages, 36,95 $.
Déroulement cauchemardesque
d’une tragédie
L’expression « éprouver des émotions contradictoires » n’a sans doute jamais trouvé terreau plus fertile que dans le roman Civilisés, de Patrick Senécal. Il nous propose une expérience inédite qui débute dans la joie, puis dérape pour devenir horriblement incompréhensible.
L’expérience vise à « étudier les mécanismes psychologiques déployés par les humains lorsqu’ils doivent sauver leur vie et, par la bande, observer les valeurs qu’ils préconisent pour former une société ».
Il faut avoir entre 18 et 70 ans, habiter le Québec, parler français, être libre du 14 au 23 avril 2023. Pas de cellulaire, téléphone intelligent ou portable. Un psychologue recrute douze participants à qui il offre
3 000 $ pour dix jours de leur temps.
Voici comment se répartissent les douze personnes choisies : prof de philo, comédien, prêtre, médecin, avocate, ouvrière, policière, ingénieur, agronome, écrivaine, étudiante
et patient d’une aile psychiatrique (accompagné d’une professionnelle).
Il y a des représentants de la communauté noire et homosexuelle, plus une Arabe qui parle un français erratique. Cette dernière dit gaspacho au lieu de gestapo et dur comme frère au lieu de fer. Le psychologue se targue d’avoir réuni une sorte de microcosme de la société québécoise.
Les interventions du prof de philo commencent souvent par… comme le disait tel écrivain… Il cite, entre autres, Marc Aurèle, Shakespeare, Rabelais, La Rochefoucauld, Montaigne, Cortázar et Yourcenar. Dans
le cas de cette dernière, il sert deux fois
la même citation : « Rien ne rapproche
les êtres comme d’avoir peur ensemble. »
Senécal s’adresse constamment à ses lecteurs et lectrices au beau milieu de
la description d’une intrigue. Il écrit ainsi : « Vous en jugerez par vous-même dans quelques pages. » Signalant qu’une femme regarde un homme en silence, ses idées quelques peu confuses, il ajoute : « Sans doute plus que les vôtres, car vous avez évidemment compris ce qui se trame entre ces deux-là. »
Les remarques du romancier décrivent parfois sa façon de procéder. « Mais pour
le moment, vous n’en saurez rien. C’est ce qu’on appelle créer un suspense. » Ou encore : « Et profitons de ce moment pour vous préciser que le psychologue dit vrai, au cas où vous seriez en train de prévoir d’éventuels retournements narratifs. »
Senécal invite les lecteurs à noter leurs commentaires à la fin du livre où il y a
six pages blanches avec seulement le nom de deux personnages. Libre à chacun et chacune d’écrire ses réflexions sur douze hommes et femmes qui vivent « cette expérience merdique mal foutue ».
L’auteur ouvre parfois de longues parenthèses ou plonge dans de saugrenues digressions pour finalement conclure : mais ça c’est une autre histoire. Le but demeure sans doute de remplir des pages… comme
si 600 ne suffisaient pas.
L’expérience est financée par un mécène
qui parle le franglais. Exemple : « Ça veut dire que I never follow orders tant que je sais pas quoi il en retourne exactly. So tu vas take two minutes pour m’expliquer what the fuck is going one.”
Les douze participants sont juste supposés jouer aux survivants, mais l’expérience prend une tournure horrible parce qu’entièrement sous la houlette d’un psychopathe. C’est ce dont le psychologue rêvait : le déroulement cauchemardesque d’une tragédie unique et fascinante.
Donald Alarie, Tous des gens que l’on croise, nouvelles, Montréal, Éditions La Pleine Lune, 2024, 136 pages, 21,95 $.
Entre grandes étapes
de la vie et petits
faits troublants
À travers 31 brèves histoires du quotidien, réunies sous le titre Tous ces gens que l’on croise, Donald Alarie met en scène des gens ordinaires, ni héros ni antihéros,
qui traversent des moments plus
ou moins graves et inattendus de leur existence. Il le fait dans un style dépouillé et efficace qui le caractérise depuis bientôt trente ans.
La nouvelle intitulée « La liseuse » me décrit assez bien. Comme le protagoniste,
je ne me déplace jamais sans un livre, je ne me sentirais pas bien, je serais « démuni, perdu, affaibli ». Et pas de liseuse pour moi non plus. « Il me faut toucher le papier,
le humer, écrire dans les marges si j’en éprouve le besoin ».
Plus loin, on fait la connaissance de Paul, confiné à la maison à cause de maladie.
À mon opposé, il n’a jamais cultivé le plaisir de la lecture. « Essayant parfois de lire,
il n’arrive pas à se concentrer. Il trouve ça épuisant. » J’ai connu plus d’un homme comme lui, même un amant.
Il y a des gens qui vivent une seule relation amoureuse durant leur vie. Puis il y ceux
et celles qui vont d’une histoire d’amour à l’autre. C’est le cas de T., une femme toujours en quête de l’homme parfait. « Un plus jeune, un plus veux, un pauvre et un très riche, un très élégant et un très mal vêtu,
un artiste et un autre sportif, un bavard et un timide, un prétentieux et un sous-estimé », ça dure un mois, parfois six. C’est elle qui mais fin à la relation parce que… déçue, titre de la nouvelle.
