21 mars 2023

Annie Gilbert et Julie Brodeur, J'explore l’Ouest canadien – Mon premier guide
de voyage, Montréal, Guide Ulysse, 2023,
112 pages, 6 cartes, 19,95 $.
Découvrir l’Ouest canadien tout en s’amusant
Après la France, le Québec et
les Caraïbes, Edgar et Julie explorent maintenant un autre coin de notre pays. Julie Brodeur et Annie Gilbert proposent un premier guide
de voyage intitulé J’explore
l’Ouest canadien.
Cet ouvrage magnifiquement illustré et ponctué d’informations surprenantes, de jeux amusants et de savoureuses anecdotes, s’adresse aux enfants de 7 à 11 ans.
Au menu on trouve évidemment les montagnes Rocheuses ainsi que les villes
de Winnipeg, Regina, Calgary, Vancouver
et Victoria. Histoire, nature et culture font l’objet de plusieurs jeux.
Le guide revêt un aspect ludique. Il y une ribambelle de petits quiz, des charivaris, quelques charades, des descriptions auxquelles il faut associer le bon dessin ou la bonne photo, et des capsules Le savais-tu ?
On traverse la Manitoba, la Saskatchewan, l’Alberta et la Colombie-Britannique.
La superficie de la province augmente chaque fois, passant de 648 000 km2 à
651 000 km2, à 662 000 km2 et à 945 000 km2.
Dans un bref survol historique, on note
la fondation de la Compagnie de la Baie d’Hudson en 1670, la première traversée
des Rocheuses en 1792, la ruée vers l’or en C.-B. (1865), puis la ruée vers l’os ou
les squelettes de dinosaures (1911),
la construction du chemin de fer Canadien Pacifique en 1885, la découverte du pétrole en 1902 et els Jeux olympiques d’hiver à Calgary (1988) et Vancouver (2010).
Le plus intéressant se trouve souvent dans des détails somme toute peu importants mais assez fascinants. En voici quelques exemples : le parc provincial d’Athabasca
a la plus grande dune au Canada (30 m de hauteur); l’Alberta est « le seul territoire au monde ayant réussi à repousser les rats »; le parc national Wood Buffalo (Alberta) abrite le plus grand barrage de castors au monde.
Le guide prévient qu’il ne faut pas s’étonner « d’entendre parler français à Winnipeg ». On souligne le Festival du Voyageur,
la Maison Gabrielle-Roy et « une soirée cinéma sous les étoiles dans les jolies ruines de la cathédrale » de Saint-Boniface.
Deux pages sont consacrées à la différence entre le grizzli et l’ours noir. Le premier
vit seulement entre le Pacifique et les Rocheuses, alors que le second vit dans toutes les forêts du Canada. Le grizzli a
une bosse sur l’épaule, de petites oreilles rondes et de longues griffes (10 cm). L’ours noir n’a pas de bosse, a de grandes oreilles pointues et de petites griffes (4 cm).
Les Prairies étaient autrefois couvertes de glaciers, puis ils ont lentement fondu, l’eau ayant sculpté d mystérieux plateaux, buttes et piliers (certains nommés cheminées de fées ou hoodoos). Dans les sentiers du Writing-on-Stone Provincial Park (Alberta), on peut observer ces cheminées, mais aussi des pétroglyphes et peintures rupestres
dont certaines ont près de 2,000 ans.
La dernière section du guide porte sur les Premières Nations. Il est question de totems, de pow wow et potlatch, de nation métisse, de certains musées ou sites historiques, ainsi que de vérité et de réconciliation, bien entendu.
Enfin, Edgar et Julie initient les jeunes aux spécialités culinaires de l’Ouest canadien.
Ils les invitent à des aventures en pleine nature et leurs fournissent une foule de bonnes adresses.
16 mars 2023

Tess Alexandre, Amour(s), récits illustrés
par Camille Deschiens, Paris, Les Éditions des Éléphants, 2022, 92 pages, 24,95 $.
Treize récits sur
la pluralité des sentiments
En amour, il est parfois difficile d’assumer et de vivre sa différence. Les étiquettes peuvent bouleverser, brimer, blesser. En signant Amour(s), Tess Alexandre propose treize récits sur la pluralité des sentiments. Chaque texte porte le prénom
d’une personne qui vit
une question d’identité.
Dans le premier récit, Imane prend conscience « de tout ce que poser
ses lèvres sur celle d’une fille pouvait impliquer ». Est-elle prête à affronter
les regards et les jugements des gens qui l’entourent…? Imane est encombrée de doutes, mais portée par un désir de revoir Alba.
Gaël dit à son père qu’il aime les filles et
les garçons. Papa accepte mal l’idée que son petit garçon « n’est pas celui qu’il a projeté, imaginé, pensé, espéré ». Il se dit que c’est sans doute une passade. La réalité, c’est que papa est moins ouvert qu’il ne l’imaginait. Ne doit-il pas dire à son fils « qu’il l’aime, envers et contre tout »…?
Cléo ne ressent aucune attraction, aucun désir, aucune envie. Elle tombe souvent amoureuse, mais c’est toujours la même chose, « comme si l’attraction physique
était l’unique condition pour aimer ». Dans un monde où aimer est si normé, il lui semble difficile d’être comprise.
Fatia est Noire et aime un Blanc. La réaction de son père est cinglante : « Tu crois qu’on a fait tout ça avec ta mère pour que tu finisses mariée à un Blanc ? Tu comprends vraiment rien. » Cela ne l’empêchera pas
de choisir une vie différente de celle de
ses parents, « mais tout aussi réelle.
Et peut-être même qu’ils accepteront,
quand un peu de temps sera passé,
d’en faire partie aussi. »
À l’école, Solal est traité de pédale.
S’il m’approche, dit un garçon, il est mort ! Lorsque la télé diffuse un reportage sur
le mariage pour tous, la mère de Marco
dit à son fils : « heureusement, toi, t’es pas homo ». Et si ? Le lendemain, à l’école, Marco voit Solal assailli d’insultes et de moqueries. Marco l’approche et ose lui
dire qu’il le comprend.
Plus loin, Solal a droit à son propre récit.
Il raconte qu’on le traite de tapette, de femmelette, de sale pédé. « Tu mériterais d’être brûlé. » On apprend que ses parents l’ont pourtant soutenu dès qu’ils ont su à propos de sa différence, ses sœurs aussi. « Tout cet amour lui a donné la force
d’être lui, enfin. »
Rebecca appelle sa grand-mère pour lui dire qu’elle aime une fille. C’est important pour elle de partager cette réalité avec mamie. La réaction est prompte : « Mais alors, ma Becca, tu n’auras pas d’enfants ? »
La discussion se poursuit, et la petite-fille explique qu’elle aimerait beaucoup avoir des enfants, fonder une famille avec son amante. « C’est vrai que c’est pas simple, mais les choses avancent, et j’ai une chance d’y arriver ! »
Jo fréquente Ana depuis un mois. Elle est loin de tout savoir à son sujet : « son enfance douloureuse, à l’étroit dans une vie dont il ne voulait pas, ce bout de tissu qui
le comprime, là, sous son tee-shirt, qui lui fait un torse plat, droit, qui le fait se sentir un peu plus lui la journée ».
Si Jo le dit à Ana, que va-t-elle penser ? Croira-t-elle « qu’il usurpe sa propre réalité ? qu’il lui a menti sur ce qu’il est ? Que va-t-elle penser de sa différence ? Va-t-elle encore le voir comme avant,
comme maintenant ? »
L’ouvrage s’adresse aux adolescents, mais
la lecture d’Amour(s) enrichira parents et enseignants.
11 mars 2023

J.L. Blanchard, La Constellation du chat :
une enquête de Bonneau et Lamouche, roman, Montréal, Éditions Fides, 2023,
364 pages, 29,95 $.
Un chat qui voit rouge
Après Le Silence des pélicans et
Les Os de la méduse, J.L. Blanchard nous offre une nouvelle enquête policière de Bonneau et Lamouche en signant La Constellation du chat. Un tueur en série signe ses crimes en dessinant un chat en rouge.
Dès le 8e chapitre sur 63, l’auteur met en scène un certain Félix qui revient à plusieurs reprises dans la narration. On se doute bien qu’il s’agit du tueur en série, mais qu’est-ce qui le pousse à agir. Il existe des gens qui ont parfois « un motif raisonnable de faire des choses déraisonnables », et c’est ce que Bonneau
et Lamouche doivent découvrir.
La première victime est un politicien dont « le goût du pouvoir coulait à flots ininterrompus dans ses veines ». Il cultive l’art de se faire des ennemis. Il défend des idées à contre-courant, qui ne font pas l’affaire de bien des gens. Blanchard écrit que « pour réussir en politique, il faut ou bien savoir tirer avantage des circonstances ou bien les provoquer ».
À lui seul, le lieutenant Bonneau fait
couler beaucoup d’encre. Il a eu un accident et se déplace à l’aide d’une béquille.
On lui demande s’il n’a pas aussi obtenu
des béquilles pour son cerveau ou
« des stéroïdes pour la matière grise ».
Il se contente de prendre de l’air, c’est-à-dire de travailler sur le terrain.
Bonneau déforme constamment les expressions ou les mots. Cela donne
« une vérité de la police » (Palice);
les aisselles deviennent les selles; il écrit « victimes qu’au latéral », (collatérales).
Il a toujours faim et aime dire que « la justice a le bras long quand elle a l’estomac dans les talons ».
L’inspecteur est prompt à « débiter ton son vocabulaire ecclésiastique » (sacres, jurons). Il s’exprime directement et vertement : « des alibis comme ça, ça ne vaut pas de
la chnoute. Wô les moteurs ! C’est pas à moi qu’on va faire avaler n’importe quoi! »
Blanchard décrit un inspecteur qui, malgré les blagues circulant à son propos, malgré les travers qu’on lui connaît, se démène « avec une rare énergie qui dépassait
le simple sens du devoir ».
Revenons au tueur, au maniaque à
la bombe. Il ne se contente pas de mettre à mort ses proies; il s’arrange pour que tout
le monde le sache. C’est le but du sigle qu’il laisse bien en vue : le dessin d’un chat fait avec « des bonbonnes de peinture de la marque W-Tone, couleur rouge Sangria ».
Ce tueur est insaisissable comme… un chat. On se dit que, tôt ou tard, ce chat de gouttière commettra une erreur, sauf que
le temps n’est pas un luxe dont disposent les enquêteurs Bonneau et Lamouche.
Le prénommé Félix se fout royalement de finir ses jours en prison ou même sur
une chaise électrique. La seule chose qui l’inquiète vraiment, c’est qu’on l’arrête avant qu’il n’ait terminé sa mission. « Ça, il ne pourrait le supporter. » Or, combien d’hommes ou de femmes figurent sur
sa liste de gens à abattre…?
J.L. Blanchard réussit encore une fois à multiplier et brouiller les pistes, à nous tenir en haleine pendant plus de 350 pages tout en dosant avec brio criminalité, psychologie et humour.
28 février 2023

Jean Mohsen Fahmy, Par-delà les frontières, roman, Ottawa, Éditions David, 2023,
200 pages, 23,95 $.
Tourtière ou pizza, Canadien ou Italien
Dès le début du XXe siècle,
des milliers d’Italiens émigrent
au Canada. À Montréal et en banlieue, où ils s’installent dans
des quartiers ouvriers, ils sont perçus avec une certaine crainte
par les Canadiens français. Voilà
ce qui ressort du tout dernier
roman de Jean Mohsen Fahmy,
Par-delà les frontières.
Parce que « Mussolini est un bon ami,
un chum d’Hitler », et en raison de
la montée du fascisme en Italie, les relations entre les Canadiens français et les immi-grants italiens au Québec demeurent tendues. Les uns et les autres ne se fréquentent pas, ne se connaissent pas.
Les immigrants disent que « le Canada,
c’est bien beau, mais l’Italie, c’est plus beau encore! »
L’auteur met en scène un jeune Canadien français prénommé Mario et une jeune fille de souche italienne prénommée Carlotta.
Ce n’est pas un hasard que Mario soit
un prénom courant dans l’une comme dans l’autre communauté. Mario de Verdun est attiré par Carlotta de Ville-Émard.
Les salutations entre ces deux personnages passent rapidement de chaleureuses à séduisantes. Un « p’tit bec » devient
un « baiser long et doux ». La première
fois que Mario tente de caresser les seins
de Carlotta, il essuie un refus « parce que c’est un péché… un péché mortel ».
Quand la Seconde Guerre mondiale éclate
et que des Italiens sympathiques à Hitler tuent des soldats canadiens-français en Europe, les deux familles se demandent s
i les amoureux peuvent honnêtement continuer à se voir. Rien de mieux que
d’en discuter autour d’un repas composé d’une tourtière bien garnie de viande et d’une pizza au fromage.
Le péché mortel est vite relégué aux oubliettes et Carlotta tombe enceinte avant même d’épouser Mario. Chose surprenante, sa grossesse est assez facilement acceptée par les deux familles. Le couple aura deux enfants : Cécile et Antonio. Certains Italo-Canadiens changent leurs noms pour mieux s’intégrer. Magella devient Major, Pietro Talotti devient Pierre Talon.
Il est beaucoup question de la conscription, de l’enrôlement obligatoire dans l’armée. Après mûres réflexions, Mario n’attend pas un ordre, il joint les rangs de l’armée canadienne et aboutit chez les Anglais pour un entraînement, « les vrais, pas ceux de Verdun. Et puis, après cela, sus aux nazis!
Ils vont découvrir avec frayeur les Canadiens. »
Lors de la Seconde Guerre mondiale,
le Royal 22e Régiment est mobilisé et s’embarque pour l’Angleterre. Il passera
la quasi-totalité du conflit sur le front italien, débarquant en Sicile dès juillet 1943 et se retirant du nord de l’Italie en février 1945. De mars à mai 1945, le Régiment fera partie de la Première armée canadienne
qui combat aux Pays-Bas et en Allemagne. Tout ceci est vécu par Mario.
Jean Mohsen Fahmy se sert souvent
des dialogues pour véhiculer des renseignements sur la guerre, notamment sur les lieux de débarquement. Il a recours aussi à l’échange de lettres entre les deux amoureux. Cela rend la narration plus dynamique. On se demande parfois si Mario agit par bravoure ou par bravade…
19 février 2023

Jean-Pierre Charland, Maître chez soi,
tome 1, Le déracinement, roman, Montréal, Éditions Hurtubise, 2023, 346 pages, 26,95 $.
Du Québec rural
au Québec urbain
Depuis 2004, soit en moins de vingt ans, Jean-Pierre Charland a publié une cinquantaine de romans,
le plus souvent des sagas en trois ou quatre tomes au sujet de familles québécoises dans les années 1890-1930. Son plus récent ouvrage, Maître chez soi, campe une famille qui quitte la campagne pour s’installer à Verdun en 1961.
La famille en question est composée du père Romain, de son épouse Viviane (née Ruest), du fils Antoine (17 ans) et de la fille Marie-Paule (16 ans). Chacun vit à sa façon « Le déracinement », titre du premier tome de cette nouvelle saga.
Viviane croit que « la religion s’en va chez l’diable, en ville ». Elle est heureuse de se rapprocher de son frère qui est curé de leur nouvelle paroisse. Ce dernier est un oiseau rare, « un représentant de Dieu qui prêche l’autonomie pour les femmes ». Le curé Ruest dit à sa sœur : « ici c’est la ville, et nous sommes en 1961. Ne juge pas les gens en fonction de la mentalité des Annales de Notre-Dame-du-Cap. »
La famille déracinée découvre rapidement que, en milieu urbaine, on ne peut rien
faire sans sortir un peu d’argent. Il faut surveiller de près ses dépenses et redouter les imprévus. Les deux enfants dénichent
un emploi d’été, ce qui les autorise à fréquenter les salles de cinéma. Il faut attendre trois ans avant qu’un film américain arrive en version française.
Ancien agriculteur aux prises avec
des difficulté financières, Romain Chevalier grossit maintenant les rangs
des besogneux de Verdun. Il devient concierge dans un hôpital et hérite du titre de « chevalier de la Moppe ». Rosita,
une femme mourante, demande au concierge de lui fournir du rhum en cachette.
Chaque matin, Rosita attend avec impatience le coup de vadrouille du chevalier qui lui porte une attention de plus en plus soutenue. Est-ce juste de la compassion? L’épouse de Romain croit qu’il la trompe. Marie-Paule, pour sa part, estime que si Rosita occupe une place dans le cœur de son père, c’est que sa mère l’a déjà laissée vide.
Dans ce roman, on prépare des sandwichs au fromage Velveeta et on achète un gallon de vin Saint-Georges. Et lorsqu’une épouse ou une jeune femme se procure de nouveaux vêtements, c’est pour être la plus belle à… l’église. La Révolution tranquille n’est pas encore en marche; rien n’est à l’épreuve d’une soutane.
L’auteur décrit la cérémonie de la prise
du ruban dans les collèges classiques.
La coutume veut que les finissants accrochent un ruban à la poitrine pour indiquer leur choix de carrière. Violet
pour les futurs prêtres, rouge pour
les futurs médecins, bleu pour les futurs avocats, jaune pour les futurs scientifiques…
Jean-Pierre Charland aborde certains thèmes qui lui sont chers, notamment le passage d’un Québec rural à un Québec urbain, l’omniprésence de la religion catholique
et la soumission de l’épouse à son mari.
Ce qui est plus accentué ici, c’est le courant de modernité qui fait surface.
6 février 2023

Serge Labrosse, Bordel de vie et autres nouvelles, Montréal, Lévesque Éditeur, 2023, 118 pages, 19,95 $.
Imagination tantôt loufoque tantôt abjecte
Quand Serge Labrosse crée
des personnages, leur esprit et
leurs moindres émotions ou sentiments ne leur appartiennent plus. Il contrôle tout et en fait
montre allègrement dans Bordel
de vie et autres nouvelles, un recueil rythmé pour les adeptes d’histoires dramatiques, touchantes, cocasses, teintées d’humour noir ou d’absurdités.
Ceux et celles qui connaissent mes goûts littéraires savent que, en matière de nouvelles, j’ai une préférence pour les textes courts avec un punch final. J’ai été bien servi par Serge Labrosse. D’une courte nouvelle à l’autre, il poursuit son exploration de la nature humaine par
le biais de récits anecdotiques courts et
très mordants.
Une nouvelle se termine par cette question : « Que serait un village sans rumeurs ? » J’en ai une bonne idée, car j’ai grandi dans une petite localité où une ligne téléphonique était partagée par cinq, six
ou sept abonnés. Le personnage, ici, est une veuve de 70 ans et assez fortunée selon
les rumeurs. Le facteur, le boucher et le curé s’intéressent de près à la septuagénaire. Elle leur réserve une surprise… exotique.
Aucun personnage n’est à l’épreuve de Labrosse, « Mine patibulaire pour les uns. Sourire des beaux jours pour les autres. » Un homme au visage à moitié rasé affiche « un inquiétant symbole de l’affrontement entre le Bien et le Mal ».
En seulement deux pages, le nouvelliste
sait flirter avec le polar. Quand un médecin légiste se présente pour examiner une jeune vierge assassinée, il n’est pas sans remarquer le tableau qu’un artiste a presque terminé. Est-ce que peinture et ADN peuvent parfois loger à la même enseigne… ?
Dans une nouvelle, un photographe devient détective privé chargé de démasquer des types pas réglos. Un travers ou un secret
lui rapporte souvent un pactole, parfois une récompense équivalente dans une alcôve.
Si Labrosse est comme l’oncle Freddy dans une des nouvelles, il aime tremper dans
des affaires louches. Faut évidemment savoir fermer sa gueule. Attendez-vous à des revirements « comme on n’en voit
que dans les romans policiers », ou à
des confessions de crimes sans repentir.
L’éditeur nous invite à lire ce recueil sans modération. La description d’un écrivain nous dit pourquoi : « Nous autres, écrivains, sommes rompus à l’art de faire surgir, nés de rien, des mondes imaginaires. Mondes
de déraison. Il arrive que nos esprits,
à la dérive, créent des univers abjects. »
Journaliste de carrière, d’abord affecté aux affaires criminelles, Serge Labrosse s’est illustré dès ses débuts au Journal de Montréal lors d’une prise d’otages qu’il a gagné à résoudre sans effusion de sang.
À titre de journaliste d’enquête, il a révélé l’existence et l’ampleur des gangs de rue et la situation d’une jeunesse en difficulté.
Il a plus tard dirigé la salle de rédaction
du quotidien.
26 janvier 2023

Michaël Bergeron, Cocorico. Les gars, faut qu’on se parle, essai, Montréal, Éditions Somme toute, 2023, 224 pages, 25,95 $.
Autant de masculinités
que d’hommes
Essayiste aguerri, Mickaël Bergeron lance un cri de ralliement en vue
de remettre en question plusieurs normes et comportements concernant la masculinité. Son essai très documenté s’intitule Cocorico. Les gars, faut qu’on se parle.
Il a écrit ce livre pour « un homme blanc hétérosexuel ». Dès les premières pages, l’auteur affirme que les enjeux ne manquent pas, que ce soit l’image de la virilité ou de la paternité, l’idéal masculin dans le sport ou dans les forces armées, les attentes
dans les relations amoureuses ou dans
la sexualité, les rôles professionnels ou sociaux.
L’auteur souligne que la pression sociale pousse plusieurs adolescents à changer leurs amitiés, leurs intérêts, leurs loisirs, leurs goûts, leurs tempéraments afin
« de coller à l’image qu’on attend d’eux, celle d’hommes virils ».
Dans un monde idéal, Bergeron croit qu’il y autant de masculinités qu’il y a d’hommes. Pimpée à la testostérone et hyper virile serait aussi valide qu’androgyne ou efféminée.
L’homosexualité et l’homophobie sont abordées brièvement. On peut lire que,
dans l’imaginaire collectif, « un vrai gars,
ça aime les femmes et qu’un gai, bien,
ce n’est pas un vrai gars », du moins il
ne représente pas vraiment LES gars.
Une petite note en bas de page fait remarquer comment « il est fréquent dans la culture populaire qu’un homme qui se fait agresser sexuellement par un homme
se demande s’il est encore un homme ».
La grosseur du pénis demeure encore
un complexe en vogue, et ce, même si les sites de boutiques érotiques offrent le plus souvent aux femmes « de petits jouets
pour avoir un maximum de plaisir ».
Les hommes sont invités à questionner
leur partenaire sur ce qui la fait jouir,
sur ce qu’elle préfère. « C’est là que vous allez vous démarquer, pas sur le nombre
de centimètres dans vos caleçons. »
Certaines voitures sont évidemment plus masculines : Dodge Ram, Mustang, Jeep.
Et on connaît bien l’expression québécoise « grosse corvette, petite quéquette ».
Les voitures deviennent une extension
de la masculinité, « une façon d’affirmer sa virilité, au point d’en être parfois ridicule ».
Il est même question de masculinité dans
la bouffe. Le steak, c’est mâle; le tofu, c’est féminin. PFK a déjà eu une publicité pour un nouveau poulet croustillant, dont le slogan était « manger comme un homme ». Le gars dans la pub passait d’un jeune homme urbain à un bûcheron barbu après avoir pris une bouchée.
Au cinéma, on présente souvent les héros comme des hommes minces et les méchants comme des obèses. Parlant de l’aspect corporel, Bergeron écrit que ceux qui ont une calvitie, qui ne sont pas grands, qui sont imberbes, qui ont la peau sur les os, sortent des normes de beauté masculine.
Les récentes accusations concernant
des joueurs d’Hockey Canada ont porté l’organisme à utiliser l’expression « culture de comportements toxiques ». L’auteur opte plutôt pour « culture du viol ». Pourquoi ? Parce que dans notre société il y a des comportements et des valeurs qui banalisent trop souvent les agressions sexuelles. « Et quand une chose semble “normale” ou “pas grave”, ça lui ouvre
la porte. »
Quand des personnalités comme Marcel Aubut, Gilbert Rozon, Éric Savail ou Harvey Weinstein ont été dénoncées sur la place publique, il y a toujours eu des gens pour dire que tout le monde le savait. Alors, pourquoi cette culture du silence ? Selon l’auteur, il importe de « créer un climat
où dénoncer ne vient plus avec des conséquences lourdes à porter. […] Il faut que la honte change de place, qu’on cesse de protéger les agresseurs. »
Bergeron s’adresse souvent directement
à ses lecteurs; voici quelques exemples :
« Vous êtes tannés, dites-vous, chers hommes, que les femmes critiquent
les hommes ? Alors, la balle est dans votre camp pour faire votre propre autocritique. »
« On peut se prendre en mains, les gars.
On peut faire mieux. Il faut faire mieux. »
« Les hommes, vous avez le droit de
le souligner quand un commentaire est désobligeant, blessant, dénigrant, caricatural et basé sur des préjugés. »
« Gérez-vous, les gars, consultez, parlez-en à du monde, sortez les méchant dans un lieu fait pour ça. »
L’auteur prend trente chapitres (parfois truffés d’anecdotes un peu trop longues) pour démontrer qu’être un homme dans notre société assure certains privilèges,
mais que « le coût de l’injonction à la virilité et de la masculinité toxique sur
la santé mentale et physique des hommes est élevé ».
8 janvier 2023

Karine Boucquillon, Souviens-toi des femmes de Turtle Island, roman, Éditions Terre d’Accueil, coll. Motema, 2022,
220 pages, 24,95 $.
Histoire méconnue
des femmes autochtones
Les thèmes de prédilection de Karine Boucquillon sont le cheminement intérieur de l’être humain et l’histoire du Canada d’avant
la colonisation. Son second roman, Souviens-toi des femmes de Turtle Island, se penche sur la place unique que les femmes autochtones ont occupée dans notre société avant l’arrivée des Blancs.
Petite précision au départ : Turtle Island
est le nom donné par certains peuples autochtones à la Terre et en particulier à l’Amérique du Nord. Autre info : en 2019, Karine Boucquillon a publié à compte d’auteur le roman Les baleines pleurent aussi, où on retrouve plusieurs passages
qui figurent dans son second roman.
La protagoniste, ici, est Jikonsaseh Dahwah, alias Jikki, une écrivaine d’origine iroquoise qui publie un livre intitulé La place de
la femme dans les sociétés amérindiennes : un pouvoir ignoré. Pierre Dumont, chroniqueur et reporter à La Gazette de Toronto, s’intéresse à cet ouvrage et à son autrice. Il est fasciné par cette femme « qui fait fonctionner son cœur et sa tête plutôt que son décolleté et ses fesses ».
L’histoire se passe à Toronto dont la franco-phonie est « bariolée et multicolore ».
Tout le monde a des mœurs et des accents différents. Jikki aime la Ville Reine car elle y voit un « microcosme d’un monde idéal », un endroit qui ne tolère pas l’irrespect de
la différence.
Jikki écrit pour que la tradition orale dans sa culture ne soit pas perdue. Elle est animée par ce besoin vital de se réapproprier une mémoire pour que cette dernière « ne soit pas oubliée, niée, déformée ».
Pierre Dumont accepte de faire la promotion du livre écrit par une Amérindienne sur
le rôle prépondérant des femmes dans
une société égalitaire. Pour lui, cet ouvrage contient une volonté de rétablir la vérité,
de connecter le lecteur avec la force des Premières Nations et, surtout, de réhabiliter ses femmes. Jikki veut que le mensonge cesse d’occulter la vérité : « Nous avons survécu aux multiples tentatives d’extermination et d’assimilation. »
Avec des références aux infâmes pension-nats autochtones, le roman rappelle que
les Premières Nations ont douloureusement émergé « d’un holocauste physique, spirituel, mental et culturel » qui a bien failli les éradiquer complètement. L’Église catholique romaine et d’autres Églises chrétiennes, souligne-t-on, devraient être poursuivies pour crime contre l’humanité.
Ces confessions religieuses, avec l’appui
de politiciens véreux vendus au pouvoir économique, ont les mains tachées du sang de millions de femmes, hommes et enfants; elles « surpassent Hitler dans le domaine
de l’horreur ».
Karine Boucquillon nous offre une version peu connue de notre histoire. Selon elle,
les colons qui ont mis les pieds sur notre continent n’ont pas digérer de voir des femmes libres, fortes, respectées, occuper
des rôles clés dans tous les rouages de
leurs communautés respectives. Elles savaient prendre des décisions et exercer leurs talents, pas juste en tant que guérisseuses et agricultrices.
Souviens-toi des femmes de Turtle Island est un roman qui réveille la mémoire,
quila secoue vigoureusement pour nous amener à mieux connaître notre histoire.
On voit comment des femmes ont été porteuses de valeurs en perdition,
des valeurs de respect, de compassion, d’attention à l’autre et d’écoute.
30 décembre 2022

Grand Nord, texte de Jesse Goossens, gravures de Marieke ten Berge, traduction
et adaptation du néerlandais par Catherine Tron-Mulder, Île-de-France, Éditions Rue du monde, 2022, 88 pages, 38,95 $.
Mammifères, oiseaux et poissons du Grand Nord
La nature du Grand Nord est fragile. En aucun autre endroit de la planète le climat ne change plus vite que dans les régions polaires. La survie des animaux est menacée et Jesse Goossens s’y est intéressée en publiant un magnifique album tout simplement intitulé Grand Nord.
Trente-cinq mammifères, oiseaux ou poissons se décrivent eux-mêmes au « je » et il y a pour chacun une fiche d’identité : classification, répartition, longueur, poids, longévité, population et statut de conservation. Une linogravure occupe la page de gauche et un texte accessible aux enfants remplit la page droite.
C’est le renne qui ouvre le bal. On le retrouve dans les toundras du Groenland,
de la Scandinavie, de la Russie, de l’Alaska et du Canada, bien entendu. Bien que
sa population se chiffre à plus de deux millions, l’espèce demeure vulnérable.
Le renne est plus souvent appelé caribou
au Canada.
L’élan ou orignal compte lui aussi deux millions d’individus mais son statut de conservation est une préoccupation mineure. Voici ce que cet animal nous dit : « Qu’on m’appelle élan en Europe ou orignal au Canada, je suis le plus grand cervidé du monde. » Hauteur : 150-220 cm; longueur : 200-290 cm.
L’hermine, que l’on retrouve dans le nord
de l’Amérique, de l’Europe et de l’Asie,
n’a qu’une seule portée dans sa vie, mais elle peut représenter jusqu’à quinze petites bouches à nourrir.
L’écureuil volant de Sibérie conclut son laïus en ces termes : « Si, en te promenant dans une forêt du Grand Nord, tu découvres au pied des arbres des crottes qui ressemblent à des grains de riz jaune orangé, lève les yeux : mon nid se trouve peut-être juste au-dessus. » La queue de cet écureuil mesure entre 9 et 14 cm.
Attention! Il y a loutre et loutre de mer.
La première est semi-aquatique et passe autant de temps à terre que dans l’eau.
Il n’y en a pas au Canada. La seconde aime se reposer sur le dos avec son petit entre
les pattes. Elle vit au Canada, au Japon,
aux Mexique, en Russie et aux États-Unis.
Il se dit le vrai pingouin et n’aime pas être confondu avec le manchot (penguin en anglais). Le pingouin torda vit en Atlantique Nord (presque un million) et c’est une espèce « quasi menacée ».
Pour plusieurs « glouton » est un adjectif. C’est aussi un mammifère carnivore qui mange énormément. « Je dévore tout ce qui me tombe sous la dent, des plus petites bestioles aux plus gros animaux comme
les rennes ou les grizzlys. » On l’appelle carcajou au Canada.
Depuis Harry Potter, le harfang des neiges est plus connu grâce à la célèbre chouette Hedwige. Les femelles ont des taches gris-noir alors que les mâles sont presque toujours entièrement immaculés.
Ils blanchissent même de plus en plus en vieillissant. Le harfang des neiges a été adopté comme oiseau emblématique du Québec en 1987.
Bien que l’album ait été produit pour
les 6 ans et plus, il s’adresse également
aux adultes. Géographie, climat, animaux
et biodiversité figurent parmi les thèmes abordés.

Benoit Doyon-Gosselin, Moncton mentor, géocritique d’une ville, essai, Moncton, Éditions Perce-Neige, 2022, 152 pages, 25 $.
Moncton, ville scripturale
Moncton est une ville qui s’est inventée en français. Benoit Doyon-Gosselin le démontre clairement dans un essai intitulé Moncton mentor, géocritique d’une ville.
Il convoque les œuvres de maints auteurs acadiens (Gérald Leblanc, Serge Patrice Thibodeau, France Daigle, notamment), mais également celles d’auteurs ayant porté
un regard sur cette ville, comme Jean-Paul Daoust.
En citant Bertrand Westphal, chef de file
de l’approche géocritique, l’auteur signale qu’il s’agit de cerner au départ la dimension littéraire des lieux, « de dresser une cartographie fictionnelle des espaces humains ». La ville devient alors scripturale.
Les travaux sur la géocritique de Moncton utilisent les œuvres de Gérard Leblanc et
de France Daigle pour rendre compte de
la vitalité de la ville, de sa littérarisation.
Ces deux auteurs présentent des points de vue importants, mais constituent les parties d’un tout plus vaste qui comprend de nombreuses interactions entre les espaces humains et la littérature.
Avec son université, la compagnie d’assurances Assomption-Vie, Radio-
Canada Atlantique, les Éditions Perce-Neige et le Centre culturel Aberdeen, Moncton
est « le siège social » de la modernité acadienne. Contrairement à ces hauts-lieux « érigés ou élus », la rivière Petitcodiac et son mascaret forment un haut-lieu naturel. Dans le premier recueil de poésie publié aux Éditions d’Acadie en 1972, un poème de Raymond-Guy Leblanc s’intitule Petitcodiac; il évoque le mascaret et « le lie à la lutte entre les francophones et les anglophones ».
Avec l’inscription de la ville dans ses romans plus récents, France Daigle fait de Moncton une ville écrite et une ville qui s’écrit. « Moncton devient ainsi une ville-livre, mais également une ville-live qui suggère de nouvelles pratiques de sociabilités redéfinissant les identités. »
L’auteur signale que pendant quelques années, l’un des vols quotidiens à destination de Montréal quittait l’aéroport
de Moncton à 17:55. Est-ce un hasard ? Est-ce fait exprès ? On sait que la déportation des Acadiens (le Grand Dérangement) a eu lieu en 1755 et qu’un groupe musical s’est appelé 1755.
Quand le poète québécois Jean-Paul Daoust pose son regard sur Moncton et les gens qui l’animent, il en résulte une poésie urbaine du quotidien où se côtoient l’humour, l’amitié et une tendre loyauté, libre de toute complaisance. Daoust a passé trois mois d’hiver dans cette ville pour y écrire ses Carnets de Moncton, scènes de la vie ordinaire. Il l’a fait dans le sillage du départ de Gérald Leblanc, le poète regretté dont l’œuvre rayonne au coeur de cette ville
qu’il a tant aimée.
Benoit Doyon-Gosselin voit dans Moncton un lieu d’émancipation intellectuelle et
de passion pour une littérature, un lieu d’interactions entre les deux.
Né à Trois-Rivières, Benoit Doyon-Gosselin est professeur agrégé et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en études acadiennes et milieux minoritaires à l'Université de Moncton. Il s’intéresse à
la littérature acadienne et aux littératures francophones en milieux minoritaires,
et plus particulièrement à la sociologie de la littérature.
4 décembre 2022

Bertin Leblanc et Paul Gros, Éléments de langage, Cacophonie en francophonie, bande dessinée, Éditions La Boîte à bulles, 2022, 208 pages, 44,95 $.
La Francophonie
en bandes dessinées
Porte-parole de Michaëlle Jean, secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) du 5 janvier 2015 au 3 janvier 2019, Bertin Leblanc puise dans
cette expérience pour signer
une bande dessinée intitulée Éléments de langage, Cacophonie
en francophonie.
Le scénario illustre la verve et le dyna-misme de Michaëlle Jean, mais aussi
son mal à respecter les consignes de
la communication et de la diplomatie. Illustrée par Paul Gros, la bande dessinée montre comment Michaëlle Jean épuise
ses collaborateur et, plus grave encore,
les chefs d’État.
Sans être un amateur de bandes dessinées, j’ai trouvé qu’il y avait trop de bla-bla-bla, trop de phrases creuses, et que l’action avançait à pas de tortue, comme si on voulait remplir le plus de pages possibles. L’auteur réussit néanmoins à faire d’Éléments de langage une fable sur
le pouvoir.
Bertin Leblanc semble avoir pris le parti d’illustrer comment l’OIF a plus à voir avec l’opérette qu’avec la promotion de la langue française. Il signale, entre autres, l’hypocrisie qui règne dans les coulisses de l’OIF.
Quand vient le moment de renouveler
son mandat, Michaëlle Jean croit avoir jouer et rôle dynamique et flatteur à la tête de l’OIF. L’opinion publique n’est pas de cet avis et la garde rapprochée de Jean s’active pour défendre bec et ongle le bilan de leur cheffe mal-aimée.
Le président français Emmanuel Macron
ne cache pas qu’il est agacé par l’activisme de la secrétaire générale. Et le Premier ministre Justin Trudeau ne la soutient que du bout des lèvres. Une Rwandaise sera plutôt choisie pour le prestigieux poste.
Je ne crois pas qu’une bande dessinée de plus de 200 pages (ouf !) était le meilleur moyen de mieux faire connaître l’Organisation internationale de la Franco-phonie. Il faut beaucoup de persévérance pour se rendre à la page 209.
20 novembre 2022

Donna Leon, Les Masques éphémères,
roman traduit de l’anglais par Gabrielle Zimmermann, Paris, Éditions Calmann-Lévy, 2022, 342 pages, 36,95 $.
Quand l’âpreté du gain conduit au crime
Donna Leon signe une trentième enquête du commissaire Guido Brunetti, qui s’intitule Les Masques éphémères. L’action se déroule encore une fois dans les environs
de Venise. Elle nous plonge dans
le crime organisé à une échelle maritime.
Bien qu’il soit agréable de siroter un verre de grappa sur le balcon, tout en regardant au loin le campanile de Saint-Marc,
le commissaire Brunetti doit traquer des criminels dans des eaux dangereuses. Deux corps policiers s’entrecroisent dans cette enquête : l’un traitant les problèmes liés
à la mer, l’autre censée s’occuper des problèmes liés à la terre.
Brunetti fait de nouveau équipe avec
la commissaire Claudia Griffoni. Ils ont développé « un véritable état de symbiose lorsqu’il s’agit de tromper et de leurrer
les suspects ». Bel exemple du bon cop
bad cop.
L’un et l’autre cherchent simplement la faille et s’y engouffrent, « aussi instinctivement que des requins ». Le premier est Vénitien, la seconde est Napolitaine, et cela donne lieu à de savoureux échanges, confrontations et conversations.
On retrouve aussi la signorina Elettra, adjointe du questeur, qui a le don de dénicher des renseignements secrets sur
des suspects. La romancière aime décrire
ce qu’elle porte : « un costume en velours bleu foncé, orné d’un fin liséré rouge sur
le revers et le long des jambes du pantalon ».
À Venise, un canal et une église sont courants à presque chaque angle de rue. Comme dans la grandes villes, peu importe le pays, de fieffés incompétents sont propulsés en haut de l’échelle grâce aux réseaux politiques de leurs familles, « ou à la suite de chantages purs et simples ».
Brunetti doit enquêter sur un réseau de corruption impliquant des bateliers véreux. Il découvre la pointe de l’iceberg grâce
à deux jeunes hommes impétueux, vulnérables et fragiles. L’un est épris de son meilleur ami, « d’un amour qui n’ose pas se nommer ». Brunetti a la délicate tâche de persuader l’amant de trahir son meilleur ami qui est mêlé à un crime.
Encore une fois, Donna Leon décrit un Brunetti qui éprouve un élan envers ceux qui sont « dans des situations difficiles et ne se rendent pas compte qu’ils sont des gens biens. Au sens éthique du terme. »
Bien entendu, le suspect ne figure pas parmi les « gens biens ». Il arrive parfois que
le guide spirituel soit l’âpreté du gain. C’est le cas de cet homme à la tête d’un réseau criminel. Lorsqu’on lui demande s’il sait ce que signifie le mot « assez », il répond : « Bien sûr que je le sais. Cela signifie
“un peu plus”. »
Lors des interrogatoires et au cours de simples conversation, le commissaire sait jouer, « tel un chêne, la carte de la patience, de la bienveillance et de l’assurance ». Brunetti informe son épouse des tenants et aboutissants de l’enquête qu’il mène. Il le fait avec force détails. Elle lui répond :
« Les gens s’ouvrent à toi, Guido. Ils te font confiance. » Nous pouvons encore une fois faire confiance à Donna Leon.
31 octobre 2022

Guillaume B. Duchesne, Mauvaise herbe, roman, Montréal, Éditions Fides, 2022,
136 pages, 24,95 $.
Roman calqué sur
une expérience hospitalière
Durant la pandémie, les médias ont fait état de personnel soignant ayant décroché, ayant trouvé un autre emploi. Dans Mauvaise herbe, Guillaume B. Duchesne campe
un personnage qui vit une situation semblable entre patients déments
et faux espoirs.
Après une décennie de sales boulots et de rêves déçus, Marco cherche « une formation rudimentaire, expéditive et qui mène à
un poste en demande sur le marché avec un salaire décent ». Le trentenaire trouve : PAB ou préposé aux bénéficiaires.
Sept-cent-cinquante heures de formation pour aboutir au dixième étage du pire hôpital d’Amérique du Nord, dans l’Outaouais québécois. C’est un roman,
toute ressemblance avec la réalité serait
une coïncidence, précise l’auteur.
Préposé en probation, avec dix jours d’expérience, Marco doit affronter cinquante patients en détresse. Les cloches d’appels sonnent partout, les bassins sales attendent d’être désinfectés, les patients crient,
les repas ne sont pas bien distribués,
« on se croirait dans un tableau de Jérôme Bosch. Tout le monde se démène « comme des pompiers new-yorkais le 11 septembre 2001 ».
Marco demeure stoïque. Il résiste comme
le pissenlit, quintessence de la mauvaise herbe. « Un PAB qui se plaint qu’il est débordé, c’est comme un soldat qui se
plaint qu’il est à la guerre. »
Le service de remplacement fait appel à Marco sans arrêt. Il devient plus occupé qu’un préposé dans un hôtel de Percé pendant les vacances de la construction. Son horaire de travail est facile à retenir : tous les jours, jamais de congés.
Un matin, la réalité lui assène un coup.
Il entre au travail avec un réservoir vide.
La compassion a disparu. « Je ne voyais plus l’histoire sacrée de chaque personne. » Marco a échoué dans cette carrière de PAB comme une carcasse de baleine sur une plage. Il est temps de voler de ses propres ailes… en charpenterie.
Guillaume B. Duchesne a une plume tour à tour corrosive, humoristique et émouvante. Lorsque Marco doit décrire le liquide récolté dans les sacs de sondes urinaires, le romancier écrit : « 500 ml, couleur citrine, odeur normale, côté saveur, on perçoit
des notes boisées avec un soupçon de cannelle ».
Dans Mauvaise herbe, on retrouve quelques références à Ottawa : marché By, parc Major, Université d’Ottawa, rue Rideau (que l’auteur appelle Rideau Street, allez savoir pourquoi). Le romancier rate l’occasion de faire un clin d’œil aux Franco-Ontariens.
Guillaume B. Duchesne a fait des études
en littérature, en droit, en assistance à
la personne et en charpenterie. Il a été préposé aux bénéficiaires pendant quatre ans. Son roman est une comédie sombre inspirée de cette expérience hospitalière plus ébouriffante que prévu. Il écrit surtout pour rire… et un peu pour guérir.
25 octobre 2022