À plus d’une reprise, le personnage n’est
pas nommé autrement que par Il ou Elle. Étrangement, il n’est question que de relations hétérosexuelles dans ce recueil. Cela est dommage et s’explique mal en 2024.
L’homme dans le texte « Trop » me ressemble. Il n’aime pas les rencontres où
il y a plein de monde, où il faut faire la bise à droite et à gauche, serrer des mains par-ci par-là, « faire du bruit comme tous les autres ». S’Il avait rencontré seulement deux ou trois personnes à la fois, les choses auraient été différente. Notre homme « aurait trouvé du plaisir à les écouter parler et se serait peut-être même confié
à eux ».
L’auteur cite le poète, essayiste et critique littéraire français Jean-Michel Maulpoix : « Vivre n’est pas une science exacte. » Donald Alarie illustre cela à petites doses d’une nouvelle à l’autre. Il campe, par exemple, un couple où Il a déjà deux filles adultes.
La narratrice raconte comment leur vie de couple est régulièrement perturbée par
les petits et les grands malheurs de ces deux femmes. « Je sais maintenant que cet homme aimera toujours plus ses deux filles qu’il m’aimera, moi. Je sais que je viendrai toujours en troisième position. »
Vous êtes-vous déjà arrêtés aux gens que vous croisez lorsque vous visitez une exposition ? Dans la nouvelle intitulée « Seul au musée », Il admire les encres de Jean-Paul Jérôme et se sent envahi, troublé. Assis sur un banc, Il laisse sa pensée dériver, songeant à Jean-Paul Riopelle et à Léon Bellefleur.
« Il envisageait de ne rester là que quelques minutes, mais lorsqu’il revint à lui comme s’il sortait d’un rêve, il réalisa qu’il était assis au même endroit – admiratif, contemplatif, absent et très présent à la fois – depuis presque une heure. »
Je me suis aussi reconnu dans « Claire », dernier texte du recueil. Cette femme est écrivaine parce que cela donne un sens à
sa vie. Comme moi, il lui est arrivé de publier deux livres dans la même année chez deux éditeurs différents, un roman et un essai.
Annette Boudreau, Insécurité linguistique dans la francophonie, essai, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, collection 101, 2023, 78 pages, 10,95 $.
Communiqué
Vous êtes-vous déjà demandé si vous parliez le français qui convient ? Avez-vous déjà eu honte de votre manière de parler ou de la manière de parler des gens de votre communauté ? Si oui, cet ouvrage vous aidera à mieux comprendre les mécanismes qui régissent ces comportements langagiers.
L’insécurité linguistique, fréquente dans
la francophonie, serait issue de la façon dont la langue française s’est développée,
de l’idée d’une norme unique et d’une vision unitaire et uniforme du français,
qui perdure et qui est à la base d’exclusions sociales.
Cet ouvrage décrit le phénomène de l’insécurité linguistique, son histoire,
ses manifestations et ses retentissements.
Il porte précisément sur l’insécurité linguistique dans la francophonie et puise ses exemples dans la francophonie canadienne.
Cet essai propose une analyse des principales manifestations du continuum qu’est l’insécurité linguistique, de l’hypercorrection – sa forme la plus légère – à la honte et au silence. Il explore les liens entre insécurité linguistique et diglossie,
soit les rapports de domination entre groupes de personnes qui parlent des langues différentes ou entre personnes qui parlent la même langue.
Enfin, il examine le rôle joué par les idéologies linguistiques et sociales dans
la construction identitaire, idéologies masquées qui régissent les discours et qui agissent sur les comportements langagiers.
Janis Locas, Moi, Jessica M., 37 ans, maman, malheureusement, roman, Montréal, Éditons Somme toute, 2024, 256 pages, 28,95 $.
Roman décapant
sur le burn-out maternel
Une mère frôlant la folie, un père charmant mais absent, deux enfants accaparants, voilà les personnages que Janis Locas met en scène dans Moi, Jessica M., 37 ans, maman, malheureusement, un roman irrévérencieux et même décapant sur le burn-out maternel
La narratrice-maman est Jessica pour qui
la maternité a sonné l’heure du désenchantement. « Avec une famille, s’extraire de la routine est laborieux. »
Cette famille comprend le père Éric et
les enfants Cassandra et Nathan. Si les bébés rendent les hommes sympathiques, ils peuvent rendre les femmes compliquées.
À 7 ans, Cassandra porte toute une brochette de sobriquets : Cassou, Cassolette, Cassouchouette, Cachoupette. Elle fait remarquer à sa mère que « les éléphants ont des oreilles en forme d’Afrique ».
Et c’est vrai.
Quant à Nathan, 3 ans, il est toujours entre deux rendez-vous chez le pneumologue, l’allergologue, l’immunologue ou l’antibio-thérapeute. Lorsque sa narine coule, Jessica dit : « une nouvelle infection pointe
le nez » (beau jeu de mot).