Jean-Michel Lienhardt, Secrets sous le soleil, roman, Saint-Lambert, Soulières éditeur,
coll. Graffiti no 145, 234 pages, 16,95 $.
Fiction alimentée
d’une dure réalité
En 2002, Jean-Michel Lienhardt se rend en Haïti, pour une organisation non gouvernementale, et découvre que des écolières travaillent comme domestiques pour des gens aisés chez qui elles demeurent ou restent avec (restavek). Voilà l’étincelle
de l’histoire qu’il raconte dans Secrets sous le soleil.
Les deux restavek du roman sont Fedline,
12 ans, et sa petite sœur Tamara. Elles sont enlevées de leur kay (maison) après
le consentement à contrecœur de leur mère.
Le propriétaire de deux jeunes restavek a
la main leste sur la rigwaz (le fouet). Il se sert de cet instrument de discipline pour « des arguments frappants ». Il aime clamer « Tu apprendras que lorsque je donne
un ordre tu l’exécutes sans discussion ! »
Des mots et parfois de courtes phrases
en créoles figurent souvent dans le texte.
À la fin du roman, un lexique en regroupe environ une quarantaine. Rares sont
les notes en bas de page pour traduire
ces expressions, leur sens étant intégré
le plus souvent au récit.
Une note figure en bas de page surtout
dans le cas de phrases complètes en créole. Voici un exemple : « Pwomès, ti fi ? Vini isit avèk mwen menn ? » (Promesse, jeune fille ? Vous reviendrez avec moi ici ?)
On retrouve aussi des mots français peu connus ici, comme « écolages » qui signifie droits de scolarité.
L’auteur glisse un commentaire sur « ces Haïtiens établis au Québec! Tous les mêmes quand ils reviennent ici; ils veulent nous faire la leçon. »
Belle et attirante, Fedline sera évidemment victime d’une impulsion malsaine de son maître. L’intrigue se corse et le dénouement s’accélère, pour se terminer un peu trop vaguement.
18 octobre 2022

Alban Berson, L’île aux démons et autres mirages cartographiques de l’Amérique
du Nord, 1507-1647, essai, Québec, Éditions du Septentrion, 2022, 152 p., 39,95 $.
Des cartes trompeuses
de l’Amérique du Nord
Des lieux qui n’existent pas ont habité l’imaginaire des cartographes et des géographes à l’ère
des grandes découvertes des XVIe
et XVIIe siècles. Alban Berson
en recense une douzaine dans
L’île aux démons et autres mirages cartographiques de l’Amérique
du Nord, 1507-1647.
L’île aux Démons, la mer de Verrazano,
les cités de Norumbega et de Cibola ou encore le lac de Conibas, autant de lieux représentés sur des cartes de l’Amérique du Nord entre 1507 et 1647, et souvent décrits dans les textes qui les accompagnent.
Or, ce sont tous des mirages observables qu’on aurait pu photographiés.
Il ne s’agit pas d’hallucinations ni d’illusions d’optique. « Leur cause se trouve dans
une propagation atypique de la lumière provoquée par des couches d’air inégales en température, en pression et en humidité. » On le qualifie de mirages cartographiques.
On serait bien en peine de pointer l’île aux Démons sur une carte actuelle du Canada. Pourtant, de 1507 jusqu’au milieu du XVIIe siècle, de nombreuses cartes représentant Terra Nova (Terre-Neuve et le Labrador) ont rapporté la présence d’une ou de plusieurs « île aux Démons ».
La carte du Vénitien Giovanni Battista Ramusio (1556) « met en exergue le caractère diabolique de l’endroit en y faisant figurer un trio de démons ailés, dotés de queues et de pattes de satyre
et dont un arbore les proverbiales cornes lucifériennes ».
Giovanni Verrazano, envoyé en 1524 par
le roi de France, longe la côte de ce qui est maintenant la Caroline du Nord. Il pense apercevoir l’océan Pacifique, mais il ne
s'agit en réalité que du lagon de la baie de Pamlico, qu’il nomme mer de Verrazano. Cette erreur conduit les cartographes d’alors à représenter l’Amérique du Nord quasiment coupée en deux parties reliées par
un isthme, erreur qui n’a été corrigée que plusieurs décennies plus tard.
Des dizaines de cartes imprimées de 1548
au milieu du XVIIe siècle représentent
un établissement viking qui correspondrait au toponyme de Norumbega. On évoque « une vaste et riche citée de la Nouvelle-Angleterre ». Ce fantasme s’est évidemment effondré, mais il existe encore aujourd’hui une Norumbega Tower à Weston, au Massachusetts, en bordure du chemin Norumbega.
L’examen de cartes anciennes démontre
que des aberrations se produisent dans
le processus d’ordonnance du monde par
la représentation. Des mirages apparaissent au sein d’une image pourtant distincte.
Le phénomène ne se limite pas à l’Amérique du Nord, mais concerne toute la Terre.
« Le grand lac Parimé au cœur de l’Amérique du Sud, que Walter Raleigh croit aussi vaste que la mer Caspienne, l’Australie comme extension de l’Antarctique ou encore l’île de Corée, la science géographique européenne est une entreprise de production de mirages. »
Alban Berson est cartothécaire à Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Il s’attache à inscrire l’histoire de
la cartographie dans celle, plus large,
des sciences, de la pensée et de la spiritualité.
11 octobre 2022

Claudia Turgeon, La libellule, roman, Montréal, Éditions Hurtubise, 2022,
294 pages, 29,95 $.
Briser l’isolement
de parents endeuillés
Avec La libellule, Claudia Turgeon signe un premier roman remplie d’une authenticité et d’une sensibilité remarquables. Le sujet abordé est
le deuil périnatal ou deuil vécu par les parents de bébés décédés pendant la grossesse (in utero).
Émilie et Olivier ont deux fillettes et mènent une vie bien remplie ; elle enseigne au cégep, lui est physiothérapeute, et le ballet du quotidien les tient passablement occupés. L’idée d’élargir la famille fait néanmoins son chemin et Émile tombe enceinte.
À ses yeux, « avoir des enfants, c’est l’expérience la plus difficile, mais la plus enrichissante que je connaisse. Tu navigues constamment dans un paradoxe d’émotions intenses. » Elle n’imagine pas que l’intensité des émotions peut devenir cruelle.
Sa mère ne l’encourage pas. Elle vit en Floride et lui dit que tous les forfaits sont pour deux adultes et deux enfants.« Après ça, c’est juste de la folie ! »
À presque dix-neuf semaines de grossesse, Émilie sent le premier coup dans son ventre, « du bonheur à l’état pur ». Puis une échographie à vingt et une semaines démontre que le cœur ne bat plus. Cela survient dans moins de deux pour cent
des grossesses avancées. L’accouchement est provoqué : un beau garçon à l’air paisible, mais inanimé.
Cinq mois, un peu plus de vingt et une semaine, cent cinquante-deux jours,
puis partir les bras vides après un accouchement. Cela donne lieu à des passages que nous lisons souvent les larmes aux yeux.
Émilie comprend que le deuil comporte plusieurs étapes et croit naïvement qu’elle progressera de façon linéaire d’une phase à l’autre. Or, elle avance et recule sans cesse entre les différentes phases. Le cœur,
le cerveau et l’âme naviguent en montagnes russes.
Le titre du roman tient au fait que
la libellule est un signe de métamorphose
et de transformation. Le deuil ne se termine jamais. C’est un processus qui vous habite
à des intensités variables tout au long
de votre vie.
La romancière excelle dans l’art de ciseler des descriptions détaillées des p’tits bonheurs, des défis, des drames et
des amitiés qui peuplent la vie du couple.
La meilleure amie d’Émilie est une lesbienne qui vit elle aussi en couple. L’insémination artificielle est envisagée dans son cas.
Contrairement à Émilie et à la romancière,
je suis célibataire et je n’ai donc jamais tenu un enfant aux creux de mes bras. Cela ne m’a pas empêché de vibrer aux scènes parents-enfants. De brefs passages sur
les relations entre Émilie, Olivier et leur mère respective ont ajouté du piquant au récit.
La libellule semble bien être une autofiction. À la fin du roman, Claudia Turgeon remercie ses filles et « mon ange qui a appris à voler de ses propres ailes beaucoup trop tôt, mais qui a guidé mon écriture ».
7 octobre 2022

Geneviève Blouin, Le Mouroir des anges, roman, Montréal, Éditions Alire, 2022,
262 pages, 25,95 $.
Écriture à la fois
intimiste et intense
Le droit à l’avortement fait couler beaucoup d’encre dans les médias. Voici qu’il occupe la première place dans Le Mouroir des anges, roman policier de Geneviève Blouin qui campe un personnage choisissant d’avorter sauvagement des femmes qui ont pourtant déjà choisi d’opter pour cette procédure.
L’action se déroule dans une banlieue québécoise, avec toute sa fausse banalité
et sa trompeuse tranquillité. Les principaux personnages sont une Asiatique, un Noir
et une Blanche. Ils œuvrent au même poste de police, mais ont une vie en dehors de leur travail, voire des relations entre eux.
Miuri, l’enquêtrice d’origine japonaise, aime recueillir des indices, résoudre des mystères, « plonger le scalpel de son regard dans l’esprit des gens et en extraire les vérités cachées ».
Jacques, le policier noir, découvre que faire répéter plusieurs fois un fait ou
un incident a ses mérites. « Cela permet
aux témoins de clarifier leurs souvenirs et aux malhonnêtes de s’empêtrer dans leurs mensonges ».
Nicole, la secrétaire blanche, cache qu’elle attend un enfant de Jacques. Pas question
de le garder. Lorsqu’elle reçoit secrètement un ange en chocolat, le danger plane. As de la musculature, Nicole prépare sa contre-attaque…
Le mantra des enquêteurs s’énonce comme suit : « un événement, c’est un détail, deux, c’est une coïncidence, trois, c’est une tendance ». Un quatrième avortement sauvage pointe à l’horizon.
Chaque crime est signé. On trouve
toujours un ange de plâtre sur la scène
de l’agression. On sait déjà que les anges sont connus comme des gardiens ou des messagers. Ils ont déjà représenté des enfants morts-nés. Au XIXe siècle,
les avorteurs clandestins étaient appelés « les faiseurs d’anges ».
On pourrait croire que le sujet du roman a été inspiré par une récente décision de
la Cour suprême américaine. Or, l’autrice a commencé à y travailler presque dix ans passés. En tant qu’historienne et ancienne adjointe juridique, elle voyait se dessiner
le ressac.
« La légalisation de l’avortement au Canada est récente et il y a eu depuis de nombreux projets de loi pour limiter l’accès, voire l’interdire de manière détournée. On n’est pas à l’abri. »
L’écriture demeure à la fois intimiste et intense. Les policiers qui enquêtent sont réduits à attendre une autre victime,
un cadavre, un suspect, un alibi, « attendre en espérant que ce ne sont pas les dernières heures d’une vie qui [leur] coulent entre
les doigts ».
Un policier a parfois une réaction crue, comme « Ostie de câlice de tabarnak, fucking shit de ciboire de crisse ».
En entrevue, Geneviève Blouin affirme qu’elle aborde le polar, la fantasy, le roman historique, la science-fiction ou nouvelle de la même façon : « à la base, il y a un conflit ou un drame humain que j’ai envie d’explorer. Je réfléchis au meilleur décor pour le mettre en lumière ou aux circonstances dans lesquelles il serait possible, puis je construis l’arrière-monde approprié. »
28 septembre 2022

Collectif, Îles de rêve – 50 itinéraires autour du monde, Montréal, Guides de voyages Ulysse, 2022, 208 pages, 51 cartes, 39,95 $.
À chacun son archipel,
son atoll, son île
Les Guides de voyage Ulysse
sont connus pour des parcours thématiques sur plusieurs continents, qu’il s’agisse de voyages gourmands, de routes légendaires, de randonnées à vélo, de croisières ou de voyages spirituels. Leur nouveau guide propose Îles de rêves – 50 itinéraires autour du monde. En tout, ce sont plus de 210 îles qui figurent
au menu.
Chaque trajet est décrit au jour le jour,
avec des arrêts aux stations balnéaires, aux attraits naturels, aux sites culturels pu patrimoniaux, aux plages, aux activités
de plein air à pratiquer et aux paysages à admirer. Les parcours s’accompagnent de capsules mettant en lumière les expériences inoubliables à vivre sur place. On propose
le meilleur moment de l’année pour
les entreprendre.
Si vous aimez les extrémités, il y a les Açores à l’extrême est de l’Europe et Chypre à l’extrême ouest. J’ai appris qu’on produit du vin depuis plus de 5 000 ans à Chypre. À l’extrémité nord de l’Afrique, vous avez Djerba (Tunisie). Chiloé se trouve au bout
de l’Amérique du Sud et la Nouvelle-Zélande au bout du monde.
On présente aussi les îles Marquises comme « au bout, tout au bout du monde ». Parmi les personnalités qui y ont séjourné,
on trouve Herman Melville, Robert Louis Stevenson, Paul Gauguin et Jacques Brel. Chacun y a peint, à travers récits, toiles et chansons, « des terres sauvages empreintes de mystère, entre enfer et paradis terrestre ».
Dans ce guide, le Canada a droit à trois circuits. D’abord l’Île-du-Prince-Édouard, l’île du Cap-Breton et les Îles de la Madeleine. Puis l’estuaire du Saint-Laurent, de l’Île d’Orléans à l’Île aux Basques en passant par l’île aux Grues, l’Île aux Coudres et l’Île Verte. Enfin, l’incontournable île de Vancouver.
Le guide ne présente pas les îles en ordre alphabétique, mais n’empêche que le premier circuit porte sur les îles ABC,
c’est-à-dire Aruba, Bonaire et Curaçao, toutes incorporées au Royaume des Pays-Bas. Elles produisent chacune une liqueur. Aruba offre le Coecoei, un mélange de rhum et de sève d’aloès. Bonaire sert le Cadushy, liqueur à base de cactus. Curaçao a
sa célèbre liqueur éponyme aromatisée à l’orange.
On propose des circuits, bien entendu,
pour les incontournables îles Galápagos,
la charmante Majorque, la Crète luxuriante, la fameuse Santorin des îles grecques,
le territoire mythique des Bermudes,
le sublime Martha’s Vineyard, Taïwan au cœur sauvage, Sri Lanka ou la perle de l’océan, Fidji ou le goût du paradis.
Avec Îles de rêve – 50 itinéraires autour du monde, Ulysse offre au voyageur l’occasion de voguer à la recherche de ces îles idylliques parmi une sélection de lieux exceptionnels pour jouer les Robinson Crusoé, adopter le rythme de vie insulaire et se détendre, entouré de beauté.
À chacun son archipel, son paradis tropical, sa perle nordique ou son atoll verdoyant, ses joyaux volcaniques ou ses réserves fauniques, son repère historique ou son éden des arts et de la gastronomie.
17 septembre 2022

Collectif, Coming out - Orientations textuelles, Montréal, revue XYZ, no 151, Montréal, automne 2022, 104 pages, 14 $.
Panoplie d’obsessions textuelles
Dans le milieu LGBTQ+, le coming out ou la sortie du placard peut laisser aussi bien un goût amer
en bouche qu’un souvenir
de célébration. XYZ, la revue de
la nouvelle, a choisi cette thématique pour son 151e numéro.
Jean-Michel Fortier présente les neuf nouvelles du dossier Coming out en précisant qu’elles « le racontent comme
un cri, un chuchotement ou une pensée qui agit sur soi, parfois à son corps défendant ».
Jennifer Bélanger signe le premier texte, « Comme ça », où elle se demande de quel placard elle est sortie. Plusieurs femmes sont entrées dans sa vie et elle n’a pas toujours su trouver les mots, car son amour pour elles « est partout, sans discours ni portes au-delà de ce que je pourrais écrire ».
On pourrait dire qu’il n’y a pas de placard.
Dans « Le mot traître », Michael Delisle mélange poésie et prose poétique pour décrire sa décision de ne rien cacher à
ses étudiants, des ados. Il est convaincu qu’il vaut mieux « se montrer sous son vrai jour / ça attire les bonnes personnes / pis ça finit toujours par être payant ».
Le placard dont il est question dans « Garder son placard propre », d’Emmanuelle Cornu, est celui d’une école. Le concierge est maniaque d’ordre et de propreté. Il a jeté son dévolu sur un
assistant, « un soldat préféré, son chouchou ». « Le concierge et le soldat. Ensemble » dans le placard… Imaginez
le reste. Placard propre où purifier sa propre conscience… ?
Dans « La rencontre », Gabrielle Boulianne-Tremblay ne sait plus combien d’hommes elle a pleurés. La trans écrit « il » pour parler d’eux, « comme une île sur laquelle m’échouer ». Il lui semble difficile de rencontrer quelqu’un de sérieux : « À un moment donné, on finit par identifier ce qui germe en nous, ce qui nous appartient,
ce qui a pris racine et a voulu voir le soleil de nos yeux. »
Cécile Huysman signe « Best Friends Forever », un texte où elle affirme aimer
les hommes. Même s’ils l’ennuient, elle se sent attirée vers eux. Sauf que sa meilleure amie Léonie allume des étincelles. L’autrice
a beau se dire que ce sont des émotions brèves et fugaces, lorsque le téléphone vibre dans sa poche et que c’est Léonie qui lui demande quand elle va rentrer, « mon cœur se serre ».
Le texte qui m’a le plus fait grincer des dents est « Ma mère va dans un rave »,
de Gabriel Cholette. Ça commence bien.
Le fils fait une sorte de second coming out, celui de son « mode de vie caché, avec
les drogues et les sorties underground ».
Là où ça se gâte, c’est quand le texte commence à être farci de mots anglais : dans la foule devient « dans la crowd »,
la piste de danse est un « dancefloor »,
la mère « leade » le chemin, on quitte parfois « le frame de la caméra ». Je ne
l’ai pas lu « laid back ».
Ce numéro publie le texte primé du Concours annuel de nouvelles XYZ, qui a reçu une centaine de candidatures. Le jury a retenu « L’ordre naturel des choses »,
de Julie Dugal. Il a été « charmé par ce texte sobre et sensible » où se déploie avec rythme « une atmosphère à la frontière
du plausible et du surnaturel ».
9 septembre 2022

Boucar Diouf, Ce que la vie doit à la mort. Quand la matriarche de famille tire sa révérence, essai illustré par Philippe Béha, Montréal, Les Éditions La Presse, 152 pages, 26,95 $.
Il ne faut pas opposer
la mort à la vie
Avec Ce que la vie doit à la mort, Boucar Diouf illustre comment l’une et l’autre sont les deux faces opposées d’une même pièce.
Il donne comme preuve que, en fin de vie comme en fin de grossesse, les soins importent : « il faut accompagner
un vénérable mourant avec la même attention qu’un vulnérable bébé ».
Et il ajoute que, après le dernier souffle comme avant le premier, personne n’a conscience de ce qui se passe. « On ne perçoit pas plus sa propre mort qu’on
se rappelle sa naissance. »
Médecine, microbiologie, immunologie, épidémiologie, autant de disciplines scientifiques vouées à retarder notre
« date de péremption ». Peu importe l’origine ou la croyance, vouloir repousser la mort est « une préoccupation légitime et importante pour tous les Sapiens ». Il n’en demeure pas moins que la naissance reste un verdict de condamnation à mort.
Avec le nombre croissant de cancers, on a tendance à parler de combat, comme dans vaincre le cancer. Diouf croit qu’on devrait bannir de notre langage cette association. On éviterait « que certaines personnes se sentent comme des perdants en quittant ce monde ».
Les humains en deuil cherchent un sens au drame qui bouscule leur vie. Boucar Diouf en a fait l’expérience après le décès de
sa mère. Il note, entre autres, « que la mort aiguise nos sens et nous pousse à l’ouverture et à l’hypersensibilité » Il en résulte qu’on accorde plus d’attention à
des événements qui passeraient normalement inaperçus « et on élabore
des interprétations qui nous guérissent ».
Tout au long de cet essai finement ciselé, l’auteur dresse un parallèle avec la matriarche éléphant. Pourquoi ? Parce que, comme les matriarches de nos familles, « ces animaux incarnent une sorte de générosité naturelle ».
La force d’une telle cheffe, écrit-il, réside dans sa mémoire des routes ou haltes migratoires qui permettent de s’abreuver. « Par leurs activités, les éléphants changent leur environnement au grand bonheur de la biodiversité : ils sont à la fois les jardiniers, les paysagistes et les planteurs de graines qui transforment les écosystèmes pour
le bien de la nature. »
Lorsqu’une matriarche éléphant s’effondre, sa carcasse devient le terrain de toutes
les convoitises. Chaque acteur de la savane se prépare à festoyer. « De cette carcasse généreuse, chacun voudra obtenir sa part. » L’auteur précise qu’il en allait de même
pour nos ancêtres lointains avant qu’on commence à enterrer leurs corps.
« Passé la légitime phase de stress, d’anxiété et de nostalgie, il faut se ressaisir et ouvrir de nouveau son cœur à ce que la vie a de beau à offrir. » La mort des uns contribue ainsi la naissance et l’épanouissement des autres.
La sagesse africaine nous rappelle que
« la mort est l’aînée, la vie sa cadette; nous, humains, avons tort d’opposer la mort à
la vie. »
Comme on le sait, Boucar Diouf est un biologiste devenu un humoriste. Au début de son aventure dans le monde du spectacle, il s’est posé beaucoup de questions sur la pertinence de ce métier.
Il n’a pas tardé à conclure que « mourir régulièrement de rire est un médicament extraordinaire pour rester en santé ! »
4 septembre 2022

T. M. Logan, Ne faites confiance à personne, roman traduit de l’anglais pas Vincent Guilluy, Paris, Éditions Hugo Thriller, 2022, 446 pages, 29,95 $
Roman psycho-policier
Il commence par un meurtre,
puis ne peut s’arrêter. Il tue quatre personnes et essaie d’en tuer deux autres. Il essaie surtout de dissimuler ce qu’il est devenu. C’est l’histoire
de ce serial killer que T. M. Logan raconte dans Ne faites confiance
à personne.
Le récit commence par trois passagers
à bord d’un train en route vers Londres. Kathryn confie Mia, trois mois, à Ellen,
une parfaite inconnue, le temps de se rendre sur la plateforme entre deux wagons pour prendre un appel. Lors du prochain arrêt, elle disparaît.
Dans le sac laissé avec le bébé, Ellen découvre une note : « Protégez Mia.
Méfiez-vous des flics. Ne faites confiance à personne. » Déterminée à remettre Mia au poste de police, Ellen sent qu’elle est suivie. Lorsqu’elle raconte ce qui lui est arrivé au commissaire, Ellen ajoute qu’elle revenait
de son rendez-vous à la clinique qui traite les infertilités.
Il n’en faut pas plus pour que la police
la soupçonne d’avoir kidnappé Mia, surtout qu’Ellen contemple la photo du bébé « comme une drogue, une addiction ». Parallèlement au sort de Mia et de ses véritables parents, l’auteur nous fait revivre les crimes du serial killer. « Tout est lié
au bébé, tout tourne autour de lui ! »
Le romancier place le commissaire et
son adjoint au cœur de l’intrigue. L’enquête sur le serial killer préoccupe le commissaire depuis plus d’un an et il voudrait bien
la régler avant de quitter la police.
Son adjoint semble le court-circuiter, « pour grimper plus vite les échelons,
lui marcher dessus et gagner des bons points auprès du grand chef ».
Le serial killer est surnommé le Fantôme puisqu’il ne laisse derrière lui « ni ADN,
ni empreintes, ni indices matériels d’aucune sorte ». Il déjoue la police à un tel point qu’Ellen se demande s’il n’est pas un ancien policier…
En ajoutant d’autres personnages comme
les grands-parents de Mia et la meilleure amie d’Ellen, avec ses trois jeunes garçons, T.M. Logan ouvre la porte à des réflexions sur les inquiétudes que les enfants donnent lorsqu’ils sont petits. Quand ils deviennent adultes, on s’imagine que le pire est derrière soi.
On croit avoir réussi à éviter les écueils
de l’enfance et de l’adolescence, on croit pouvoir les laisser se débrouiller seuls. « Mais en fait, c’est plus dur que quand
ils étaient petits parce qu’on ne peut plus
les protéger. […] Le danger est toujours là.
Il est seulement différent. »
Ne faites confiance à personne est à la fois un polar et un roman psychologique. L’intrigue criminelle se nourrit d’états d’âme, de questionnements internes et de soubresauts parfois irrationnels.
D’un chapitre à l’autre, le dilemme devient plus cruel. Les réflexions d’Ellen ont pour effet de nous poser la question suivante : qu’auriez-vous fait à sa place ?
23 août 2022

Roy Braverman, Le Cas Chakkamuk, roman, Paris, Éditions Hugo Thriller, 2022, 308 pages, 29,95 $.
Le style l’emporte
sur l’intrigue
Un shérif et son adjoint,
le propriétaire du journal local,
un célèbre auteur de romans policiers, deux femmes qui inventent un viol, deux enquêtrices du FBI, voilà les personnages qui incarnent haine et vengeance dans le tout dernier roman de Roy Braverman,
Le Cas Chakkamuk.
Roy Braverman est le pseudonyme du journaliste et romancier français Patrick Manoukian. Je vous ai parlé de son polar intitulé Hunter le 17 décembre 2018. Cette fois, la plume et le talent de Braverman sont encore plus démoniaques.
L’histoire se déroule dans le Rhode Island, où le shérif de Notchbridge est accusé d’avoir violé sa belle-sœur et son épouse. Ce n’est que le début d’une terrible machination où presque tous les protagonistes risquent de perdre quelque chose de précieux : fortune, honneur, vie.
Le roman parle aussi bien de la vie sexuelle débridée d’une éventuelle millionnaire
que de l’avenir sombre et cruel peuplé de fantômes d’une rivale. Il est question à
la fois « d’une sensualité incandescente et d’une lucidité totalement maîtrisée ».
L’auteur brosse une image assez négative du FBI, notamment à travers les propos de l’une des deux enquêtrices, qui ne tolère pas que « de sales cons de plumitifs prétentieux mettent des bâtons » dans son travail. L’agente du FBI n’a pas une haute opinion des écrivains, car ils ne s’occupent pas de la vraie vie des gens : « le trou de l’existence, la tranchée des survivants ».
Voici un exemple du genre de propos que
le FBI tient : « Si vous ne me donnez pas ce que je veux, je vous pourris la vie. La vôtre et celle de vos familles. […] Je lance des rumeurs d’addiction ou de pédophilie qui détruiront vos foutues petites vies misérables de merde. »
L’action du roman se déroule sur douze jours et les chapitres commencent tous par le lieu et l’heure d’un épisode. Cela ressemble aux entrées d’un journal intime. Exemple : Jour 4 – Notchbridge, 15 h 00 – Poste de police – Salle d’interrogatoire.
Le plus original demeure le premier paragraphe de chaque chapitre. Dans quelques lignes en caractères italiques, un mort donne son avis sur un sujet ; le lien avec l’intrigue demeure souvent ténu.
Voici un exemple : « Je n’ai jamais vraiment compris ce que ces étés-là avaient d’indien. Étés des peaux-rouges, peut-être, par la couleur automnale des érables. Étés de massacre aussi, quand les arbres sacrifient leurs feuilles. »
Le commentaire que j’ai le plus savouré
est celui sur l’origine du mot barbecue.
Le commentateur écrit qu’elle remonterait aux explorateurs qui ont vu des indigènes rôtir une chèvre d’une seule pièce « de
la barbe à la queue » (barbe-queue-barbecue).
J’avoue avoir été plus emballé par le style
et l’architecture du roman que par l’intrigue elle-même. J’avais hâte de voir ce que
le mystérieux mort allait me servir comme mot d’introduction au prochain chapitre. C’est là que réside le charme du Cas Chakkamuk.
19 août 2022

Chloé LaDuchesse, L’incendiaire de Sudbury, roman, Montréal, Éditions Héliotrope, coll. Noir, 2022, 246 pages, 25,95 $.
Jouer avec le feu
et les mots
Des paumés disparaissent à Sudbury. Seraient-ils des cobayes pour
l’étude clinique d’une redoutable chercheuse universitaire qui a
« peu d’égards pour
la dignité humaine » ? Voilà le sujet du roman L’incendiaire de Sudbury, de Chloé LaDuchesse.
L’autrice est surtout connue pour son recueil Exosquelette, finaliste du Prix
du Gouverneur général. Elle a été poète officielle de Sudbury de 2018 à 2020. L’incendiaire de Sudbury est sa première incursion dans la fiction criminelle. Elle est aussi la première hors Québec à publier dans la collection Noir des Éditions Héliotrope.
Protagoniste et narratrice, Emmanuelle se terre à Sudbury depuis quelques années. Elle joint les deux bouts grâce à des contrats de design web pour des clients
plus ou moins réglos. Em croise des gens à la morale flexible. Les paroles de certains personnages transmettent sans distinction « des éclairs de lucidité et d’éhontés mensonges ».
Sudbury est aussi le sujet du roman. Bien que née à Montréal, Chloé LaDuchesse est une fière Sudburoise par adoption. Elle peint diverses facettes de cette ville coincée dans un cratère de météorite, attirant puis broyant les âmes. Tout est possible à Sudbury, on peut s’y cacher, et même devenir des criminels, « juste le degré ça change ».
Dans ce roman grouillant de vie et d’humour, on apprend que Sudbury a toujours été « en retard de dix ans sur
tout le monde et en toutes choses ». Il est possible de prévoir, un jour, que le quartier Moulin à fleur « serait victime d’une vague d’embourgeoisement qu’annonçaient précocement les trois commerces végétaliens et le magasin de tables tournantes hors de prix ».
« Sudbury est une ville où l’on revient constamment sur ses pas. »
Dans ce roman, la langue parlée se situe à divers registres. La présence de mots, d’expressions et de périphrases en anglais demeure très courante. Sans surprise, on trouve : cool, full sensuel, se garder en shape, shiner ma moto dans mon driveway… Ou encore : être teamed up, une situation upsetting, tu vas être so happy.
Il y a aussi des tournures comme « c’est quoi qu’elle a fait ça pour ? » Mais ça devient plus corsé à certains moments.
Le passage suivant m’a fait sursauter : « back in the days we wouldnt’t dare de cochonner la place de même, we had respect ». Il n’y a jamais de traduction
pour les passages en anglais.
Par son travail, Emmanuelle est condamnée à vivre de petites magouilles; elle croise des gens entre l’errance et l’indigence. Elle joue avec le feu, en fait même un mode de vie. Pour Em, Sudbury est un aquarium géant où le poisson se frappe continuellement
aux mêmes murs (voir couverture du livre).
En lisant L’incendiaire de Sudbury, on assiste, d’un chapitre à l’autre, « au grand chamboulement de l’écosystème du crime de la ville ». Dès qu’il y a une nouvelle piste, Em se pose deux questions : « Est-ce qu’il savait que je savais ? Est-ce que ce que je savais était même vrai ? »
L’intrigue peut laisser croire que la corruption ronge tout, mais c’est plutôt la gentrification qui repousse les classes populaires dans les marges, où personne n’est sans reproche.
9 août 2022

Virginie Grimaldi, Il nous restera ça, roman, Paris, Éditions Fayard, 2022, 396 pages,
32,95 $.
Une colocation
transforme trois vies
Dans le roman Il nous restera ça, Virginie Grimaldi réunit sous
un même toit trois êtres abîmés,
trois solitudes. Cette colocation leur réserve des moments inattendus
qui sonnent comme de surprenantes évidences.
À 74 ans, Jeanne est une veuve qui regarde son existence dans le rétroviseur. Elle loue une chambre à Iris, jeune femme mystérieuse de 33 ans, et à Théo, garçon gouailleur de 18 ans. Au fils des mois, de septembre à février, et à coups de confidences, Jeanne, Iris et Théo passent de colocataires à amis. Les failles, les peurs,
la force, le brut, tout cela crée des liens.
Les chapitres sont tour à tour la voix ou l’écho de Jeanne, Iris et Théo, toujours dans cet ordre. N’excédant pas plus de trois ou quatre pages, ils donnent du rythme au récit. On ne s’ennuie jamais.
Jeanne se rend chaque jour au cimetière, sur la tombe de son mari Pierre. Ces visites sont sa seule raison de continuer à vivre. Elle en vient à croire que c’est Pierre qui a mis Iris et Théo sur son chemin. « Il fallait au moins ces deux-là pour me guérir de toi. »
Iris, elle, a « la remise en question facile
et le doute encombrant ». Elle a enfoui
la vérité si profondément qu’il devient douloureux de l’exhumer. La jeune femme va découvrir que pleurer n’est pas indigne, que la douleur n’est pas vulgaire.
Quant à Théo, chaque fois qu’il a donné
un bout de son cœur, il l’a récupéré en sale état. « Vaux mieux avoir personne, au moins on ne risque pas de le perdre. »
Cet apprenti pâtissier a un vocabulaire coloré : « Je fourre les religieuses pour y insérer la crème pâtissière. » Son boulot
lui permet de « gagner de la thune ».
Tout au long du roman, Théo sert une variété de pâtisseries à ses colocs. Cela va des millefeuilles au saint-honoré, en passant par l’éclair au café, la charlotte poires chocolat, le baba au rhum, le paris-brest et la bûche de Noël. « Putain, je kiffe ! »
Au début, les deux chambres louées ne sont qu’un refuge temporaire. Vous devinez que l’endroit va devenir un foyer. Nous sommes témoins que certaines choses ne se comprennent pas avec des explications, mais avec le temps. Et Virginie Grimaldi excelle dans l’art de les raconter avec justesse et sensibilité.
Chaque personnage a vécu une expérience d’amour à divers degrés. Plus souvent qu’autrement, ce ne fut pas une plénitude enivrante, mais plutôt « une succession de petits bonheurs ». La lecture d’Il nous restera ça demeure une succession de moments agréables.
25 juillet 2022

Michel Tremblay, Douze coups de théâtre, récits, Montréal, Leméac Éditeur, 1992, 24,95 $.
Un premier contact avec
le théâtre devient un choc
Une de mes lectures estivales est
un retour trente ans passés. Avec Douze coups de théâtre, paru en 1992, Michel Tremblay nous offre
des instants de théâtralité familiale
et personnelle, des moments d’intimité où des personnages témoignent de leur réalité de vivre, dans les années cinquante, sur
le Plateau Mont-Royal.
À 14 ans, Michel Tremblay voit la pièce
La Tour Eiffel qui tue de Guillaume Hannoteau, mise en scène par Paul Buissonneau. Ce premier contact avec
le théâtre est un choc : « Ce qui se passait ce soir-là sur la scène allait devenir,
je le sentais bien, le but de ma vie ! » Il a de la difficulté à supporter le monde dans lequel il évolue, il veut faire partie de l’univers théâtral.
Sa mère ne veut pas voir son fils devenir un artiste. « C’est toutes des hobos,
des bohèmes pis des fifis, pis j’veux pas que tu deviennes comme ça ! » Il est trop tard, Michel est déjà artiste et homosexuel.
Après avoir vu Le Temps des lilas de Marcel Dubé, un seul désir l’habite, celui de décrire lui aussi les démons qui l’habitent.
« Et l’impression d’avoir enfin le droit d’appartenir, malgré mes origines, malgré mon odeur, à quelque chose de grand. »
En 1957, Tremblay regarde Un simple
soldat de Dubé en téléthéâtre. Il est muet d’admiration et de jalousie. C’est exactement cela qu’il veut faire : « décrire les autres, tout ce qui m’entoure, en faire du théâtre
ou des romans ».
À 16 ans, le jeune Tremblay suit un homme beaucoup plus âgé qui l’invite chez lui pour ce qui devient plus qu’une partie de jambes en l’air. Ce mélomane lui fait connaître Tristan et Isolde de Richard Wagner.
À travers la musique, il aperçoit l’âme
des personnages : « j’en avais un peu peur mais j’étais surtout attiré ».
Tremblay raconte la seule fois qu’il a vu une partie de hockey. C’était au Forum
de Montréal avec son père et il aurait voulu être n’importe où – messe, confesse, retraite fermée – plutôt que là. Ce passage m’a rappelé la fois que papa m’a amené à Détroit pour voir les Canadiens disputer un match contre les Red Wings; j’avais le même sentiment.
Lorsque Tremblay voit L’Opéra de quat’sous de Brecht et Weill, Monique Leyrac chante La Fiancée du pirate et ce sont « les trois minutes les plus intenses de toute ma vie
de dévoreur de culture ». À 22 ans, il est convaincu de ne plus jamais pouvoir revivre un moment comme celui-là, un « grand frisson de joie, proche parent du frisson d’horreur ».
En 1964, la pièce Le Train permet à Michel Tremblay de remporter le premier prix
du Concours des jeunes auteurs de Radio-Canada. C’est la preuve, écrit-il, « qu’on pouvait très bien avoir le droit de noircir des feuilles de papier sans être passé par
les collèges ou les universités ».
Peu de temps après, Tremblay (22 ans) rencontre André Brassard (18 ans), un jeune metteur en scène en herbe. Ils deviennent chacun le Pygmalion de l’autre, mais cela est un autre livre.
Margex
27 juin 2022

Brigitte Pellerin, Le livre Uber, récit, Ottawa, Éditions L’Interligne, 2021, 200 pages, 23,95 $.
La vie dans le miroir d’Uber
Comme je n’ai jamais appelé un taxi Uber, j’ai appris de quoi il en retournait en lisant Le livre Uber, récit de Brigitte Pellerin. J’ai surtout découvert l’expérience d’une conductrice dans une ville que
je connais assez bien, Ottawa.
L’avantage d’Uber et de Lyft, pour une écrivaine comme Brigitte Pellerin, « c’est qu’on rencontre toute sorte de monde. Pour l’inspiration, difficile de faire mieux. » Uber devient un prétexte pour l’écrivaine qui ne demande pas mieux qu’à se vider le cœur,
à faire le point sur sa vie.
Pellerin explique comment les gens n’ont « aucune idée des difficultés affrontées par les femmes dans la quarantaine ou la jeune cinquantaine qui bûchent pour retourner
au boulot. […] Il faut être prête à accepter
de revenir à un niveau professionnel moins élevé de plusieurs paliers… »
Le style du récit est vivant et coloré.
Les personnages sont les clients et leur entrée en scène est toujours directe :
« – Brigitte ! Faque tu parles français ?
– Oui.
– Wow, c’est génial. Moi c’est Nancy. Comment ça va, ma belle ? »
À chaque course, un sujet ressort, comme
le logement, la dépendance à l’automobile,
la bouffe minute, le coût de la vie, etc. Brigitte abandonne rapidement la livraison de nourriture pour se contenter de véhiculer des humains qu’elle prend plaisir à étudier.
Le livre Uber devient un roman psychologique assez réussi. Ainsi, on apprend qu’une cliente a un mari à droite sur le plan social. Elle s’est laissé entraîner dans ce milieu pendant son mariage. Mais « l’habit de moine ne m’a jamais convenu. Mon jupon de Québécoise libérée a toujours dépassé. »
L’autrice ne s’intéresse pas tellement aux aspects économique et technologique du nouveau mode de transport. Son étonnant récit aux accents personnels prend un malin plaisir à renverser les idées préconçues
sur la multinationale qui a transformé l'industrie du taxi.
Comme j’ai vécu trente ans à Ottawa,
j’ai reconnu plusieurs rues et quartiers.
On plonge encore plus librement et plus profondément dans l’intrigue lorsqu’on
se retrouve en pays de connaissance
Brigitte Pellerin est une femme de tête qui
a été conductrice pour Uber pendant plus d’un an. Son expérience terre-à-terre ne l’empêche pas de d’écrire dans divers registres. « J’aime bien ça, dire aux dépens des dépenses, c’est poétique, je trouve. »
Il y a bien quelques longueurs, notamment au sujet des problèmes techniques d’un taxi, du tarif exigé et du nettoyage de la voiture. Le style alerte et la variété des personnages campés avec brio nous font cependant vite oublier ces défauts minimes.
19 juin 2022

Élisabeth Tremblay, La Pathologiste –
Dr. Lesley Richardson enquête, roman, Montréal, Flammarion Québec, 2022,
304 pages, 26,95 $.
Réalité et fiction
font bon ménage
Élisabeth Tremblay s’inspire librement de la première femme pathologiste en Saskatchewan pour camper son personnage principal dans le roman La Pathologiste.
Le surnom « la Sherlock Holmes de la Saskatchewan » est tout désigné.
En 1918, Frances Gertrude McGill devient bactériologiste provinciale au ministère de la Santé de la Saskatchewan. Deux ans plus tard, elle accède au poste de pathologiste en chef de la province. Selon cette remarquable scientifique, il lui faut « penser comme
un homme, agir comme une dame, et travailler comme un chien ».
L’action du roman se déroule en 1918, époque où la médecine légale n’en est qu’à ses balbutiements. La pathologiste Lesley Richardson doit déployer l’art naissant de
la médecine légale afin de faire parler les morts.
Certains policiers trouvent qu’une femme
n’a pas à courir les champs à la recherche d’un squelette. Sa place est « à la maison, avec les casseroles et les enfants.
Les femmes ont été conçues pour donner
la vie, pas pour étudier les carcasses qu’elle a désertées. »
Lesley Richardson est à l’emploi de la Police de la Saskatchewan qui a été créé en 1917 et qui a fonctionné jusqu’en 1928, aux côtés de la Police à cheval du Nord-Ouest, ancêtre de la Gendarmerie royale du Canada.
Deux affaires requièrent la science de
la médecin légiste. Un apprenti forgeron a été battu à mort et un fermier a découvert des ossements sur sa terre. D’emblée,
on présume que ceux-ci appartiennent
à un Métis disparu un an auparavant.
La curiosité de la « Doc » est piquée à vif. Avant de remettre un corps à la famille,
elle prend le temps d’analyser et d’interroger l’estomac, l’intestin, le foie, les reins, la vessie, le cœur, les poumons, le cerveau, les ongles et les cheveux.
Si un policier est bon pour suivre une piste, déchiffrer des indices et réussir n’importe quelle filature, une pathologiste est efficace en faisant parler un cadavre. Lesley Richardson cherche à gagner l’estime et
la confiance des gens par la bonne vieille méthode : « un travail non seulement impeccable, mais acharné ».
La romancière fait un clin d’œil à Louis Riel en inventant un guide métis nommé Roy Riel. Elle développe son intrigue en illustrant comment « il existe bien peu d’emplois aussi lucratifs que les activités illicites ». Il est question de ventes illégales d’alcool et de drogues.
Il est aussi discrètement question de mœurs sexuelles pas encore approuvées par
le public. Lesley Richardson a une gouvernante prénommée Lucinda, mais
il devient rapidement évident que les deux femmes forment un couple. Lesley a
un faible pour les instants « où la nécessité d’obéir aux convenances et de préserver les apparences disparaît au profit de sensations brutes et enivrantes ».
Dans ce roman où les victimes s’accumulent plus vite que les suspects, la romancière fait souvent intervenir une voix intérieure qui laisse tomber de brèves réflexions sur
un doute, une impression ou un sentiment. Une technique utilisée à bon escient.
À la fois roman historique et policier,
La Pathologiste illustre avec brio comment réalité et fiction peuvent faire bon ménage.
11 juin 2022

Daniel Mativat, Samson, le taureau du nord, roman, Rosemère, Éditions Pierre Tisseyre, coll. Conquêtes, 2022, 126 pages, 14,95 $.
Muscles et cœur bombés
Fils d’habitant du cinquième rang
de Notre-Dame-du-Rosaire, Samson courtise la fille du notaire. Ce dernier impose une condition aux fiançailles : ramasser une fortune.
Or, Samson ne peut compter que
sur ses muscles et poings d’acier,
sur sa force herculéenne. Dans Samson, le taureau du nord, Daniel Mativat imagine le parcours de
ce nouveau Louis Cyr, homme fort légendaire du Québec.
Le jeune homme fort se joint à des foires agricoles pour étaler ses prouesses et ramasser des sommes d’argent de plus en plus élevées. Il écrit à la fille du notaire, mais ce dernier intercepte le courrier
pour lui faire croire que son amoureux
l’a oubliée.
Samson peut jongler avec des boulets
de canon, lever une ancre de 700 livres et porter sur son épaule un rail de chemin de fer de 35 pieds et d’un poids de 900 livres. Les défis pour ce jeune homme semblent sans limite. Pour combler son besoin d’énergie, Samson engouffre chaque jour sept bols de soupe, dix livres de viande,
sans compter le pain et les patates.
Le roman est truffé de québécismes, au point ou un lexique figure en appendice.
En voici quelques exemples : capot de chat (manteau de fourrure), cornette
(une religieuse), enfirouaper (abuser de quelqu’un, le tromper), les lignes (frontière entre le Canada et les États-Unis), pea soup (insulte visant les Canadiens français), ruine-babines (harmonica), taouin (imbécile).
Daniel Mativat décrit comment un petit gars du coin avec des muscles d’acier, un goût pour l’aventure et un cœur gros comme
ça peut faire rêver en couleur toute une génération.
30 mai 2022