Éric a du charme avec ses yeux émeraude, ses cheveux ondoyants, ses épaules de déménageur et les bras de Rafael Nadal. Lorsqu’il rentre tard du travail, Jessica lui lance : « Là TOI tu t’occupes des kids avant que je me tire une balle. »
Ici et là, on lit des extraits du roman que Jessica rédige pour raconter « l’histoire décousue d’une mère qui tente d’écrire
une histoire, mais qui se fait déranger par des gamins se chamaillant pour un ver
de gélatine ». Jessica écrit pour se défouler, pour mettre du piquant dans sa vie.
Entre certains chapitres, on lit aussi
les messages laissés sur Facebook par Dave, « une crisse de tapette heureuse » et
un artiste-chorégraphe tapageur. En voici un exemple : « Hey FB, je voudrais me faire livrer les meilleurs cupcakes ou un gâteau red velvet. J’ai un gros craving!!! »
Plusieurs mot anglais parsèment ce roman. Chubby ou over my dead body sont
bien connus. C’est moins le cas avec
des expressions comme il watche de
la porn, faire des mind games, ou blast
from the past.
Dans ses moments de dépression, Jessica dit qu’elle a été « enragée toute la soirée, toute la journée en fait, toute la semaine, toute
la vie, tiens ! » Dès qu’elle sent des murs s’effondrer à l’intérieur d’elle-même :
quatre happy pills ! Jessica engloutit aussi des drogues que je ne connais pas : Morfan pour dormir, Céliessa pour relaxer.
À l’hôpital, on lui donne du Regulexiq,
du Calmoft et du Froidril.
Folle, pas folle, Jessica doit jongler avec
son horaire à la maison et au travail. Mais, comme l’auteure le dit si bien en conclusion, « la vie c’est vivant, ça déborde de tous bords, ça ne pourra jamais rentrer dans
un horaire ».
Alexis Riopel, Singapour, laboratoire
de l’avenir, reportage illustré par Valérian Mazataud, Montréal, Éditions Somme toute, 2024, 128 pages, 24,95 $.
Singapour, laboratoire
de densité urbaine
Presque six millions d’habitants
sur moins de 750 km2, telle est
la république parlementaire de Singapour. Singa pura signifie cité
du lion en sanskrit. Le journaliste Alexis Riopel et le photographe Valérian Mazataud nous brosse
un portrait de cette unique cité-État du Sud-Est asiatique.
Depuis son indépendance en 1965, Singapour s’est agrandie de 25 % aux dépens de la mer. La superficie de cet État du Sud-Est asiatique est égale aux îles de Montréal et de Laval réunies. « Toute l’île n’est qu’une ville » qui se traverse de bout en bout en une heure et demie de métro.
Ce petit pays membre du Commonwealth
est voisin de la Malaisie. Il compte trois groupes ethniques : Chinois (74 %), Malais (14 %), Indiens (9 %). On estime à 78 %
le nombre de Singapouriens qui vivent dans un logement social contrôlé par une agence gouvernementale « responsable de
la planification, de la construction des immeubles, de l’attribution et de leur réfaction ».
Le gouvernement possède la quasi-
totalité du territoire et offre « des baux emphytéotiques de 99 ans ».
De nombreuses sociétés d’État génèrent d’importants revenus en remplissant
« des mandats variés, liés à l’eau potable,
à l’industrie, à la finance, aux activités portuaires, etc. »
Alexis Riopel note comment chaque centimètre carré de l’île est mis à profit, comment cette cité-État est un véritable laboratoire de densité urbaine. Il écrit que « la myriade de tours, toutes numérotées, ressemblent à un bout de jupon communiste qui dépasse sous la robe néolibérale de Singapour ».
Il y a une théorie selon laquelle la popu-lation se détache de ses lieux d’enfance et de son histoire. « Elle remet tout entre les mains de l’État. En contrepartie, ce dernier lui assure la prospérité, lui offre un meilleur logement, crée une ville toujours plus belle, plus verte. »
En raison du manque d’espace, le nombre
de voitures est très contrôlé. Les droits d’immatriculation et les taxes sont très élevés. Une Toyota Corolla coûte 140 000 $, une Mercedes-Benz va chercher dans
les 240 000 $.
Les singapouriens aiment manger à l’extérieur. Chaque jour, ils se regroupent dans des hawkers centers, sortes de foires alimentaires très populaires. « Il fait bon d’engloutir à petit prix des mets chinois, malais, indiens, italiens, américains, turcs
ou japonais ».
À noter que ce petit pays produit moins
de 10 % de la nourriture consommée par presque six millions d’habitants. On importe le poulet du Brésil et les œufs de la Pologne. La viande est cultivée en laboratoire grâce
à des cellules animales.
Ce petit ouvrage, composé de chroniques parues d’abord dans Le Devoir en 2022, démontre comment « une cité-État peu démocratique » n’a pas eu le choix d’innover sur une foule d’aspects « pour composer avec son territoire et
ses ressources limitées ».