Audrey Millet, Les dessous du maillot de bain. Une histoire du corps, essai, Paris, Éditions Les Pérégrines, 2022, 270 pages, 38,95 $.
Maillot des femmes
et misogynie du patriarcat
Consacrer un livre de 270 pages à quelques centimètres carrés de tissu peut sembler futile. Mais ce maillot de bain qui cache le minimum
et dévoile le maximum mérite bien sa place au rang des objets académiques. Voilà ce qu’affirme Audrey Millet dès la première
page de son essai intitulé
Les dessous du maillot de bain,
une autre histoire du corps.
Je m’attendais à un survol de l’évolution
du maillot de bain, avec photos à l’appui.
Or, l’ouvrage ressemble à une thèse de doctorat sur la manière dont la peau a été rendu publique et sur comment le corps féminin est apprécié et déprécié au fil des siècles. Rien au sujet du corps et du maillot masculins.
L’histoire du maillot de bain féminin est celle « de la façon dont la chair et le tissu se sont unis pour servir le sport, le sexe
et la culture ». Comme les interdits touchant le corps féminin sont décidés par
les hommes, il s’agit aussi donc, en partie,
de l’histoire du patriarcat.
Au Moyen Âge, le code moral et les règles de conduite ajoutent des briques au soubassement déjà costaud d’un « patriarcat fondé sur une profonde misogynie ». Et cela continue durant
la Renaissance lorsque « tabou, narcissisme, pouvoir et politique forment cette puissance fondatrice de la misogynie ».
Pour que les femmes puissent revêtir
une tenue de bain plus pratique qu’une grande chemise, un pantalon et un haut
à manches longues, il leur a fallu affronter « la police du regard établie par
le patriarcat ». Il a fallu attendre les révolutions industrielles, sociales, politiques et économique du XIXe siècle pour que
la donne change.
Les mœurs évoluent après la Première Guerre mondiale. L’industrie flaire un nouveau marché et fait entrer le maillot dans les tendances. « La panoplie serviette, maillot, chapeau, tongs, lunettes de soleil et paréo est née. » La rue vers les plages débute dans les années 1930.
Pour les femmes, les moments en maillot
de bain deviennent des occasions de se réapproprier leurs corps. En se découvrant corporellement, elles arrivent à mieux s’accepter. « Le maillot de bain comme symboles féministe, et pourquoi pas ? »
L’ouvrage est publié aux Éditions Les Pérégrines. Or, pérégriner veut dire aller librement d’un endroit à un autre,
se déplacer pour satisfaire sa curiosité, emprunter des routes inattendues, voyager, rêver. Le maillot tombe bien.
20 mars 2023

Arnaud Maïsetti, Brûlé vif, roman, Bordeaux, Éditions de L’Arbre vengeur, 2023, 270 pages, 34,95 $.
Un roman qui dessert Étienne Brûlé
Quand les traces d’un héros ont été oubliées, il reste la littérature pour lui redonner sens et vie. C’est le cas d’Étienne Brûlé qui a fasciné Arnaud Maïsetti au point d’écrire le roman Brûlé vif, hommage dithyrambique
à la mémoire d’un garçon...
qu’il réinvente.
On sait que qu’Étienne Brûlé fut le premier Français à cohabiter avec les autochtones, en Huronie, et sans doute le premier Européen à voir les lacs Ontario, Huron et Supérieur. Coureur des bois à l’esprit aventurier et indépendant, il aurait été assassiné pour des raisons politiques à cause de ses ententes avec une tribu hostile aux Hurons.
Arnaud Maïsetti écrit qu’on ne sait presque rien de l’existence d’Étienne Brûlé, qui a été racontée en pointillés « par les prêtres et les conquérants qui le méprisaient ». L’auteur se met à l’écoute de langues, chants et rituels perdus pour brosser la biographie d’un éclaireur lancé par Champlain au cœur des forêts, au plus profond, pour trouver un chemin vers l’ouest.
Le texte est souvent poétique. Il regorge même de références littéraires assez étonnantes. Maïsetti écrit que le fleuve est la sœur d’Acanthe et de Calypso, d’Eudore, de Persée et de Tyché.
Il note que, en juin 1609, Shakespeare achève Antoine et Cléopâtre, que Cervantès fait paraître une seconde version de son
El ingenioso hidalgo don Quixote de
la Mancha. Il en remet pour souligner que Shakespeare compose sa dernière pièce,
La Tempête, en 1610. Allez savoir pourquoi !
Champlain a traversé l’océan en pensant qu’il allait « négocier l’or avec le treizième Empereur Ming ». Il n’avait pas prévu les forêts denses, les fleuves furieux. L’Abitation de Québec qu’il fonde en 1608 est décrite comme « trois cabanes entourées d’une mauvaise palissade ».
Étienne Brûlé ne savait ni lire, ni écrire,
à peine signer son nom. Mais apprendre
des langues algonquiennes et iroquoiennes « sera un jeu d’enfant ». Le romancier y voit la le mystère des langues de feu de
la Pentecôte. Le garçon sait dire le nom
des oiseaux et des étoiles, « supplier qu’on l’épargne même si c’est en vain ».
La dernière page du roman m’a mis en colère. Arnaud Maïsetti écrit que le nom de Brûlé est prononcé dans la honte qu’inspire le traître, « ou alors pour le désigner fondateur de l’Ontario, ce qui est pire qu’une honte ».
Il ne sait pas qu’une école secondaire,
un parc et trois rues portent son nom.
Il ignore surtout que trois romans ont été consacrés à la vie du premier Blanc en Ontario. Dans les remerciements, il n’y a aucune référence à la trilogie signée par Jean-Claude Larocque et Denis Sauvé (Étienne Brûlé, tomes I, II et II, Éditions David, coll. 14-18, 2010 et 2011). C’est impardonnable !
Le roman se perd sur les traces « d’un oublié de l’Histoire » pour en réinventer
le mystère. Il fait malheureusement fi
d’une importante réalité, celle des premiers battements de coeur de l’Ontario français.
15 mars 2023

Danielle Carrière-Paris, Rose-Aimée Bélanger à l’ombre des chuchoteuses, biographie, Sudbury, Prise de parole, 2023, 136 pages, 36,95 $.
Rose-Aimée Bélanger : équilibre entre fragilité
et rondeurs
La sculptrice franco-ontarienne ayant connu le plus fulgurant succès demeure sans contredit Rose-Aimée Bélanger, du Nord-Est ontarien. Or, son parcours demeurait quasi inconnu jusqu’à
ce que Danielle Carrière-Paris nous le révèle avec brio dans Rose-Aimée Bélanger à l’ombre
des chuchoteuses.
La première exposition de cette artiste a lieu dans la Galerie McGugan, à Hamilton, en 1982. Elle a 59 ans. Ses œuvres seront par la suite surtout en montre dans des institutions du Québec et de l’Ontario.
La production de Rose-Aimée Bélanger reflète « une liberté, une plénitude, une sérénité, l’appréciation du moment présent, le bonheur de vivre sans complexe,
un appétit assumé pour les plaisirs petits
et grands ».
Aux antipodes de la plupart des femmes qu’elle représente dans ses œuvres, Rose-Aimée Bélanger est toute menue et d’apparence fragile. Elle a aujourd’hui
99 ans.
Bienveillante, attentionnée, enjouée et attentive, cette mère de famille « n’est pas de nature à dorloter ses enfants ou à leur manifester de la tendresse physique ».
Son mari, Laurent Bélanger, est un pilier
de la communauté du Témiscamingue ontarien; il est entrepreneur, conseiller scolaire, organisateur politique, juge de paix (et admirateur du talent de son épouse).
Les personnages féminins et masculins
qui peuplent l’imaginaire de Rose-Aimée Bélanger sont inspirées de ses observations quotidiennes, des membres de sa famille ainsi que des gens du voisinage « rencontrés au hasard pendant qu’ils vaquent à leurs activités journalières ».
À 52 ans, lorsque presque tous les enfants ont quitté le foyer familial, l’artiste se tourne vers l’art. Elle façonne d’abord la terre cuite, le grès, l’argile, puis découvre le bronze.
C’est vers 1995 que ses sculptures jusqu’alors filiformes deviennent de plus
en plus arrondies. Le grès cède au bronze, matériau que se marie parfaitement à la rondeur de nouvelles créations. « Je veux exploiter toutes les facettes du volume.
Avec le temps, mes personnages doivent, tout en devenant de plus en plus imposants, devenir de plus en plus gracieux et sensuels. En fait, je cherche l’équilibre,
entre fragilité et rondeurs. »
La sculpture Les chuchoteuses (en page couverture) a été installée dans le Vieux-Montréal en 2006. Cette œuvre de huit cents livres est la plus photographiée par les touristes. « Des quelques trois cent quinze œuvres d’art publiques réparties
sur tout l’île, elle compte parmi les huit créations les plus souvent citées comme étant emblématique de Montréal. »
Rose-Aimée Bélanger n’a jamais voulu faire des présentations dans les écoles, de parler de son art aux élèves. « Pour elle, si tu voulais faire de l’art, il fallait juste que tu
le fasses et que tu le fasses tous les jours.
Il n’y a pas de recette magique. »
Elle n’était pas non plus intéressée à donner des cours privés. Elle ne se voyait pas comme une pédagogue. À son avis,
« la personne qui souhaite entreprendre une création artistique doit trouver par elle-même sa propre façon d’y arriver ».
Danielle Carrière-Paris conclut cette biographie fort bien documentée en affirmant que « Rose-Aimée Bélanger, sereine et résiliente, ne conserve que de meilleurs souvenirs de sa vie, au cours
de laquelle elle a bercé ses enfants, épaulé son époux et caressé l’argile, parce que qu’avec les temps tous les souvenirs sont beaux, et comme le dit si bien Voltaire,
ce qui touche le cœur se grave dans
la mémoire. »
L’ouvrage comprend des photos d’une vingtaine d’œuvres, une chronologie de
la vie de Rose-Aimée Bélanger, une chronologie de ses expositions, une liste
des collections publiques qui ont ses œuvres et une bibliographie exhaustive.
10 mars 2023

Marie-Pier Luneau et Jean-Philippe Warren, L’Amour à 10 sous. Le roman sentimental québécois de l’après-guerre, essai,Québec, Éditions du Septentrion, 2023, 258 pages, 29,95 $.
Le sentiment amoureux sans désir charnel
Cinq cents titres par année pendant vingt ans au Québec; 20 000 à
30 000 exemplaires par livraison! De quel phénomène s’agit-il ?
Du roman d’amour à 10 sous. Marie-Pier Luneau et Jean-Philippe Warren en font une analyse détaillée dans L’Amour à 10 sous.
Le roman sentimental québécois
de l’après-guerre.
Boudés par les libraires, ces fascicules de 32 pages étaient vendus dans les kiosques à journaux, les tabagies, les pharmacies,
les gares, les épiceries et les diners (restaurants). Comme ils coûtaient 0,10 $,
ils ont été baptisés « romans à dix sous » ou « romans à dix cennes ».
« Le succès de cette forme littéraire est aussi phénoménal qu’unique dans l’histoire de l’édition au Québec. » L’ouvrage de Luneau et Warren se base uniquement sur la production des Éditions Police-Journal (P-J), et pour cause puisque le catalogue de P-J comprend 5 500 titres répartis en 8 collections et publiés entre 1940 et 1960.
P-J s’appuyait sur un réseau de près de
1 800 points de vente à Montréal.
Ses livrets se vendaient aussi dans
les communautés francophones de Hull
à Jonquière, du Nouveau-Brunswick au Manitoba et de Noranda à la Nouvelle-Angleterre.
Les romans à dix sous plantent le décor en peu de mots, usent un vocabulaire simple, privilégient les paragraphes très courts
et recourent abondamment aux dialogues.
Ils sont presque toujours écrits sous
un pseudonyme qui est souvent absent
de la couverture. Ce qui est en vue, c’est
le nom ou le logo des Éditions Police-Journal.
On apprend que le romancier Yves Thériault a assumé la responsabilité de plusieurs séries chez P-J. Il se souvient de ce travail « comme d’une formidable école pour apprendre le métier d’écrivain ». Michel Tremblay a été linotypiste à l’entreprise qui imprimait ces fascicules.
Dès l’âge de 24 ans, André L’Archevêque travaille comme dessinateur aux Éditions P-J. De 1947 à 1958, il réalise près de 6 000 illustrations, dont certaines pour d’autres éditeurs. Il insuffle à ses dessins « désirs et fantasmes, sans basculer vers un trop fort érotisme ».
L’Archevêque « réussit à exprimer plaisir
et volupté, ou à l’inverses détresse et débauche, tout en s’accordant avec
les chastes principes de la société québécoises de son temps. »
Les romans à dix sous célèbrent uniquement les relations hétérosexuelles, le mariage catholique et la famille. Malgré leur sensualisme et leur matérialisme,
ils sont considérés comme un moindre
mal par les élites de l’époque.
« L’homophobie des fascicules ne fait aucun doute. La seule relation qui y est tolérée est celle d’une femme avec un homme. »
Le roman sentimental suit un schéma assez simple. Deux personnes destinées l’une à l’autre se rencontrent, puis sont rapidement séparées par des obstacles. Tous les malentendus se dissiperont vers la 31e page du roman qui en compte 32. Les titres de P-J suivent ce scénario, mais il y a une nouveauté : « ils psychologisent les embûches qui se dressent sur le chemin de l’amour ».
Les héroïnes et les héros sont tous catholiques, francophones, blancs et hétéros. La femme est jolie et attirante; l’homme a un charme viril. L’héroïne cherche l’amour avec un grand A. « Si le mariage ou
la promesse de mariage de la fin du récit confirme qu’elle s’est affranchie du foyer parental, les romans la renvoient à l’obligation d’être épouse et donc, d’être mère. »
Le roman d’amour en fascicules joue sur
la tension d’un amour-passion contenu dans les limites de la moralité. Les auteurs soulignent comment on se trouve devant une littérature qui ne cesse de titiller les sens (les couvertures aguichantes le prouvent), tout en tâchant « de désamorcer des pulsions jugées indécentes ou obscènes, et ce, au moyen d’une sublimation des désirs charnels dans le sentiment amoureux ».
Le grand mérite des romans à dix sous, c’est qu’ils ont habitué les jeunes et moins jeunes à une pratique régulière de la lecture. Ils l’ont de toute évidence poursuivie par la suite.
27 février 2023

Antony Antoniou, Le gros problème de Noah, album illustré par Baptiste Amsallem, Éditions Bayard Canada, 2023, 24 pages, 19,95 $.
Album de sensibilisation
à la réalité des personnes autistes
Le 2 avril est la journée mondiale de la sensibilisation à l’autisme.
En 2020, lors de la fermeture des classes à cause de la Covid-19,
le Montréalais Anthony Antoniou
a écrit Le gros problème de Noah, un album inspiré par le statut d’autiste de son jeune frère Constantin. Anthony n’avait
alors que 14 ans.
Comme on le sait, le cerveau d’une personne autiste fonctionne différemment. Selon l’Organisation mondiale de la santé, pour qu’un diagnostic soit posé, il faut
que des anomalies soient présentes dans
le développement du langage et
la communication verbale et non verbale, dans les interactions sociales et dans
un choix de loisirs hors du commun,
en raison d’un sens de la perception et d’un traitement de l’information particulier.
L’auteur crée le personnage Noah qui veut jouer avec son frère Gabriel. Le tout est raconté sur un ton amusant, près du quotidien, avec des illustrations touchantes et colorées de Baptiste Amsallem, qui évoquent la simplicité et la candeur de l’enfance.
Comme Noah aime jouer au hockey, aller
à la piscine et faire des casse-têtes,
il propose ces divertissements à son frère. Chaque fois, il rencontre un grooos problème ! Rien ne fonctionne. Et si Noah pensait plutôt à ce que son frère aime vraiment…
Le gros problème de Noah est une histoire remplie de tendresse sur la force de l’amour et du lien fraternel. C’est aussi une leçon de tolérance et de persévérance :
il y a toujours une solution à un problème et c’est ce que nous démontre Noah.
Antony Antoniou note : « Apprendre qu’un membre de sa famille, particulièrement
un frère ou une sœur, est atteint d’une condition incurable, est un événement très difficile. Le choc de la nouvelle a bouleversé ma vie dès l’âge de cinq ans. J’espérais tant de ma relation avec mon frère, qu’à chaque Noël, j’écrivais au père Noël mon seul souhait, celui que mon frère guérisse. »
Le plus difficile est souvent le regard des autres. Quand Antony invitait ses amis chez lu certains parfois riaient de son frère et cela était très blessant. « Mon plus grand rêve serait que le monde soit plus sensibilisé à la réalité des personnes autistes et à celle de leur famille, car
le diagnostic est malheureusement de plus en plus fréquent. C’est pourquoi j’espère que ce livre sera lu par le plus d’enfants possible ! »
Afin de remercier les équipes de l’école
et de la Fondation À Pas de Géant pour leur implication dans la vie de son frère Constantin, Anthony a choisi de leur remettre ses droits d’auteur.
Baptiste Amsallem vit lui aussi à Montréal. Il illustre des albums et des bandes dessinées pour les enfants depuis bientôt dix ans. Il donne ses traits à El Kapoutchi
et a travaillé avec des éditeurs au Québec, en France et aux États-Unis, sur une quarantaine de livre.
18 février 2023

Pierre-Luc Gagné, Le jardin de la morte, roman, Québec, Éditions Hamac, 2023,
112 pages, 15,95 $.
Autofiction de mélancolie et d’amour
Après avoir fait paraître un recueil de poésie-théâtre en 2021, Pierre-Luc Gagné publie un premier roman d’à peine 100 pages : Le jardin de
la morte. La personne décédée est grand-mère Jeannine et le narrateur est son petit-fils de 7 ans qui rêve déjà de devenir vieux.
Gagné écrit que l’amour nécessite une sérénité, une distance, voire un abandon.
Il ajoute que sa mamie n’était pas « suffisamment égoïste pour m’emmener avec toi ». Il lui écrit donc une sorte de longue lettre, une ode, une fantaisie,
une autofiction.
Dans les remerciements à la fin du roman, l’auteur souligne que la vie, la mémoire,
a le pouvoir « de mélanger mélancolie et amour et de les rendre dépendants l’un de l’autre. » À cet égard, il étoffe son roman
de quelques citations d’artistes qui ont chanté l’amour.
Ces artistes incluent Félix Leclerc (La vie, l’amour, la mort), Léo Ferré (Avec le temps), Barbara (La solitude) et The Platters (Only you). Il cite aussi le cinéaste Bernard Émond (La femme qui boit). Gagné remercie la musique, le cinéma et la littérature, « noyaux indéfectibles de mes soirs d’hiver ».
Le jardin de la morte est un roman qui peut être lu rapidement, mais il faut presque le relire au moins une seconde
fois pour capter toutes les nuances.
L’auteur aime toucher au vrai « ou à ce qui feint la réalité. » Son livre porte non seulement sur l’apprentissage de l’enfance et la mort, mais également sur le songe où l’art devient sortie de secours.
Le romancier écrit qu’on ne peut pas
offrir ses sympathies : « on peut être en sympathie et offrir ses condoléances ».
Il a raison. Le Petit Robert parle de « témoignages de sympathie à l’occasion d’un décès » et renvoie au mot condoléances.
Pierre-Luc Gagné est né à Rimouski, quelques mois avant le référendum de 1995. Récipiendaire du prix « nageur olympique dans les nuages » aux derniers jeux d’été et d’hiver, il se parfume de poésie à temps perdu et il perd toujours son temps. Ne voulant rien manquer, il se trempe le nez un peu partout.
Il a étudié en techniques de travail social au Cégep de Rimouski, puis en création littéraire, en cinéma et en psychologie du développement humain à l’Université Laval. Lorsqu’on lui demande ce qu’il veut faire plus tard, il répond qu’il veut aimer longtemps.
5 février 2023

Eva Crocker, Tout ce que je demande, roman traduit de l’anglais par Laurent Aussant, Ottawa, Éditions L’Interligne, 2022, 328 pages, 32,95 $.
Roman déroutant
et désorienté
All I Ask est le premier et seul roman d’Eva Crocker, écrivaine LGBTQ. Il a été finaliste pour
le prestigieux prix Giller 2020.
Les Éditions L’Interligne ont publié sa version française, Tout ce que
je demande, grâce à la traduction
de Laurent Aussant. Attendez-vous à une lecture très imprévisible.
Le personnage principal est Stacey,
une aspirante actrice qui est réveillée par la visite de policiers qui fouillent son logement et saisissent son ordinateur et son portable, sous prétexte qu’ils sont à
la recherche de « matériel informatique illégal ». Elle devra élucider cette affaire
et recouvrer la liberté et l’intimité qui lui ont été dérobées.
L’action se déroule à Saint-Jean, Terre-Neuve, et nous avons l’impression de lire « la vie déprimante dans un trou perdu ». Les policiers font des erreurs, c’est bien connu, mais ici ils ne font presque rien d’autre. La romancière décrit quelques sorties au cinéma ou au bar, qui m’ont
le plus souvent ennuyé.
À un moment, deux amies s’amusent à deviner les numéros 1-800 qui correspondent à des lignes érotiques.
Elles enlignent presque toutes les combinaisons vaguement cochonnes d’un mot de trois lettres, suivi d’un mot que quatre lettres. Cela donne 1-800-BAT-SUCÉ, 1-800-NUE-SEXY, 1-800-LEZ-GAIE, 1-800-BON-SEXE, 1-800-MON-SEIN.
Je veux bien donner une chance au coureur, mais force est de reconnaître que le roman regorge de digressions et de longueurs qui souvent vont dans toutes
les directions, sauf dans celle de rendre
le récit intéressant. Les dialogues sont d’une simplicité et d’une banalité déconcertantes, dont voici deux exemples :
« Un grand verre ? »
« S’il te plaît. » J’ai hoché la tête.
« Ouais », j’ai dit.
« Ok, je vais chercher mon manteau. »
Au lieu de lire des réflexions profondes, des échanges sentimentaux entre deux femmes qui s’aiment, nous nous tapons plutôt des commentaires dans le style suivant : « les démonstrations publiques d’affection, en général, c’est dégueu.
Surtout quand c’est des hétéros. »
Vous aurez deviné que ce livre ne m’a
pas plu, loin de là. Tout est une question
de perspective et de goût personnel.
Je reconnais que la romancière avait sans doute de bonnes intentions. Selon Eva Crocker, lorsqu’un jeune grandit, l’opinion de ses semblables est importante. L’ouvrage semble centré sur les amitiés et les pou-voirs qui dirigent nos vies en début de cheminement.
À mon avis, l’intrigue aurait gagné à être mieux articulée. Les personnages m’ont semblé superficiellement campés et leur personnalité manquait de profondeur. Laurent Aussant a tiré son épingle du jeu en ciselant finement sa traduction.
À garder en tête que mon compte rendu
ne cherche pas à imposer un point de vue à coups de masse. Le vôtre vaudra autant, sinon plus.
25 janvier 2023