Colleen Cambridge, Petits meurtres chez Agatha, roman, France, City Éditions, 2023, 320 pages, 31,95 $.
Une personnalité réelle dans une fiction
Dès le premier jour des festivités dans la somptueuse résidence d’Agatha Christie, un homme est retrouvé assassiné dans la biblio-thèque. Ainsi commence Petits meurtres chez Agatha, de Colleen Cambridge. Comme l’enquête de Scotland Yard piétine, c'est
la gouvernante de la célèbre romancière qui prend les choses
en main.
À l’exception d’Agatha Christie et de son mari Max Mallowan, tous deux discrets dans ce polar, le lieu, le personnel et les meurtres relatés sont purement fictifs. Née Agatha Miller en 1890, la créatrice d’Hercule Poirot a épousé Archibald Christie en 1914; deux ans après la mort de ce dernier, Max Mallowan est devenu son second mari. Agatha Christie est décédée en 1976.
La gouvernante et principale protagoniste
se nomme Phyllida Bright, Elle est fort intelligente (bright) et ce qu’elle dit est « parole d’évangile ». Bien qu’il n’y ait pas assez de temps dans une journée pour administrer une maison et pour élucider
un meurtre, Phyllida est capable d’un tel exploit. Elle ne se laisse jamais dominer par ses émotions.
Colleen Cambridge écrit que, « à en en croire ce bon vieux Sherlock Holmes –
que Phyllida trouvait nettement moins intéressant que le fringuant Poirot –,
les coïncidences n’existaient pas quand
on enquêtait sur un crime. » Il n’y a pas d’obstacle pour une gouvernante qui sait fouiner, au point d’inquiéter sérieusement
le ou la coupable.
Rendu à la page 139, il n’y a toujours pas
de suspect, ni personne ayant un mobile. « Tout allait à vau-l’eau à Mallowan Hall. » Et voilà qu’un second meurtre survient sur les lieux de ce manoir dans la charmante petite bourgade de province, loin de Londres.
L’intrigue se corse lorsque Phyllida découvre des photos montrant « deux hommes en train de faire hum-hum […] de se tripoter ». Ce n’est pas le genre de chose qu’une femme de ménage aime voir durant son quart de travail. Aux yeux de Phyllida, lorsque deux adultes consentants se livrent à des échanges intimes, cela ne regarde qu’eux.
Ici et là, l’auteure glisse des références à Hercule Poirot et à Miss Marple, personnages emblématiques des romans policiers d’Agatha Christie. Lorsqu’elle note que les échanges et les relations entre les différents protagonistes permettent de faire la lumière sur la psychologie des uns et des autres,
elle précise qu’il s’agit là « d’un exercice dans lequel Poirot et Miss Marple excellaient ».
L’inspecteur de Scotland Yard et le sergent de l’endroit pataugent lamentablement.
C’est la gouvernante qui leur fournit tous les indices pour faire avancer l’enquête.
« Je n’ai eu d’autre choix que de me rendre à l’évidence, et de faire en sorte de résoudre au plus vite cette affaire. »
Le style est coloré. Ainsi, la cuisinière
manie le hachoir « avec la détermination d’un bourreau qui coupe des têtes ». Une personne hurle « comme une harengère » et un autre beugle « comme une corne de brume ». Quant à la tignasse rebelle d’un personnage, elle s’accorde bien « avec son tempérament d’ours mal léché ».
Colleen Cambridge a publié une trentaine
de livres dans des genres différents. Elle est une historienne accomplie dont les ouvrages séduisent autant les amateurs de fiction historique que de romans policiers.
Lauren Malka, Mangeuses : histoire de celles qui dévorent, savourent ou se privent à l’excès, essai, Paris, Éditions Les Pérégrines, coll. Genre, 2023, 284 pages, 38,95 $.
La bouffe,
d’Ève au guide Michelin
La journaliste française Lauren Malka a la passion des mets,
des mots et de la philosophie. Cela l’a conduite à mener une enquête très fouillée et à publier Mangeuses : histoire de celles qui dévorent, savourent ou se privent à l’excès.
D’entrée de jeu, on y lit que l’acte de manger ne procure pas systématiquement de la joie pour tout le monde. Besoin primitif, l’alimentation peut affecter le corps en y imprimant les pressions sociales de chaque époque.
Si l’alimentation « se révèle une zone d’entraînement à la virilité pour les hommes, elle s’impose, pour de nombreuses femmes, comme un lieu d’enfermement,
de culpabilité, de honte, d’asservissement, voire de maladie grave ».
Malka cite la sociologue Anne Dupuy qui note tout de go un deux poids, deux mesures quand on parle de bouffe. Si un petit garçon aime les produits sucrés, il est plutôt perçu comme « un bon mangeur », mais si une petite fille adopte le même comportement, elle est davantage considérée comme « une gourmande ».
Qui dit bouffe dit aussi gourmandise.
Il y a des études qui affirment la tendance majoritaire des mères à laisser les garçons prendre davantage de temps que les filles lors des premières tétées. Et dès que l’on mentionne le mot gourmandise, on pense aux sept péchés capitaux; ce sont, en ordre de gravité décroissant, l’orgueil, l’avarice,
la luxure, la colère, la gourmandise, l’envie et la paresse.