James Patterson (avec Maxime Paetro),
Le 19e Noël, roman traduit de l’anglais par Nicolas Thiberville, Paris, Éditions JC Lattès, coll. Le Women’s Murder Club, 2022,
320 pages, 34,95 $.
Un polar qui tourne
en rond
« L’adrénaline avait consumé ma fatigue et affûté ma concentration. […] Je m’étais endurcie nerveusement pour affronter
la tempête de merde qui allait s’abattre sur nous. » Ainsi s’exprime le sergent Lindsay Boxer dans
le roman Le 19e Noël, de James Patterson, 19e épisode dans la collectionLe Women’s Murder Club.
Chaque titre de cette collection inclut
un chiffre en ordre croissant. Cela va de 1er à mourir (2003) jusqu’à Le 19e Noël
(2022), en passant par Le 5e Ange de
la mort (2007), La 11e et dernière heure (2013), 14e Péché mortel (2016),
et ainsi de suite.
Ici, l’action se déroule toujours à San Francisco et s’étend sur une douzaine de jours, soit du 21 décembre au 2 janvier.
La narratrice est le sergent Lindsay Boxer du San Francisco Police Department (SFPD). Elle est ravie de travailler avec un ancien coéquipier. « Nous avions toujours su lire nos pensées respectives et terminer
les phrases que l’autre commençait. »
De fausses alertes lancent des flics sous adrénaline dans les quatre coins de la ville. Ils doivent enquêter sur un crime qui n’a pas encore été commis… et qui ne le sera peut-être jamais. Un mystérieux personnage dirige les flics sur une multitude de fausses pistes semées d’embûches pour mieux les égarer, tout en effrayant la population avec des actions chaotiques et aléatoires.
Le SFPD a un tuyau l’informant que le plus grand casse jamais réalisé à San Francisco est prévu pour le jour de Noël. J’ai dû chercher dans le dictionnaire le sens de casse au masculin. Il s’agit d’un cambriolage, d’un vol par effraction. On a droit, ici, au « casse du siècle », un coup préparé depuis sept ans.
J’ai aussi cherché le sens de l’expression « assez doué au pieu ». Je me doutais bien que cela voulait sans doute dire bien membré. Je me demande ce que le texte original en anglais disait à ce propos…
Le traducteur Nicolas Thiberville a bien frappé… au bâton!
Plus le roman progresse, plus le SFPD arrive au bout de son rouleau : « sur tous les plans : émotionnel, psychologique et physique – et pour l’instant, ils n’avaient obtenu aucun résultat. » Chaque piste explorée aboutit à du sang versé. Le suspect épuise les flics à l’aide d’épisodes violents et de rumeurs sur le pire qui reste à venir.
Noël approche et le SFPD doit accomplir
un miracle. Vous vous doutez bien que
le sergent Boxer et ses collègues vont finir par tirer leur épingle du jeu. Mais avant d’y arriver, ils doivent plonger dans l’horreur glaciale d’un meurtrier professionnel.
Je ne sais pas jusqu’à quel chiffre James Patterson veut se rendre, mais Le 19e Noël n’est pas son meilleur roman. On tourne trop en rond. Les trous noirs sont trop nombreux. L’histoire racontée aurait eu plus d’impact si elle avait fait l’objet d’une nouvelle d’environ 20 pages.
7 janvier 2023

Jett Masterson, Waiting on The One, roman M/M Omegaverse, 2021, 890 pages.
Alpha, Oméga
et grossesse masculine
The One, celui qu’on attend, celui
qui se pointera un jour. Dans Waiting on The One, Jett Masterson campe un éleveur de loups-guides et un enseignant aveugle qui
se rencontrent physiquement, émotionnellement et sexuellement. Leur cheminement est éblouissant, mais flirte avec une fiction pour
le moins débridée.
L’éleveur Elias est présenté comme un mâle Alpha à l’opposé du mâle Oméga qu’est l’aveugle Willow, mais de la bonne manière. Alors que le premier est extroverti, leader, décisionnaire et dominant affectueux,
le second est introverti, docile, confiant, intelligent et conscient de ses capacités amoureuses.
C’est la première fois que je lis un roman où les protagonistes sont désignés par leur genre de personnalité. Masterson alterne constamment entre les prénoms Elias-Alpha et Willow-Oméga. Il donne à chacun
une odeur caractéristique : celle de la pluie printanière pour Elias et celle de la pomme verte pour Willow.
Elias encule Willow à profusion et à répétition. « Elias’s rut hormones plowed into him like a tidal wave. » Les scènes de pénétration s’étendent facilement sur six, sept ou huit pages. Elias dort une pleine nuit seulement lorsqu’il est sexuellement exténué. Il ne s’agit pas d’échanges libidineux gratuits; on assiste aussi à des moments de confessions et d’émotions.
Tel que mentionné plus haut, le roman se loge à l’enseigne d’une fiction débridée. Elias encule Willow jusqu’à ce que son amant tombe… enceint. Vous avez bien lu. Willow va donner naissance à des jumeaux et les allaiter naturellement. On sait qu’il a un superbe pénis entre les deux jambes, mais on ne sait pas comment il réussit à expulser ses « pups ».
Durant la grossesse de son Oméga, l’Alpha fait l’amour tendrement. Mais Willow a soif de sexe brutal. « He needed sex more than he needed food or possibly even air at this point. » Son corps entier réclame toute une symphonie de maux et de douleurs se transformant en une apothéose de plaisirs charnels.
Dans ce roman, presque tous les person-nages secondaires sont homosexuels.
Le moindre commentaire homophobe
donne lieu à une riposte déchaînée. Lorsque Willow était au collège, quelqu’un avait parié qu’il serait le premier à enculer
« the blind freak ». Le cul de Willow est charcuté au point où il doit se rendre à l’hôpital. Ce n’est que des années plus tard que Elias réussira à lui redonner confiance, l’amenant à jouir pleinement et follement de la sodomie.
Willow décrit son cheminement en ces mots : « I was so alone before I met you. So afraid of everything. I was hurt, because I’d been broken. (…) You took me into your gentle hands and held me close and let me heal. »
Ce que j’ai trouvé le plus touchant dans ce roman, c’est à quel point l’Alpha a un désir plus que charnel. « Elias wanted this man so badly. Not just physical desire, his heart ached for his closeness, to hold him, to have someone to care for. » Comme Willow ne peut pas voir l’expression sur le visage de son amant, ce dernier parle, gémit et émet des bruits. Son odeur communique aussi
sa passion. La beauté resplendissante de Willow, elle, nous envoûte au plus haut point.
29 décembre 2022

David Beaudoin, La signature rouillée, roman, Annika Parance Éditeur, coll. Coûte que coûte, 2022, 156 pages, 26 $.
Quand l’art bouscule l’identité de genre
Dans son premier roman intitulé
La signature rouillée, David Beaudoin entraîne ses lecteurs dans une spirale d’hallucinations où
il mêle polar et fantastique. L’ouvrage est une sorte d’enquête psychologique avec des accents homoérotiques.
Nous suivons ici l’histoire d’un restaurateur d’œuvres d’art, Antoine G., qui vit à Paris et dont le travail l’amène à s’occuper d’une toile vandalisée par un homme vêtu d’une robe de mariée. Il se voit comme une sorte de psychologue qui veut avant tout comprendre les motivations de l’artiste,
« ce que celui-ci désirait transmettre dans sa création ».
Antoine G. doit restaurer Le sauvetage des malades de l’hôpital de l’Ancienne Charté, œuvre de A. Boulanger abîmée par un vandale. Pour restituer la toile à perfection, il lui faut parvenir à ne faire qu’un avec elle et avec Boulanger.
Le personnage principal dans l’œuvre abîmée est une femme en blanc.
Le restaurateur croit qu’elle lève les yeux vers lui. La toile s’anime. Antoine G. devine que cette femme est la muse de l’artiste, voire son amante. Et il est convaincu que Boulanger, artiste inconnu, est une femme.
Le sauvetage des malades de l’hôpital de l’Ancienne Charté dépeint une scène de 1910, époque où on retrouve plusieurs œuvres provenant d’artistes anonymes.
La paternité des toiles est toujours attribuée à des hommes. Antoine G. convainc
la directrice du musée d’inscrire désormais Madame devant le nom de Boulanger.
Dès les premières pages, Antoine G. monte
à bord du métro de Paris et, en route, sent le sexe d’un homme cogner sur ses fesses.
Il veut se retourner et ordonner à l’homme « de cesser de se frotter contre lui ».
Il n’en fait rien. Quelques chapitres plus loin, Antoine G. est « entièrement comblé » lorsqu’il s’éprend d’un homme et se fait pénétrer. Dans une scène onirique, il « se blottit contre le corps de son amoureux » au sommet de la tour Eiffel.
Plus la restauration progresse, plus
la femme en blanc passe de simple personnage à proche aie, mieux encore,
à véritable complice. Antoine G. croit même qu’elle incarne sa grand-mère, incarcérée dans un institut psychiatrique pour lesbianisme.
La restauration de l’œuvre abîmée se fait au Musée Carnavalet. Antoine y entre « comme s’il venait de pénétrer dans
une chambre anéchoïque ». J’ai dû chercher la définition de cet adjectif et j’ai appris qu’une chambre anéchoïque ou chambre sourde est une salle d’expérimentation dont les parois absorbent les ondes sonores ou électromagnétiques.
Je signale, en passant, que « carnaval » figure dans le nom du musée Carnavalet. L’auteur aime déguiser ses personnages
et les camper dans des marées humaines comme si la montée des eaux de la Seine les transportait dans une sorte de nirvana.
Pour reprendre les mots de l’éditeur,
ce roman suscite une réflexion sur
la dualité entre folie et normalité, entre féminin et masculin. « Qui décide ce qui est acceptable socialement ? Sur quels fondements se bâtit l’identité de genre ? »
23 décembre 2022

24 décembre 2022
Jean-Pierre Dubé, Le radeau, roman, Winnipeg, Éditions du Blé, 2022, 402 pages, 24,95 $.
Frères et sœurs
sur charbons ardents
Pourquoi s’acharne-t-on à faire partie d’une famille ? Cela revient souvent à « se lancer les yeux fermés sur un terrain miné ».
Avec son nouveau roman intitulé
Le radeau, Jean-Pierre Dubé illustre à merveille comme il peut y avoir
à la fois famille et… faille.
En page couverture, l’éditeur présente ce roman comme « L’histoire extraordinaire d’une famille ordinaire des plaines ».
Le paysage est peut-être plat, mais le récit est loin de l’être. Six frères et sœurs se retrouvent à deux reprises autour d’un repas pour rattraper vingt ans de silence
et de séparation. Chacun porte en lui
un lourd secret.
L’action se déroule chez le benjamin de
la famille, Thomas, dans le village franco-manitobain de Saint-Raymond, sur les bords de la rivière Seine. Pour le benjamin, la volonté de nouer avec les siens couve « comme un feu de prairie ».
Le roman est une suite de moments de conflit ou de complicité entre frères et sœurs. Des secrets enfouis en chacun d’eux rejaillissent au cours de deux soirées de retrouvailles. Par moments, cela devient presque un concours pour savoir qui a souffert le plus. L’auteur écrit : « On n’est pas un tribunal, on est en famille. » Oui, mais la fratrie arrive mal à gérer ce qui s’annonce…?
Outre la relation avec les parents, puis celle entre frères et sœurs, les autres thèmes abordés sont le fanatisme religieux, l’inceste et le lesbianisme. Si un souvenir ne lâche pas prise, s’il refait constamment surface, c’est qu’il faut poser un geste pour tourner la page.
L’originalité de ce roman réside en partie dans le mélange des styles romanesque et dramaturgique. Plus de la moitié du roman est écrit comme une pièce de théâtre.
Ce n’est pas surprenant puisque Jean-Pierre Dubé est aussi dramaturge et scénariste.
L’ouvrage renferme aussi de nombreux passages extraits du journal intime de Thomas : ses pensées sur la vie en famille, sur ses années au collège, sur l’actualité politique et sur le déchirement qui accompagne son immense besoin de solitude. Ce journal est un roman que Thomas est en train d’écrire secrètement.
Le mélange de styles peut à la fois plaire
et surprendre. Les très (trop) nombreux dialogues sous forme de script donnent parfois lieu à du bla-bla-bla dont on se serait passé. J’aurais personnellement coupé au moins 50 à 75 pages.
Le titre du radeau, Le radeau, peut renvoyer à une embarcation sommaire faite de divers objets flottants (bois, bidons, caisses, etc.)
et n’ayant pas une vocation durable.
Le radeau peut aussi être une embarcation permettant de naviguer dans des conditions parfois difficiles, comme lors d’un naufrage. Vous devinez sans doute le sens ici.
« La vie, on n’en sort vivant. »
3 décembre 2022

Ariane Brun del Re, Décoder le lecteur.
La littérature franco-canadienne et ses publics, Montréal, essai, Presses de l’Université de Montréal, coll. Espace littéraire, 2022, 232 pages, 32,95 $.
Les livres sélectionnent leurs lecteurs
Spécialiste des théories de
la lecture, Ariane Brun del Re a décidé d’explorer le ou les publics que les littératures francophones produites en Acadie, en Ontario
et dans l’Ouest visent à joindre.
Le résultat de ses recherches est
un essai intitulé Décoder le lecteur : la littérature franco-canadienne
et ses publics.
L’ouvrage propose une triple typologie de lectrices et lecteurs : endogènes, exogènes et paritaires (à la fois un lectorat endogène et exogène). Les auteurs qui mettent au point des stratégies d’écriture pour s’adresser aux lecteurs endogènes « s’identifient à la même communauté culturelle qu’eux ». Dans le cas exogène, l’auteur exprime sa différence en la modu-lant selon les compétences de lecture
d’une autre communauté que la sienne (québécoise ou française, par exemple).
Les œuvres paritaires s’efforcent de maintenir l’équilibre entre les lectorats endogènes et exogènes « afin que les deux se sentent concernés et puissent gagner ». Ces œuvres cherchent à établir un équilibre entre leurs lecteurs non seulement quant
à la langue, mais aussi quant à d’autres éléments endogènes comme « l’espace, l’identité des personnages ou les différences culturelles ».
Ariane Brun del Re a retenu deux ouvrages pour chaque type de lectorat. Moé j’viens du Nord, ’stie de la Troupe de l’Université Laurentienne et Bloupe de Jean Babineau
du côté endogène. La Sagouine d’Antonine Maillet et Les trois exils de Christian E par Philippe Soldevila et Christian Essiambre
du côté exogène. Pour sûr de France Daigle et La belle ordure de Simone Chaput pour le côté paritaire.
Quatre des six titres sont reliés à l’Acadie, un seul pour l’Ontario qui me semble
le parent pauvre de cette étude. J’aurais aimé voir un roman de Daniel Poliquin ou de Hélène Brodeur. Mais del Re avoue ne pas s’être préoccupée de représentativité régionale en déterminant le corpus. Les œuvres choisies, précise-t-elle, « partagent des défis similaires quant à leurs lecteurs ».
L’analyse met en lumière l’importance
non pas DU mais DES publics à la portée des écrivains et par rapport auxquels ils doivent se situer. « Si, ultimement, ce sont les lecteurs qui choisissent leurs livres –
à la bibliothèque, en librairie, sur le Web,
à la maison –, les livres travaillent également à sélectionner leurs lecteurs. »
Ariane Brun del Re détient un doctorat en lettres françaises de l’Université d’Ottawa. Elle est chercheuse postdoctorale au Centre interuniversitaire sur la littérature et
la culture québécoises de l’Université de Montréal et à l’University of British Columbia, campus Okanagan.
19 novembre 2022

Sylvain Lemay, Ce n’est pas la première fois que je meurs, récit,Montréal, Éditions Somme toute, 2022, 128 pages, 19,95 $.
Parler de mort
pour célébrer la vie
Puisqu’il a eu une connaissance très fragmentaire de son grand frère, Sylvain Lemay prend la décision d’écrire un livre afin de « rassembler ses souvenirs pour
en tracer un portrait cohérent ». Cela donne un récit intitulé Ce n’est pas la première fois que je meurs.
Secoué par la maladie en phase terminale de son frère, l’auteur s’échappe comme
il le peut de la petite chambre aux soins palliatifs. Il puise dans ses souvenirs pour raconter la vie de sa famille et, surtout,
de ce frère 17 ans plus vieux que lui.
Au départ, l’auteur se dit qu’il écrit pour son frère Jean-François décédé à l’âge de
67 ans, mais quand il achève de rédiger
son récit, c’est « encore plus pour moi ».
Né en 1952 et décédé en 2019, Jean-François a connu 7 papes, 18 premiers ministres du Québec, 12 premiers ministres du Canada,
13 présidents américains et une seule monarque britannique. L’ouvrage renferme plusieurs références culturelles, populaires et historiques.
Lorsque son grand frère est vivant, l’auteur a le pouvoir de l’imaginer fantôme. Un fois qu’il décède, qu’il a toutes les qualités de spectre, le petit frère demeure dépourvu
de ce pouvoir. Sylvain Lemay se concentre plutôt sur deux vies complexes et multiples; il ressent « le besoin de relier
les points pour enfin y trouver un sens ».
Balzac a écrit que « L’homme meurt
une première fois à l’âge où il perd l’enthousiasme. » Sylvain Lemay croit
que son frère est mort une première fois lorsqu’il a jeté ses poèmes de jeunesse; « cet épisode mit fin à toutes ses velléités littéraires ».
« Éros et Thanatos sont dans un bateau. L’un tombe à l’eau. Qui reste-t-il ? » Puisqu’on surnomme l’orgasme « petite mort », l’auteur comprends que sur son lit de mort son frère ait pu s’écrier : « Ce n’est pas la première fois que je meurs ! »
Sylvain Lemay fut un avide lecteur de Tintin et d’Arsène Lupin. Il ne connaissait alors la vie qu’à travers les héros de ses lectures. Il en connaissait plus sur leur vie que sur « les émotions dans les visages et les gestes des personnes en chair et en os ». Son frère est un personnage complexe qu’il admire, mais qui l’intimide en même temps.
En écrivant plus de cent pages sur la mort de son frère, l’auteur est conscient que « c’est ma propre mort qui apparaît en filigrane ». En plongeant dans le passé de son frère décédé, il essaie d’exorciser sa propre peur.
Il enjolive souvent ses souvenirs car cela
lui fait plus de bien que la terne réalité. Avant que son frère ne s’échappe complètement, il en fait le personnage de
ce livre. « Une façon pour moi de saisir l’insaisissable et de donner à ce frère,
si présent et si éloigné en même temps,
une nouvelle naissance. »
La maison d’édition ne précise pas le genre littéraire de Ce n’est pas la première fois que je meurs. Est-ce un récit ou un roman ? Une autofiction sans doute.
30 octobre 2022

Suzanne Myre, Le sanatorium des écrivains, roman, Longueuil, Éditions L’instant même, 2022, 254 pages, 39,95 $.
Les A. A.
ou Auteurs Anonymes
en panne d’inspiration
Le troisième roman de Suzanne Myre s’intitule Le sanatorium
des écrivains. Ayant publié
une cinquantaine de livres, j’ai été attiré par un ouvrage coiffé d’un tel titre. J’ai été vite décoiffé.
L’annonce d’un sanatorium pour « auteurs désespérés » en panne d’inspiration
retient l’attention de Christian Granger,
le narrateur. Il s’inscrit et est conduit
les yeux bandés vers un site qui s’avère complètement secret.
Chaque autrice ou auteur inscrit doit adopter un pseudonyme qui est le prénom d’un écrivain connu décédé. Il opte pour Edgar (Allan Poe). Ses collègues sont Arthur (Rimbaud), Agatha (Christie), Gabrielle (Roy), Daphné (du Maurier), Sylvia (Plath), Tatiana (de Rosnay), J. D. (Salinger), Lou (Andreas-Salomé), Beatrix (Potter) et Katherine (Mansfield).
Edgar apprend que Daphné est un caméléon, une usurpatrice d’identité,
une fraudeuse qui enquête sur la disparition du célèbre David Foenkinos. Suzanne Myre crée ici « une pseudo-détective-pas-écrivaine-pour-deux-sous ».
Le roman ne manque pas d’allusions lubriques, car il est « légendaire que l’écrivain est une bête de sexe, particulièrement quand il est frustré par une panne d’inspiration ». Ou Edgar invente-il cette fable pour justifier sa démangeaison…? Chose certaine, il a tout
du mésadapté socio-affectif.
On a droit à des logorrhées verbales,
à des soliloques qui rendent fou.
Les séances de discussion ressemblent
à une réunion des A.A. Le caractère émotionnel des auteurs en difficulté
de fécondation teinte leurs rapports. « L’écrivain en panne est une créature désespérée. »
L’intrigue du roman est assez difficile à suivre car chaque personnage semble tirer un mensonge de sa panoplie-pour-se-rendre-intéressant. Comme il faut un rebondissement, on finit par lire un roman de crime sur la personne, un peu tiré par les cheveux décoiffés.
Il y a ici et là quelques jeux de mots coquins. Lorsque quelqu’un dit « ce n’est pas de tes oignons et tes oignons ne sont pas les miens », on lui répond « arrête
de tout éplucher comme ça ».
La maison d’édition tente de nous faire croire que Suzanne Myre « signe un roman audacieux, ancré dans la réalité contemporaine du monde littéraire québécois vu à travers la lorgnette d’une autrice drôle, fine observatrice, légèrement cynique mais toujours prête à jouer le jeu de la fiction ». J’ai eu beaucoup de difficulté à embarquer dans cette galère.
Enfin, il y a des références à des auteurs contemporains du Québec mais jamais
la mention d’un écrivain de d’autres provinces.
24 octobre 2022