Jusqu’à Thomas d’Aquin, la plupart
des écrivains, philosophes, médecins et théologiens s’accordaient à considérer
la gourmandise d’Ève comme « le premier péché de l’humanité ». Le récit originel renforce le lien entre les deux vices charnels que sont gula et luxuria,
la gourmandise et la luxure.
Le verdict des théologiens du XIIIe siècle est définitif : « les femmes seront gourmandes, incontrôlables, dangereuses ». Si beaucoup plus tard Molière fait dire à Tartuffe : « couvrez ce sein que je ne saurais voir », aujourd’hui c’est « cachez ce ventre que l’on ne saurait voir ».
Quand les femmes conquièrent de nouvelles positions dans le monde social et politique, le modèle culturel de la minceur prospères. Or, les régimes amaigrissants, dans la grande majorité des cas, entraînent des comporte-ments boulimiques ainsi qu’un effet yoyo, c’est-à-dire une reprise de poids plus importante que la perte initiale.
À Paris, c’est en 1891 qu’une école professionnelle de cuisine et de sciences alimentaires voit le jour; elle est exclusivement réservée aux hommes.
Il faudra attendre 1980 pour que les femmes y soient admises. « Manger est une affaire sérieuse, avec laquelle on ne plaisante
pas ! »
Dans le chapitre intitulé Gourmettes vs Gastron-hommes, on clame haut et fort
que la gastronomie est un milieu de gros machos. Sur les 600 tables étoilées du guide Michelin en 2016, seulement 17 étaient tenues par des femmes, soit 2,8 %.
Les hommes sont critiques gastronomiques alors que les femmes sont journalistes culinaires.
L’alimentation ou la gastronomie figure abondamment dans la littérature. Quand Henry Miller publie Under the Roofs of Paris, il campe un personnage qui semble incapable de parler de sexe féminin sans métaphore fruitière, ni de sécrétion vaginale sans analogie avec le miel.
Chez Émile Zola, l’oncle Bachelard n’accepte aucune femme aux repas luxueux qu’il offre à sa bande de gastronomes. « Les femmes ne savent pas manger, rappelle-t-il : elles font du tort aux truffes et gâtent la digestion. »
Jusqu’au siècle dernier, on ressassait des arguments archaïques comme « à cause
de leurs règles, le goût des femmes est fluctuant. C’est pour cette raison qu’elles ne peuvent pas être maîtres sushis. » Comme on le sait, la viande est considérée comme un aliment viril; on associe les hommes au barbecue.
L’ouvrage de Lauren Malka est extrême-ment fouillé (bibliographie de 14 pages).
À préciser que les enquêtes qu’elle mène, les références qu’elle cite et les exemples qu’elle donne sont largement liés à
la France.
Jean-Philippe Bernié, La punition, roman, Montréal, Les Éditions Glénat Québec, 2023, 224 pages, 26,95 $.
Romans
à plusieurs mains
Certains se demandent parfois comment un auteur ou une autrice écrit son roman. En suivant
un plan ? En travaillant à certaines heures seulement ? En sirotant
un verre de vin ou en grignotant des noix d’acajou ?
Je ne sais pas comment Jean-Philippe Bernié a écrit La punition, mais son personnage principal est une illustre romancière qui procède de manière assez peu conven-tionnelle. Sa méthode fait sourciller, voire vitupérer.
Ce personnage est Grace Davenay Lockhart, écrivaine américaine installée dans la région de Montréal. Sa saga House of Dancastre a connu un succès fracassant. Monica Réault a lu tous les tomes dans
sa jeunesse et est ravie de rencontrer l’auteure lors d’une conférence.
Après quelques rendez-vous, Grace engage Monica comme assistante littéraire pour s’occuper de la revue Fictions du passé,
du présent et du futur, version anglaise et française. La jeune femme prend un vif plaisir à évaluer et sélectionner les textes reçus.
Quand Grace formule des suggestions, tant sur le plan littéraire que sur le plan social, elle s’attend à être obéie. Ses livres et son magazine sont la seule chose qui l’intéresse. « Le jour où quelqu’un déclenchera
la troisième guerre mondiale et fera six milliards de morts, elle se plaindra que
ça retarde sa date de parution. »
Grace se consacre à un nouveau tome
de House of Dancastre. Elle regarde son manuscrit « comme un alcoolique regarde une bouteille de vodka ». Appelée à collaborer également au roman en chantier, Monica apprend que, pour chaque tome, Grace prépare des synopsis, des plans plus ou moins détaillés d’environ soixante pages, et confie ensuite la rédaction aux « petites mains » d’une équipe qui pond quatre cents pages qu’elle révise en bout de ligne.
Depuis plus de cinquante ans, Grace s’est toujours réfugiée dans ses histoires, dans
un univers où « il ne s’y passait que ce
que je voulais qu’il s’y passe ». Bien que la romancière excelle dans l’art de décortiquer les émotions de ses personnages, elle demeure peu sensible, voire indifférente,
aux émotions des autres dans la vraie vie. Elle traite Monica comme une servante.
La jeune assistante (35 ans) imagine une stratégie pour que les gens commencent à s’indigner « du fait qu’une célébrissime et prolifique écrivaine puisse signer des romans qu’elle n’avait pas écrits ». Or, il n’est pas facile de déjouer un manipulateur.
Il faut plusieurs outils dans son coffre.
Et le combat n’est pas toujours à armes égales.
En lisant La punition, j’ai pensé à certains écrivains un peu trop prolifiques pour être rassurants. En une dizaine d’années, Michel David a publié au moins 26 romans historiques de 400 à 550 pages chacun.
Le dernier est paru en 2014. Or, David est décédé en 2010. Difficile de ne pas songer
à des « petites mains » collaboratrices…
Pour ma part, j’ai publié une cinquantaine de livres, dont seulement deux en collaboration. Je n’en ai jamais écrit un
au crayon ou à la plume. J’ai souvent commencé à rédiger un chapitre à l’encre… pour bloquer au bout de deux ou trois pages. Dès que je transcrivais mon ébauche à l’ordinateur, les mots coulaient naturellement, les chapitres s’enchaînaient allègrement.
Quand j’ai écrit Des œufs frappés…, j’avais
un plan de l’intrigue affiché au mur, ainsi qu’une cinquantaine de fiches sur la prohibition, la contrebande et l’histoire locale. Je rédigeais un chapitre le matin
et le révisais l’après-midi. J’ai toujours eu tendance à écrire de façon impulsive.
Rosa Mogliasso, L’irrésistible appel de
la vengeance, roman traduit de l’italien par Joseph Incardona, France, Éditions Finitude, 2023, 248 pages, 38,95 $.
La matriochka littéraire d’une romancière italienne
Dans L’irrésistible appel de
la vengeance, roman de Rosa Mogliasso, une dizaine d’adultes
se rencontrent et produisent, sous
la houlette d’une animatrice, une vingtaine de chapitres d’un polar. Nous lisons donc un roman dans
un roman. Nous avons entre
les mains une poupée russe ou
une matriochka littéraire.
L’action du roman se déroule à Turin (Italie) et la narratrice est Amanda. À sa naissance, elle fut baptisée Amata (aimée). À treize ans, elle change son nom pour Amanda (celle qui aime). À cinquante ans, cette autrice sur le déclin anime un atelier sur l’art d’écrire un polar.
Amanda impose des règles comme « il faut au moins deux cadavres » et « le crime ne doit pas être commis par des professionnels du milieu » (Mafia, Narcos, Camorra). Assassin et victime doivent se connaître : « on ne tire pas dans le tas ». Avidité jalousie luxure et toutes les émotions qui « chauffent la culotte » sont bienvenues.
Pour réussir un polar, il faut laisser le lecteur dans une situation d’ambiguïté qui requiert une participation active de sa part à la construction de scénarios possibles. « Rappelez-vous que dans un polar, il est important que diverses pistes aient du potentiel, au lecteur ensuite de décider
ce qu’il néglige ou ce qu’il retient. »
Curieusement, il est mentionné que les adverbes ne sont pas les amis d’un écrivain. Leur utilisation serait un indice qu’on a « manqué de précision, de subtilité, dans
la manière de représenter l’action ». Ceci dit, la romancière a recours à cinq adverbes dans les sept pages suivantes !
D’une rencontre à l’autre, l’animatrice de l’atelier offre ses brefs secrets d’écriture. Selon elle, la possibilité de jeter sur papier des choses politiquement incorrectes est
le seul acte de résistance à la portée de l’écrivain.
Rosa Mogliasso estime que le suspense est une sorte de pacte de communication entre l’auteur et le lecteur au détriment des personnages. Ceux-ci doivent cependant nous surprendre, et pour cela, il faut savoir se plier aux volontés de la Muse.
L’autrice glisse de très nombreuses références à des auteurs célèbres. D’après Hemingway, écrit-elle, il faut écrire en
étant soûl et corriger une fois sobre.
Elle mentionne Shakespeare (Othello), Louis-Ferdinand Céline (Bagatelle pour
un massacre), Henry James (Portrait of a lady), Alexandre Dumas (Le Comte de Monte-Cristo), Pirandello (Six Personnages en quête d’auteur) et Italo Calvino
(Les Leçons américaines).
Lorsque la romancière explique la possibi-lité de terminer un chapitre avec un événement dont l’issue est incertaine, elle appelle ce procédé cliffhanger et souligne que « le terme décrive d’un feuilleton de l’écrivain anglais Thomas Hardy, A Pair of Blue Eyes ».
Le roman regorge de mots qui ont paru
en français dans le texte original italien.
En voici quelques exemples : gratin, je vous ai compris, grasse matinée, le mot juste, feuilletons, j’accuse. Il y a même des phrases complètes : « la recherche des traces n’est fructueuse que dans la mesure où elle
est immédiate » ou encore « le temps qui passe, c’est la vérité qui s’enfuit ».