Mario Faubert, Le Québec vu d’en haut, essai photographique, Éditions Sylvain Harvey, 2022, 256 pages, 49,95 $.
Le Québec vu
par un aviateur
Mario Faubert publie le premier livre d’images aériennes à couvrir l’ensemble du territoire québécois
et à dévoiler des photos prises par avion ou par drone. Le Québec vu d’en haut offre plus de 150 photos époustouflantes de toutes
les régions du Québec.
Pour nous faire survoler un aussi vaste panorama, Faubert a réuni son choix de clichés vus du ciel sous diverses rubriques comme Les régions touristiques, Les forêts, lacs et rivières, Le Québec côté mer,
Les scènes villageoises et rurales, L’hiver
et La joie de vivre.
Ce beau livre est le fruit d’une centaine d’heures de vol dans des conditions parfois difficiles. Le coloris automnal, avec la magie des érables, revient dans plusieurs photos. Il faut dire que les forêts couvrent 54 % de la superficie totale du Québec. Ajoutons à cela que la province compte 500 000 lacs et 4 500 rivières, de quoi attirer le regard d’un professionnel comme Mario Faubert.
L’ouvrage est bilingue, sauf pour les textes de chansons célèbres signées par Gilles Vigneault, Félix Leclerc, Robert Charlebois et Raoul Duguay. La section sur l’hiver s’ouvre, bien entendu, sur les paroles de « Mon pays, ce n’est pas un pays, c’est l’hiver », de Vigneault. La section sur
la joie de vivre reprend la chanson
« Les gens de mon pays ».
Dans la majorité des cas, les photos s’étalent sur deux pleines pages. Elles défilent en cascade sans indication au fil des pages. Ce n’est qu’à la fin de chaque section, qu’une brève note offre une description plutôt technique de chaque photo, parfois en une seule phrase, rarement plus que trois. C’est la principale faiblesse de cet ouvrage.
17 octobre 2022

Monique Lapointe, 27 commissaires, détectives et autres fins limiers de la littérature policière, essai, Montréal, Éditions Les heures bleues, coll. Les 27, 2022,
64 pages, 21,95 $.
27 têtes d’affiches
des polars
Arsène Lupin, Sherlock Holmes, Hercule Poirot, Jules Maigret, autant de personnages fort bien connus
des amateurs de polars. Pour
la collection Les 27 des Éditions
Les heures bleues, Monique
Lapointe dresse le portrait de
27 commissaires, détectives et autres fins limiers de la littérature policière, présentés en ordre alphabétique.
Dans ce palmarès, j’ai reconnu quelques limiers dont j’ai parlé dans mes comptes rendus de polars pour L’Express, notamment Armand Gamache (Louise Penny), Maud Graham (Chrystine Brouillet), Guido Brunetti (Diana Leone) et Harry Bosch (Michael Connelly).
Pour Monique Lapointe, ce n’est pas tellement l’histoire policière qui l’intéresse, mais plutôt « l’atmosphère caractéristique qui s’installe à chacune des enquêtes ».
Une atmosphère dans laquelle il est possible de replonger à loisir pour voir
le personnage se matérialiser, nous accompagner et nous habiter.
Le premier détective de roman policier serait le chevalier Auguste Dupin, créé
par Edgar Allan Poe en 1841. Arthur Conan Doyle reconnaît s’en être inspiré pour camper Sherlock Holmes. Ce dernier
« ne prise guère cette comparaison »,
car il croit être le premier à avoir exercer ce métier.
Mon personnage préféré demeure sans l’ombre d’un doute Armand Gamache. « Entre loyauté et intégrité, il fait le choix difficile de la quête de la vérité, sachant pertinemment qu’il perdra l’appui de
ses supérieurs et le respect de certains collègues. »
Il est bien connu qu’Arsène Lupin n’est pas juste un cambrioleur, aussi gentleman soit-il. Il demeure un être attachant « capable de cynisme autant que de civisme ». Lupin sait aussi donner la réplique aux plus avertis des érudits.
Plusieurs de ces commissaires, détectives ou fins limiers ont été incarnés par de brillants acteurs au cinéma ou à la télévision. Tom Hanks a joué Robert Langdon dans Da Vinci Code (2006) de Dan Brown. Jean Gabin et plus récemment Gérard Depardieu ont interprété Jules Maigret. Humphrey Bogart a incarné Philip Marlowe quand The Big Sleep, de Raymond Chandler (1939) a été porte à l’écran en 1946.
Jane Marple est un personnage qu’Agatha Christie affectionnait particulièrement.
Elle a été incarnée par Geraldine McEwan dans quelques saisons d’une série télévisée. De nombreux films ont été réalisés à partir des aventures d’Hercule Poirot, notamment avec David Suchet dans le rôle principal. « Nul interprète n’avait encore saisi
le personnage d’Agatha Christie avec autant de justesse et de complexité. »
Je note, en passant, qu’une statue de Poirot se dresse à Ellezelles, en Belgique, et que
le 221B, Baker Street, lieu où aurait vécu Sherlock Holmes, est maintenant un musée.
Je me suis arrêté aux noms plus populaires. Il est aussi question, entre autres, de Kostas Charitos (Petros Markaris), Salvo Montalbano (Andrea Camilleri), Amaia Salazar (Dolores Redondo) et Spenser (Robert B. Parker).
Monique Lapointe a été professeure de littérature au cégep pendant plus de trente ans. Elle y a aussi œuvré en tant que directrice adjointe des études pendant
deux ans. Elle détient une maîtrise en études françaises et poursuit actuellement des études en langue et culture italiennes.
10 octobre 2022

Maryse Rouy, La maison d’Hortense, tome 2, Printemps-été 1936, Printemps-été 1937, roman, Montréal, Éditions Hurtubise, 2022, 322 pages, 24,95 $.
L’homme faute,
la femme paie
Maryse Rouy nous a présenté
une galerie de personnages attachants dans le premier tome
de La maison d’Hortense.
On les retrouve en 1936-1937 dans
un second tome axé sur le maigre espace de liberté que les hommes consentent aux femmes.
Justine poursuit ses études en droit même si l’accès au barreau lui sera interdit.
Elle lutte aussi en faveur du droit de vote des femmes et pour de meilleures conditions de travail pour les ouvrières.
Comme le père de Justine a divorcé pour marier la servante, sa mère devient
une pestiférée : « les hommes fautent et
les femmes paient ». Les institutions punissent la femme victime d’un époux volage pour les frasques de ce dernier.
À coups de mises en scènes dramatiques,
le roman illustre bien une société québécoise où tout est permis aux hommes alors que les femmes en subissent
les conséquences.
Dans le Québec sur le point d’élire Maurice Duplessis comme premier ministre, l’opinion générale désapprouve que
les femmes se consacrent à autre chose qu’à leur foyer. La romancière illustre à plus d’une reprise l’intransigeance et
le manque de charité de ceux qui se proclament gardiens des bonnes mœurs.
Pour le fiancé d’une amie de Justine, le rôle d’une épouse consiste à élever ses enfants, à s’occuper de bonnes œuvres et, surtout,
à se garder d’exprimer des opinions.
« Je la laisse discourir, mais une fois que nous serons mariés, j’y mettrai le holà. »
Justine n’a jamais vu un mari aussi rétrograde. Il refuse que son épouse fréquente une amie d’enfance qui étudie à l’université, craignant que « cela lui donne des idées d’indépendance ».
Une pensionnaire de la Maison d’Hortense est journaliste et elle doit souvent se déguiser en homme pour couvrir certains événements, notamment lors de réunions politiques. Le discours masculin professe que la gent féminine demeure incapable
de comprendre la politique.
Une pensionnaire de la Maison d’Hortense est comédienne. Cela permet à l’autrice
de nous parler des Compagnons de Saint-Laurent, une troupe fondée en août 1937 par le père Émile Legault. On présente
un théâtre poétique, populaire, spiritualiste, le tout auréolé d’une « rigueur esthétique, au milieu d’un climat chrétien ».
La journaliste couvre le Deuxième Congrès de la langue française, à Québec en 1937. Le thème choisi est « L’esprit français au Canada dans notre langue, dans nos lois, dans nos mœurs ». Il est question, bien entendu, des minorités francophones du Canada. On ne mentionne pas que le terme Franco-Ontarien a été prononcé pour
la première fois lors de ses assises.
Le roman prend fin avant même que Justine ait terminé ses études en droit. On a donc tout lieu de croire qu’un troisième tome
est en train d’être concocté…
6 octobre 2022

Daniel Lessard, Crime parfait, roman, Rosemère, Éditions Pierre Tisseyre, 2022,
312 pages, 24,95 $.
Polar sur la Sûreté
du Québec
Journaliste à Radio-Canada
pendant 39 ans, Daniel Lessard est aujourd’hui un prolifique écrivain. Son douzième roman, Crime parfait, porte un regard sinistre sur un corps policier où réalité et fiction font bon ménage. « Des forces obscures tirent les ficelles à la Sûreté du Québec (SQ) et ces gens-là ne reculeront devant rien pour arriver à
leurs fins. »
L’action se déroule dans l’Outaouais,
une région rarement présente dans les polars québécois. Sophie Comtois, une sergent-détective ouverte d’esprit, qui ne craint pas la diversité, a eu une relation avec Noah Brisson, l’un des enquêteurs
les plus efficaces de la SQ. Et voici que
ce dernier est retrouvé mort dans un vieux bazou abandonné.
Le directeur des enquêtes criminelles sait que les deux hommes noirs qu’il vient d’interroger n’ont pas commis le crime, « mais il lui faut des coupables et ces deux-là feront l’affaire ». Il est le genre à s’insurger contre « le traitement royal que les corps policiers sont forcés d’accorder aux immigrants, à la gang des LGBTQ,
aux Sauvages et aux morons ».
Dans un discours devant la Chambre
de commerce de Gatineau, Sophie Comtois admet que le profilage racial existe et que c’est un problème. Elle plaide en faveur d’une meilleure formation des policiers, notamment en matière d’intervention sociale. La sergent-détective fustige
les gouvernements qui ne s’attaquent pas aux racines du problème : « les inégalités sociales, la pauvreté, le décrochage,
les familles éclatées, les immigrants mal intégrés, l’itinérance ».
Or, plusieurs membres de la SQ estiment que remplacer les agents par des intervenants sociaux, comme le propose
la ministre de la Sécurité publique,
c’est « se mettre à genoux devant
les communautés ethniques, bref, autant semer délibérément le chaos ».
Daniel Lessard parsème son récit de commentaires glanés sur Twitter, Facebook et Instagram, notamment chez des groupes comme @Police brutale, @Mauditepolice, @Georgefloyd’sfriends et @Policelifematters. Leurs remarques permettent de voir comment l’opinion publique peut être exagérée, mensongère ou haineuse.
Selon @Policelifematters, il faut « bâtir
des corps de policiers virils qui vont résister aux théories wokes du gouvernement ».
Dans ce roman, les ragots, les rumeurs et les théories de complot ne manquent pas. Certains grands criminels du Québec sont de mèche avec des hauts gradés des corps policiers. Leur plan est de porter un grand coup de théâtre et d’abattre une demi-douzaine d’agents.
Sophie Comtois est dans leur mire. Surtout qu’elle ne craint pas la diversité et qu’elle
a démontré que la pression ne l’arrête pas. Quand les magouilles se multiplient, Comtois se demande qui elle craint le plus : les criminels ou certains de ses dirigeants…
J’ai mentionné plus haut que fiction et réalité font bon ménage dans ce polar.
Au lectorat de décider si la Sûreté
du Québec compte autant de membres corrompus et sans scrupules, autant
de crapules de la pire espèce…
Avec Crime parfait, Daniel Lessard a su concocter une intrigue palpitante qui nous tient en haleine du début à la fin.
27 septembre 2022

Guillaume Musso, Angélique, roman, Paris, Éditions Calmann-Lévy, 2022, 320 pages, 32,95 $.
Un style qui colle à
la pensée du personnage
Guillaume Musso est l’auteur
le plus lu en France depuis onze ans. Il est traduit en quarante-cinq langues. Son vingtième roman, Angélique, ausculte la complexité des méandres de l’âme humaine.
L’action se déroule d’abord à Paris. Après un accident cardiaque, Mathias Taillefer
se réveille dans une chambre d’hôpital.
Une jeune fille inconnue se tient à son chevet, une bénévole jouant du violoncelle. Lorsqu’elle apprend que le patient est flic, elle lui demande de reprendre l’enquête sur la mort de sa mère.
Mathias Taillefer est habitué à prendre
les coups de poing, les coups de couteau, les projectiles et les balles. L’enquête qu’il accepte de mener s’avèrera être la traversée d’un labyrinthe dont la seule issue pourrait être sa propre mort.
Pour Musso, l’action ou l’intrigue demeure un moyen de plonger dans l’intérieur de ses personnages. À travers ce roman, tout comme dans les précédents, l’auteur fait appel à l’intelligence en utilisant l’émotion. La vérité d’un chapitre n’est jamais celle du suivant. Les certitudes d’une page ne sont jamais celles de la suivante.
Le personnage d’Angélique est un bel exemple. Il est difficile de lui coller
une étiquette. Femme insaisissable, elle est « capable d’enfiler plusieurs identités. Changeante, caméléon Dangereuse, peut-être… » Son cerveau aime aussi bien
les dangers et les périls que les états de guerre.
Le plaisir que prend Musso à décrire chaque ambiance et chaque atmosphère s’étend aussi aux visages de chacun des personnages. En quelques mots, sa plume devient un miroir : « le crâne rasé, un œil de verre enfoncé dans l’orbite, des sourcils d’albinos ».
Ou encore : « coupe en brosse, regard bovin, grosses joues couperosées »; « visage ovale encadré de longs cheveux blonds et lisses, fossette sur le menton,
pull à col Claudine »; « un visage émacié, un regard charbonneux qui vous transperçait ».
Dans une entrevue pour promouvoir
son nouveau roman, l’auteur précise que « l’action est toujours abordée à travers l’intériorité des personnages. Mon style s’efforce de suivre mon personnage et
de coller à sa pensée. »
À première vue, on peut qualifier Angélique d’enquête policière, mais il s’agit en réalité beaucoup plus d’une enquête
que les personnages mènent sur eux-mêmes, « un voyage intérieur à travers leurs souvenirs et leurs secrets ».
Né à Antibes en 1974, Guillaume Musso découvre très jeune une passion pour
la littérature, consacrant tout son temps libre à dévorer des livres dans
la bibliothèque municipale où travaille
sa mère. C’est grâce à un concours
de nouvelles proposé par son professeur
de français qu’il découvre le bonheur
de l’écriture. À compter de ce jour, et jusqu’à aujourd’hui, il ne cessera plus
de noircir des carnets.
En 2021, Musso a été le premier écrivain français à recevoir le prestigieux prix Raymond-Chandler, qui récompense
les maîtres du suspense à travers le monde.
Voici comment certains médias ont reconnu son talent : « Le maître français du suspense » (The New York Times;
« Un romancier hors norme » (France Info); « Le Roi du noir européen »
(La Republica, Italie); « Un phénomène » (El Mundo, Espagne).
16 septembre 2022

Philippe Simard, La galerie des portraits, roman, Ottawa, Éditions L’Interligne, coll. Vertiges, 2022, 296 pages, 29,95 $.
Invitation à jongler avec
le Pouvoir, l’Argent
et le Sexe
Il y a les portraits célèbres que les collectionneurs d’art s’arrachent, et le portrait de deux amis qui cheminent ensemble pour le meilleur et le pire, pour le beau comme pour le vice. Voilà ce que dépeint Philippe Simard dans La galerie
des portraits.
Jacques cherche à écrire un premier roman qui lui fait suer 1 400 pages. Il veut se distinguer de la masse des écrivailleurs contemporains, de cette « engeance qui pollue l’espace littéraire de ses projections masturbatoires ».
Son ami Vanek, affable et courtois,
a le pouvoir de charmer et séduire, sans distinction d’âge ou de sexe, et surtout sans jamais se compromettre. Il est capable
de reproduire des tableaux que les collectionneurs et marchands d’art recherchent ou s’arrachent. La création est plus exigeante que la reproduction, mais cette dernière rapporte plus.
On assiste à des soirées « d’une perversion poussée jusqu’au raffinement », et à un vernissage où la pudeur n’a pas sa place, « comme si ressuscitait à Montréal la Rome dissolue du Satyricon ». Ajoutez à cela que seul le luxe le plus opulent, le plus raffiné, peut contenter pleinement certains collectionneurs.
Dans La galerie des portraits, on croise des hommes obsédés, au désir vicieux, riches, puissants, aventureux et sans scrupule.
Une partie de leur vanité et arrogance provient de la certitude de pouvoir baiser qui et quand ils veulent. « Pour employer une formule simple, qui résume bien leur caractère, ils carburent au cul. »
Le commerce de l’art est présenté, ici, comme « un monde farci d’excentriques immensément riches ». Ils bouffent du caviar, conduisent une Bentley et sniffent de la coke en baisant. Il y a une totale maîtrise de la dissimulation
Le roman illustre à merveille comment les meilleurs amis sont les plus faciles à duper. « C’est une des règles de base du métier
de truand. » On apprend aussi que tout bon voleur est d’abord un bon comédien.
Philippe Simard a écrit une intrigue où
un équilibre parfait se maintient entre « sentiments contradictoires, rancœur et indifférence, désir et détachement, espoir
et cynisme ». À chaque instant, Jacques risque d’être précipité dans l’abîme. Il se sent catapulté « au milieu d’un merdier sans fond. Et ça pue grave. »
L’ouvrage a exigé une recherche sur l’œuvre de plusieurs grands maîtres
des arts visuels. Il est question, entre autres, de Madona del Granduca de Raphaël, d’Ève, le serpent et la mort de Hans Baldung et
du portrait de Simonetta Vespucci par Botticelli.
Quand Vanek revient du Musée des beaux-arts du Canada, le romancier écrit « back from Ottawa », comme si la capitale n’était qu’anglophone. J’ai trouvé cette remarque déplacée, d’autant plus que ledit musée est très bilingue.
Les remarques sur le métier d’écrivain
se glissent subtilement au détour d’une journée déprimante. Quand on débute
dans le métier, écrit Simard, on ne réfléchit pas au rapport entre l’auteur et son œuvre. « Pourquoi écrire, n’est-ce pas ? C’est
la question. On se lance là-dedans pour toutes sortes de raison. La plupart sont mauvaises. »
Il ajoute que la littérature est une loterie. On a beau s’investir sans compter, il n’y a jamais de garantie. « Trop de facteurs entrent en jeu. Rien à voir avec le talent. »
Enfin, je vous signale que Philippe Simard excelle dans l’art de créer des silences qui sont « plus bruyants que le vacarme qu’ils éteignent ».
8 septembre 2022

Isabelle Hébert, Destins, tome 2, Invisible parmi nous, roman, Montréal, Éditions Hurtubise, 2022, 312 pages, 24,95 $.
Des femmes
au premier plan
« C’est pas ton cœur à toi qui est noir comme le poêle, c’est ceux qui jugent parce qu’y pensent qu’y ont la vérité d’leur bord. […] Le maudit jugement des autres. » Voilà des paroles qui incarnent à merveille l’histoire que raconte Isabelle Hébert, dans le second tome du roman Destins.
Je vous ai déjà présenté le premier tome (voir 5 mai 2022). On y faisait la connais-sance d’Agathe et de Célina Senécal, deux jeunes filles-mères cachées dans des foyers d’accueil. Leurs parents, frères et sœurs avaient quitté le Québec pour Waterville, dans l’état du Maine.
Dans ce second tome, Agathe et Célina rentrent au bercail en 1908; elles réintègrent leur famille dans un contexte qui est loin d’être celui de la campagne. Isabelle Hébert décrit habilement comment on récolte « du mépris pis que’ques cennes » en échange du travail, « et l’impression d’être pas grand-chose ».
La romancière brosse aussi le portrait de ces femmes habituées à recevoir des ordres, à se faire dire quoi faire. Elles ne s’attendent guère à diriger quoi que ce soit, mis à part leur foyer. Devenue veuve, la mère de
la famille Senécal entend mettre fin à cette situation d’injustice.
Une pension, des économies et une forge en vente dans un village québécois permettent aux Senécal de retourner dans leur province natale. Or, ils vont se rendre compte que les nouveaux venus dans un village demeurent longtemps des étrangers aux yeux des paroissiens. On se méfie d’eux.
À Waterville, un certain anonymat leur permettait de survivre et de gagner
leur vie modestement. À première vue,
le retour au Québec semble équivaloir à se jeter directement dans la gueule du loup,
là où le scandale les guette.
Isabelle Hébert prend cependant soin de montrer comme les Senécal demeurent
une bonne famille de catholiques pratiquants « aux valeurs non détériorées par leur expérience en sol américain ».
Elle élabore diverses intrigues pour illustrer que continuer à vivre dans le passé peut vous condamner à rester tristes et amères.
Qui dit intrigues plonge souvent dans
des aventures amoureuses. Agathe avait laissé derrière elle un voisin, un jeune veuf qui « avait une beauté intérieure et extérieure ». Le retrouver s’avère assez compliqué, mais le « destin » joue son rôle. Et s’il y a un hasard, ce ne peut être que « l’œuvre de Dieu Lui-même ».
Quand Agathe retrouve finalement son veuf, elle trouve cela agréable de se faire regarder « avec des yeux dans graisse de bines ».
Ce second tome met en scène des hommes qui jouent un rôle plutôt effacé. Cela se limite souvent à prêter leurs bras et leurs chevaux pour faire avancer les intrigues de leur mère et de leurs sœurs. S’il est possible de réaliser ses rêves, c’est en grande partie grâce à la détermination et à l’énergie de
la matriarche.
3 septembre 2022