J’ai publié des romans de facture historique, psychologique ou homoérotique. Jamais
de polar. Rosa Mogliasso ne me donne pas le goût d’explorer cette avenue.
Sophie Bordet-Petillon, Livres, album illustré par Noelia Diaz Iglesias, Paris, Éditions Kilowatt, 2023, 32 pages, 26,95 $.
Un condensé
sur l’histoire du livre
Un livre permet de vivre
des aventures, de voyager, de passer du rire aux larmes, du frisson à
la passion. Il peuple nos pensées
de mille personnages et paysages. Mais d’où vient-il et comment
le fabrique-t-on ?
Dans Livres, Sophie Bordet-Petillon raconte son histoire. Elle note d’abord que l’écriture remonte à 5 000 ans, au Moyen-Orient.
Les scribes utilisent d’abord un roseau taillé pour graver des blocs d’argile, puis on écrit sur le papyrus, ensuite sur le parchemin.
Les livres sont d’abord fabriqués un à un,
à la main.
Le papier est né en Chine il y a 2 000 ans. Il est d’abord fait de fibres de plantes ou de vieux tissus. Ce n’est qu’en 1440 que l’Allemand Gutenberg invente l’imprimerie. Les presses rotatives sont créées au XIXe siècle. Toutes les couleurs sont possibles en mêlant le jaune, le bleu et le rouge au noir.
Ce n’est qu’au XXe siècle que les couver-tures souples remplacent les couvertures rigides. « On imprime des couvertures vernies, argentées ou dorées, des livres en plastique ou en tissu, des pages animées, découpées ou en relief, des textes en braille ou accompagnés de musique… Quelle créativité ! »
Grâce au format poche et à la traduction,
les livres n’ont jamais autant voyagé. Derrière cet objet universel, il y a un éditeur, un chef d’orchestre qui dirige
le travail de l’auteur, de l’illustrateur, du correcteur, du graphiste, de l’imprimeur
et du distributeur. Les librairies et les bibliothèques rendent les livres accessibles.
On pourrait aussi souligner le rôle des salons du livre et des bouquinistes (livres usagés) dans la diffusion des romans, recueils de poésie ou de nouvelles, récits, essais, pièces de théâtre, biographies et albums jeunesse.
L’informatique et Internet jouent un rôle
de premier plan depuis la fin du XXe siècle. Le livre numérique dispose de plusieurs plateformes : ordinateur, tablette, liseuse, smartphone. Pour ma part, je préfère tenir l’objet dans mes mains, tourner les pages, souligner des passages… pour vous écrire ensuite une recension.
Monstres et fantômes, collectif sous la direction de Stéphane Dompierre, nouvelles, Montréal, Éditions Québec Amérique, coll.
La Shop, 2023, 352 pages, 22,95 $.
Un buffet d’horreurs
Un collectif de quinze écrivaines relève le défi d’écrire une nouvelle dans un genre qui ne leur est pas habituel : l’horreur. Le résultat est Monstres et fantômes, une preuve que Patrick Senécal n’est plus le seul à occuper ce créneau au Québec.
J’avoue, au départ, ne pas connaître ces quinze auteures : Mélikah Abdelmoumen, Jade Bérubé, Fanny Bloom, Stéphanie Boulay, Catherine Côté, Fanie Demeule, Marie Demers, Laurence Gough, Geneviève Jannelle, Marie-Hélène Larochelle, Véronique Marcotte, Maude Nepveu-Villeneuve, Mikella Nicol, Erika Soucy, Mélissa Verreault.
Ce qu’elles racontent n’est évidemment pas des « belles histoires où les demoiselles
en détresse se font sauver par des bons samaritains ». Nous sommes souvent plongés dans une nuit froide « avec une odeur de feuilles mortes et d’arbres morts
et de cadavres ».
Catherine Côté campe une femme dans
une pièce où les murs sont recouverts de papier-peint fleuri. Quand elle les regarde, les fleurs se transforment en bouches béantes qui s’ouvrent de plus en plus grandes pour… l’avaler.
Quand quelqu’un sert des crudités,
on s’attend souvent à tremper des bâtons
de céleri, carotte ou zucchini dans une trempette aux fines heures. Marie-Hélène Larochelle signe une nouvelle intitulée Crudité et l’action se déroule à Toronto,
dans le loft d’une maison victorienne sur
la rue Borden au nord de la rue College.
Des femmes sado-maso traquent un homme sur le site de rencontre Tinder. Elles le forcent à avaler des bouchées inédites : feuilleté menstrues, omelette au sperme, macaron cyprine, ganache de selles. Leurs ingrédients n’ont pas de limites; elles ont accès à des placentas et à des membranes ovulaires, une niche qu’elles souhaitent développer davantage.
Dans Le chat noir et autres contes, la protagoniste de Maude Nepveu-Villeneuve ne sait pas si elle est tombée sur un illuminé qui s’amuse à la faire paniquer pour se désennuyer, mais chose certaine, elle lui fournit toutes les idées sur un plateau d’argent. « Ça m’apprendra à faire lire des contes d’horreur à des jeunes impressionnables et à me féliciter ensuite quand ça leur fait de l’effet. »
Petite précision sur cette auteure. Il arrive encore à Maude Nepveu-Villeneuve de faire de l’insomnie parce qu’elle a parlé du film The Shining avec son chum avant de se coucher.
Mélissa Verreault, pour sa part, a toujours détesté les films d’horreur. Elle n’est pas à une contradiction près lorsqu’elle accepte l’invitation d’écrire une nouvelle qui fait peur. « À l’instar de son personnage,
elle hallucine souvent des affaires, comme des animaux machiavéliques dans les marbrures de la céramique de la salle de bain ou des femmes à barbe dans les reliefs en plâtre du plafond de chez sa grand-mère. »
Je parie que certaines des auteures de
ce collectif récidiveront, car leurs mots s’emboîtent ou s’arriment souvent pour créer d’étonnantes phrases terribles où
les monstres défient les humains.
Robert Major, Identité, appartenances,
Un parcours franco-ontarien, essai, Ottawa, Les Presses de l’Université d’Ottawa, 2023, 130 pages, 21,95 $.
Parcours franco-ontarien d’une « tête bien faite »
Franco-Ontarien de naissance, Québécois d’élection, Robert Major
a toujours travaillé à Ottawa.
Il partage son cheminement dans Identité, appartenances, un essai
que j’ai pleinement savouré parce qu’il faisait souvent écho à
mon propre parcours.
Dès les premières pages, l’auteur souligne que toute vie humaine contient des pépites ou des filons, « d’où notre intérêt pour
le récit de vie ». À la fin de l’ouvrage,
il précise que son essai est mi-autobiogra-phie, mi-mémoriel, mi-historique et mi-réflexif. Cela fait plusieurs demis et rend
le texte d’autant plus percutant.
Originaire de New Liskeard, sur les bords
du lac Témiscamingue, Robert Major est né le 22 mars 1946. Il a grandi, comme moi, avec Gene Autry, Hopalong Cassidy, Roy Rogers, Laurel and Hardy, Three Stooges
et Perry Como.
Son premier lieu d’appartenance demeure néanmoins l’Ontario français, « à son corps défendant ». C’est à l’âge de 16 ans qu’il découvre vraiment sa fibre identitaire en participant au célèbre Concours de français et en devenant le lauréat provincial au niveau secondaire en 1962.
Au sujet de cette compétition, LE concours par excellence, il écrit qu’on fêtait
« la survie et la vitalité de langue française, sa vigueur sans cesse renouvelée, gage d’une pérennité problématique mais ardemment souhaitée ».
Comme lauréat, Robert Major reçoit une bourse pour quatre années de cours classique au Petit Séminaire d’Ottawa.
Il se dirige ensuite vers l’Université d’Ottawa et y passe quarante-cinq ans, d’abord comme étudiant aux études supérieures, puis comme professeur et gestionnaire.
À ses yeux et avec un brin de nostalgie,
le cours classique était un univers de lectures, de réflexions et d’émulation d’une grande intensité, C’était une formation générale pour une « tête bien faite ».
L’auteur et moi avons fréquenté la Faculté des arts de l’Université d’Ottawa à la même époque, lorsque le père Joseph-Marie Quirion était doyen, lorsque le père Roger Guindon était recteur. L’institution se voulait alors « francophone sans ambiguïté aucune ». On n’y enseignait cependant pas encore la littérature québécoise, encore moins la littérature ontaroise.
Produit et cadre de l’Université d’Ottawa, Major en fait l’éloge, bien entendu. Il ouvre une longue parenthèse au sujet de l’Université de l’Ontario français (UOF), qui ne lui « semble aucunement répondre aux besoins de la collectivité et dont les chances de succès sont pour le moins douteuses ».
Il estime que l’UOF demeure « une université bancale, créée de toutes pièces, sans orientation précise et dans le scepticisme le plus total des observateurs, sauf pour un petit groupe d’idéologues ».
Il va même jusqu’à parler d’un « château en Espagne » qui attire présentement qu’un petit nombre d’étudiants étrangers et quasi aucun élève franco-ontarien. « Ce château inhabité risque de devenir coquille vide ou ruine, à courte échéance ».
La conclusion de ce court essai de 130 pages souligne comment on assiste désormais à un retour de la désignation de « Canada français ». Autrefois honni comme étendard ethnique, le concept de Canada français est toujours là. « Il faudrait peut-être prendre acte de son potentiel si on veut sortir de la déprime nationaliste actuelle et du découragement occasionné par chaque nouveau recensement de Statistique Canada. »
Je signale, en terminant, que cet essai
est truffé de nombreuses références à
des écrivains de diverses époques. Cela va de Montaigne à Lionel Groulx, en passant par Laurence Sterne (18e siècle), François-Xavier Prieur et Tocqueville (19e siècle), Jean Genet, Gérald Godin, Antoine Gérin-Lajoie, Gérard Bessette, Paul Chamberland, Cornelius Jaenen et Roger Bernard, entre autres.