Zed Cézard, Les clownes sont-elles politiquement incorrectes? Réflexions queers sur les pratiques clownesques des femmes, essai, Montréal, Éditions Somme toute, coll. Cultures vives, 2022, 146 pages, 19,95 $.
Ne pas prendre les clowns à la légère
Zed Cézard aborde les thèmes
de culture populaire, de féminisme et de pensée queer dans un essai-enquête sur la pratique clownesque des femmes. L’ouvrage s’intitule
Les clownes sont-elles politiquement incorrectes?
Qu’il s’agisse du clown, du polichinelle,
du pitre, du cabotin, du charlot, du clown, du joker ou du simple comique, l’amuseur publique est connu pour divertir, et parfois pour mettre à mal les règles sociales.
« Ce ne sont pas des figures légères… ou à prendre à la légère ».
Pour satisfaire aux codes artistiques et sociaux d’un lieu et d’une époque, les clowns ont la particularité de devoir à
la fois plaire et de déplaire. Le public s’attend à ce que les clowns créent
« une convention de déconvention ».,
c’est-à-dire une sorte de règle implicite
qui les inscrit « en dehors des cadres culturels, artistiques et sociaux dominants ».
À travers l’histoire, la figure clownesque apparaît de façon univoque comme masculine. En France, les clownes semblent inexistantes avant les années 1960.
L’auteur écrit « clowne », mais selon
le dictionnaire.orthodidacte.com, pour désigner une femme clown, le féminin
le plus courant est tout simplement la clown, une clown.
Zed Cézard note que l’idéologie queer débusque les zones de tabou et fait
des hors-normes des terrains de pensée et d’action « propres à subvertir les catégories politiques, le queer déconstruit dans
une optique d’émancipation ».
Cet essai fait suite à un sondage
(en anglais) administré auprès des clownes dans divers pays. Une attention particulière a été accordée aux répondantes de
la France, du Brésil et du Canada, selon leurs politiques culturelles.
Une répondante ontarienne avoue qu’elle ne voudrait jamais être artiste à Ottawa. « It’s the most anti-arts city I’ve ever lived in, for a few reasons, namely […] the local community’s complete disdain for anyone or any idea that doesn’t fit the mold. »
Une répondante française témoigne de
son expérience interculturelle en soulignant que les clowns russes on une super technique, que les clowns italiens ont
une énergie incroyable, que les clowns espagnols sont très poétiques et que
les clowns japonais sont presque minimalistes, mais dès qu’un sourcil
se lève, c’est étonnamment drôle.
Une répondante québécoise considère « qu’être femme dans ce monde de clowns est un handicap (à cause du regard des autres et des a priori) et il m’est arrivé souvent de ne pas sentir qu’on me fait confiance parce que je suis une femme ».
Une autre clowne québécoises croit que davantage d’opportunités s’offrent aux hommes. « I id sometimes feel my male colleagues got more stage time. […] I had to prove my value and bring a lot of decent ideas on the table to be listened to. Sometimes I would propose something
that wasn’t heard and my [male] partner proposed the same a minute after and
it got accepted. »
Cet essai démontre à quel point les identités clownesques se présentent, à travers l’essence idéologique de leur art, comme « indiscernables et/ou indéfinissables ».
En ce sens, elles sont « en mesure de se soustraire aux logiques de domination ». L’auteur considère les sexes et les genres comme « une fabulation sociale patriarcale ».
En conclusion, Zed Cézard note que si
les pratiques clownesques ont longtemps été réduites à leur aspect débonnaire, facile et divertissant, « il nous importe aujourd’hui de repenser le sujet d’un point de vue différents, en considérant
le politique au centre même de son exercice ».
La dernière phrase est presque un coup
de poing : « S’il n’y a rien de plus marrant
et de plus cocasse, mais aussi de plus insignifiant au regard du social, en somme, que la présence de clown‧e‧s au sein de nos sociétés, c’est qu’iels y portent un poids politique insoupçonné. »
22 août 2022

Patrick Doucet, Le Crépuscule du désir ? Comprendre la sexualité des adultes vieillissants, essai, Montréal, Éditions Trécarré, 2022, 240 pages, 29,95 $.
La sexualité des adultes vieillissants
C’est bien connu que la vie sexuelle apporte une meilleure santé physique et psychologique.
Or, la société, les médias entre autres, en font un sujet tabou chez les personnes âgées, « on ne souhaite pas la voir ! » Et si certains aînés s’y intéressent, on juge cela anormal. Voilà un constat formulé par Patrick Doucet dans
Le Crépuscule du désir ? Comprendre la sexualité des adultes vieillissants.
Doucet trouve important de défaire l’idée que les « vieux » et les « vieilles » n’aiment rien autant que de jouer au golf ou tricoter. Il reconnaît cependant que « de plus en plus d’adultes vieillissants sont moins actifs sexuellement, mais précise que le désir sexuel ne diminue
pas toujours avec le seul vieillissement. D’autres facteurs entrent en jeu : ménopause, andropause, problèmes de santé physique et mentale, apparence, difficultés conjugales, médicaments.
Au Canada, 90 % de la population âgée
de 65 ans et plus prend en moyenne cinq médicaments par jour. Quant à l’apparence, cela préoccupe surtout les femmes hétérosexuelles et homosexuelles, ainsi
que les hommes homosexuels plus que
les hétérosexuels.
Plusieurs établissements désapprouvent
les comportements sexuels entre adultes consentants non mariés. Le personnel
les sépare, les empêche d’être seuls dans une chambre ou les rapporte à leur famille.
L’auteur raconte que sa grand-mère, âgée de 80 ans et atteinte d’une dégénérescence cognitive modérée, a développé une idylle avec un autre résident de 85 ans.
La direction a aussitôt contacté la fille
pour lui dire que sa mère « devait mettre un terme à ses agissements inconvenants ».
« Après sa longue et triste vie maritale auprès d’un homme insensible et dominant, une autre autorité, aussi insensible et dominante, s’assurait maintenant de priver ma grand-mère de quelque plaisir légitime jusqu’à la toute fin. »
Il est vrai que certains centres fournissent des chambres privées pour des moments d’intimité lorsqu’un membre d’un couple n’est pas résident, « mais seulement aux couples mariés légalement et manifestement hétérosexuels ».
Doucet note que « les rapports homosexuels sont encore moins bien vus, de même que les personnes homosexuelles par les résidents, mais aussi par des infirmiers, des infirmières, des médecins et des psychologues, lesquels peuvent manifester « de l’hostilité, de la condescendance, de l’embarras ou de
la pitié et éviter les contacts physiques ».
L’ouvrage nous apprend que dans l’industrie de la pornographie au Japon,
on voit de plus en plus des films qui mettent en scène des acteurs et des actrices plus âgés. On estime que la « Silver porn » occupe environ 20 % de
la part du marché de la pornographie en général. Je note, en passant, qu’il existe
un site international de rencontres homosexuelles intitulé Silver Daddies.
Preuve que les gens âgés sont sexuellement actifs, l’incidence des infections transmises sexuellement est
en hause au sein de cette population selon une étude. Plusieurs raisons expliquent cette tendance : diminution de l’usage
des préservatifs, sites de rencontres, voyages à l’étranger, tests de dépistages rarement recommandés par les intervenants.
La sexualité chez les personnes vieillissantes fait l’objet de constats colorés. Selon le sexologue William Master, « en vieillissant, vous ne pouvez pas courir autour du pâté de maisons comme lorsque vous aviez 18 ans, mais vous pouvez toujours avoir du plaisir à marcher ». À 93 ans, Janette Bertrand ajoute : « C’est plus pareil, c’est bon pareil. »
Une veuve affirme avoir eu un copain plus attentif et plus dévoué que son défunt mari; « c’est ainsi qu’elle a connu son premier orgasme à… 79 ans ». Une autre signale qu’elle a eu son premier massage érotique le jour de son 70e anniversaire : « cela m’a montré que j’étais toujours une femme pleinement sexuelle et fonctionnelle, prête à sortit de ce cocon qu’est le deuil pour commencer à vivre de nouveau […], pour réintégrer le monde ».
Essai très fouillé, Le Crépuscule du désir ? comprend une bibliographie de 123 ouvrages et pas moins de 602 notes de références.
18 août 2022

Atlas mondial Ulysse, Montréal, Guides de voyage Ulysse, 2022, 48 pages, 45 cartes, 12,95 $.
Cartes et statistiques
de 196 pays
Vous souhaitez connaître le nom
de tous les pays, leur superficie,
leur point culminant, leur population et leur capitale ?
Les Guides de voyages Ulysse
vous propose un court Atlas mondial avec cette mine de renseignements regroupés
par continents et rehaussés
de 45 cartes.
Cet atlas offre une section canadienne avec une carte plus détaillée pour le Québec (incluant douze régions touristiques). Pour chaque continent, on présente une carte physique et une carte politique. Un tableau indique le PIB par habitant et l’espérance de vie pour chaque pays.
L’espérance de vie au Canada est 82,2 ans, le taux le plus élevé pour l’Amérique
du Nord et du Sud. C’est à Monaco où l’espérance de vie est la plus élevée sur
la planète, soit 89,5 ans. Des cartes spécifiques dévoilent des destinations incontournables telles que les États-Unis, les Caraïbes et l’Europe méridionale.
Les dernières pages de l’atlas reproduisent le drapeau de chacun des 196 pays. Conçu pour être accessible à tous, cet ouvrage accompagnera fidèlement les élèves du début à la fin du secondaire et les familles dans leur découverte du monde.
8 août 2022

Boucar Diouf, Le Bourlingueur de Matungoua, conte illustré par François Thisdale, Montréal, Éditions La Presse, 2022, 56 pages, 26,95 $.
Conte « excrément »
fort de Boucar Diouf
L’humoriste Boucar Diouf est d’abord un biologiste et océanographe.
Son savoir scientifique pimente
ses livres remplis de magie et de tendresse. Son tout dernier album intitulé Le Bourlingueur de Matungoua est un bel exemple
d’un croisement entre ludique
et éducatif.
Inspiré par sa fille Joellie qui, à l’âge de
7 ans, lui avait commandé un conte ayant pour protagonistes deux sympathiques hippopotames, Boucar Diouf propose un récit où on retrouve plusieurs des thèmes qui lui sont chers : respect de la nature, famille et amitié, transmission du savoir, biologie.
Le bourlingueur est un garçon de douze ans, prénommé Zinalé, qui se rend chaque jour sur les berges du fleuve Rigaloua,
à Matungoua, pour admirer des hippopotames. Ces « imposants et rigolos quadrupèdes » deviennent non seulement des copains mais également des instructeurs au sujet d’une famille de mammifères génétiquement proches
des baleines.
Un jour, deux jeunes hippos quittent
la sécurité du fleuve et de leur famille
pour se retrouver en plein centre-ville de Matungoua. Complètement désorientés et paniqués, Tam-Tam et Hippolyte foncent dans les murs des commerces et causent un véritable chaos.
Juste comme Zinalé arrivent sur place,
le maire de la ville. M. Matombo, ordonne aux policiers d’abattre les deux bêtes.
Le Bourlingueur implore le maire de lui donner trente minutes pour les conduire « sains et saufs au fleuve Rigaloua où ils retrouveront les autres membres de leur famille ».
Je ne dévoilerai pas la méthode utilisée par Zinalé pour arriver à ses fins, mais sachez que c’est « excrément » réussi. L’album inclut un dossier hippopotamesque qui nous apprend, entre autres, que ces immenses mammifères imitent les hélicoptères quand vient le temps de déféquer. « Ils font tourner leur queue à
la façon d’une hélice pour disperser leur caca dans toutes les directions. »
Pour les hippopotames mâles, cette production « héli-caca » sert à séduire
la femelle. Leurs excréments dispersés au fond des cours d’eau servent de nourriture aux petits animaux aquatiques. Ils ajoutent des nutriments qui font croître le plancton dont se nourrissent les jeunes poissons.
Le dossier fourmille de renseignements techniques, biologiques et écologiques.
À titre d’exemples, les hippopotames arrivent « en troisième position de l’animal le plus lourd d’Afrique, derrière l’éléphant et le rhinocéros ». Malgré un corps massif, ils peuvent atteindre une vitesse de 48 kilomètres à l’heure.
Boucar Diouf, de son vrai nom Namedi Nahuyni, est né le 26 mai 1965 à Fatick
au Sénégal. Il arrive au Québec en 1991 à Rimouski pour y faire des études supérieures à Rimouski, où il enseigne
un temps la biologie à l’Université du Québec. On lui doit au moins huit livres, plus la coanimation de diverses émissions de radio et de télévision.
24 juillet 2022

James Gould-Bourn, La Danse du panda, roman traduit de l’anglais par Anne Damour, Paris, Éditions Préludes, 410 pages, 2022, 34,95 $.
Amour difficile
entre père et fils
Nombreux sont les romans qui abordent l’amour entre un père et son fils. La Danse du panda, de James Gould-Bourn, développe ce sujet dans une approche à la fois désopilante et touchante. La critique a parlé d’un « conte inspirant ».
L’action se déroule à Londres. Liz, épouse
de Danny et mère de Will, perd la vie dans un accident d’auto. Sa mort ne laisse pas
un mais deux vides. Il y a la faille béante pour le mari comme pour le fils mais aussi la faille « laissée entre eux, une faille que Will comble par du silence et Danny par du travail, alors qu’ils « auraient dû la combler par leur présence mutuelle ».
La vie de Danny part à vau-l’eau. Il élève seul son fils de onze ans. Ce dernier n’a pas dit un mot depuis la mort de sa mère
un an plus tôt. Employé sur un chantier de construction, Danny apprend qu’il est mis à pied alors qu’il est incapable de payer son loyer depuis deux mois.
Inspiré par des artistes de rue qu’il a vus gagner pas mal d’argent, il décide de les imiter et dépense ses cinq dernières livres dans un costume de panda défraîchi. Ainsi déguisé, il exécute quotidiennement
un piètre numéro de danse dans un parc.
Le roman illustre comment Will est tout
ce qui reste à Danny. Or, le père a souvent l’impression que son fils est parti.
« Les choses difficiles ne sont pas nécessairement celles dont il est difficile
de parler. Ce qui est difficile, c’est de trouver la personne adéquate à qui parler. »
Malgré ses longueurs, ses digressions et
ses nombreux détails inutiles, le roman réussit à démontrer qu’il faut parfois quelque chose d’inattendu pour nous aider à déchiffrer ce que nous avons de
la difficulté à comprendre.
Ce quelque chose d’inattendu est une scène dans le parc où la panda Danny danse.
Un jour il voit son fils se faire brutaliser et il lui porte secours. Sans savoir qu’il s’agit de son père, Will lui parle, une première en plus d’un an. Le garçon confie sa douleur
et sa tristesse au panda dansant. Danny voit en cet aveu un moyen de se rapprocher de son fils et de regagner enfin sa confiance, mais pourra-t-il lui révéler son identité…?
D’un chapitre à l’autre, on découvre comment le père ne connaît pas son fils comme son épouse le connaissait.
On apprend que « maman était mon amie, mais papa est seulement mon papa ». L’épouse/mère n’est plus avec eux, mais elle n’est pas réellement partie, parce qu’elle
est une partie de Will. « Elle est dans
ton sourire, elle est dans tes yeux, elle est dans votre habitude de prononcer le l dans salmon. »
Le panda cesse d’être un déguisement et
se meut en médium, tenant la main de Will dans une patte et celle de sa mère dans l’autre, les réunissant d’une manière qu’il n’aurait jamais pu imaginer.
Le roman est peuplé d’une galerie de personnages hauts en couleur. Le monde de la danse y est décrit avec moultes nuances. Danny s’y produit avec une énergie qu’il ignore lui-même posséder; il bouge avec une confiance qui dépasse largement
ses capacités, et il danse sans la crainte permanente de paraître totalement ridicule.
Petite anecdote en terminant : j’ai appris qu’un groupe de pandas s’appelle
« un embarras ».
Margex
26 juin 2022

Jillian Cantor, Marie et Marya, roman traduit de l’anglais par Pascale Haas, Paris, Éditions Préludes, 448 pages, 32,95 $.
La science mesure,
l’amour démesure
Si Marya Sklodowska s’était mariée en Pologne en 1891, que serait-elle devenue? Certainement pas
la célèbre Marie Curie. Dans son roman intitulé Marie et Marya, Jillian Cantor raconte l’histoire de deux femmes. Les chapitres concernant Marya relèvent de la fiction, ceux sur Marie s’inspirent de la vie réelle de la récipiendaire du Prix Nobel
à deux reprises.
La romancière montre comment
la trajectoire d’une vie aurait pu être totalement différente si Marya était
restée en Pologne, si Marie n’avait pas épousé Pierre Curie. Le couple découvre
la radioactivité du radium. Ce métal irradie, « semblable à la façon dont Marie se sent : éclatante, heureuse et vivante une fois de plus ». Radieuse et radium ont la même racine.
Pour Marie, la chance n’existe pas. Seulement les choix que nous faisons, seulement le travail que nous entreprenons, seulement le legs qu’on laisse derrière soi. Dans les sciences, tout se quantifie et
se mesure. Le bonheur, lui, demeure impossible à quantifier et à mesurer. « L’amour est fugace, la science ne t’abandonne jamais. »
Par la voix de Marie Curie, Jillian Cantor martèle que l’amour vient et part au cours de sa vie, mais que la science demeure toujours là. « Elle ne me quitte pas, ne m’abandonne pas, ne me fait pas souffrir,
ne cesse pas d’avoir besoin de moi. »
Or, plus on avance, plus on découvre l’envers de la médaille. Les découvertes
et les prix Nobel ne vous tiennent pas
la main et ne vous embrassent pas pour vous souhaiter bonne nuit.
La vie fictive de Marya permet de voir comment la Pologne évolue entre 1890
et 1935, tantôt sous l’emprise autrichienne, tantôt sous le joug russe. Marya est
une révolutionnaire parce qu’elle instruit des femmes en Pologne, contre les normes de l’époque.
Dans les chapitres où Marya prend
la parole, on retrouve parfois des mots polonais dont la traduction n’est pas donnée en bas de page ou entre parenthèse. Le sens est fourni dans la phrase qui suit. Exemple : « Pour moi, la musique était babka, et la science, kielbasa. On pouvait vivre sans friandise, pas sans nourriture. »
Ou encore : « Bonjour, moy maly kurczak. Elle gloussa, comme chaque fois que je l’appelais ma petite poulette. » Enfin, le plat préféré de Marya est « la zupa grzybowa […], les champignons étaient frais, la soupe goûteuse et bien épaisse ».
Marie Curie découvre le polonium, ainsi nommé en hommage à sa Pologne natale. « On peut faire sortir une scientifique de
la Pologne, mais on ne peut pas faire sortir la Pologne de la scientifique. »
Dans un chapitre, il est question de l’élasticité des métaux lorsqu’ils reviennent à leur forme originelle, éloignés des forces extérieures. Un parallèle s’impose dès lors pour illustrer comment le couple est lui aussi élastique. Les années et ce qui nous arrive nous façonnent, nous transforment nous modèlent « en quelque chose de méconnaissable ».
Rien ne fait plus peur aux hommes
qu’une femme intelligente. Les reporters pourchassent et dénigrent Marie Curie
à plusieurs reprises. Comme elle est
une femme, il est plus facile aux jaloux et aux détracteurs de l’attaquer sur le front des mœurs que sur celui de la légitimité scientifique.
D’un chapitre à l’autre, de Marie à Marya,
le roman illustre comment « il y a certaines personnes dans nos vies vers qui nous trouvons notre chemin, quoi qu’il advienne ».
18 juin 2022

Gaston Tremblay, Derrière le rideau
de scène, Le grand livre, tome 2, roman, Sudbury, Éditions Prise de parole, 2022,
588 pages, 32,95 $.
Roman sur la naissance
du théâtre franco-ontarien
Sudbury, Université Laurentienne, 1970, des étudiants francophones créent la pièce Moé, j’viens du Nord, ’estie ! Ce que vous avez toujours voulu savoir au sujet de ce moment phare – et plus encore – est décrit par Gaston Tremblay dans le roman Derrière le rideau de scène.
L’ouvrage se veut à la fois une fiction,
un journal intime et un récit documentaire. L’écriture de Moé, j’viens du Nord, ’estie !
est un exercice, « autant de tourbillons dans un remue-méninge controversé, comme autant de chicanes dans un labyrinthe ».
Les jeunes de la Troupe universitaire sentent le besoin de ruer dans les brancards, d’occuper leur place dans
la dynamique internationale du baby-boom, « de surfer sur la vague de fond
de la Révolution tranquille au Québec.
Bien encadrés, ils proposent leur Révolution sereine. »
Jusqu’en 1970, le triangle culturel du Canada français comprend la langue, la foi et la nation. La pièce est scandaleuse parce qu’elle s’attaque à ce triangle immuable et le remet carrément en question. Langue, foi et nationalisme sont remplacés par langue, culture et régionalisme.
Le titre de la pièce « devient le cri de ralliement d’une jeunesse qui refuse désormais d’emboîter le pas ». Les artistes de Moé, j’viens du Nord, ’estie ! prennent plaisir à s’inscrire « dans les traditions
des quartiers latins du monde, […] à mettre de l’avant leur bohème, leur nouvelle culture de l’ici et du maintenant ». La pièce se veut un miroir dans lequel les spectateurs peuvent se reconnaître.
Les protagonistes Paul-André et Albert veulent devenir « de vrais hommes » et pour y arriver selon les canons de l’époque, ils doivent nier une part d’eux-mêmes, leur orientation sexuelle cachée. « Les jeunes de leur génération avaient beau se dire libérés sexuellement, l’homosexualité ne figurait pas au palmarès des choix qui s’offraient… »
Le roman met en scène une panoplie
de personnages : membres de La Troupe de théâtre, profs d’université et intervenants culturels. À l’exception d’André Paiement,
de Gaston Tremblay et du père Fernan Dorais, s.j., les noms de famille ne sont jamais mentionnés, tout au plus un nickname. On devine le nom de famille
des comédiens et musiciens, mais aussi
des animateurs comme Monique Cousineau et Richard Cassavant.
Je suis de la vieille école. Quand je lis
un roman, j’aime un début, un milieu et
une fin, de façon linéaire, mais c’est loin d’être le cas ici. À tout bout de champ,
on passe de l’action détaillée en 1970-1971 à de brèves réflexions campées en 2018, 2019, 2020 et 2021. On passe de la création d’une pièce à la Crise d’octobre, à un film américain ou à la Covid-19. Ce pot-pourri rend la lecture un peu fastidieuse par moments
Certaines digressions sont cependant fort intéressantes, comme la grève des étudiants du Département de français pour obtenir des cours de littérature canadienne-française et la grève des filles d’une résidence pour obtenir le même traitement que les garçons. On apprend aussi que
le meilleur ami de l’auteur (André Paiement) et son propre fils se sont enlevé la vie, respectivement en 1978 et 2013.
Gaston Tremblay a publié ce tome 2
du Grand livre parce que « les hommes passent et trépassent [alors que] leurs souvenances écrites perdurent ». Pour lui, écrire a été le projet d’une vie; « c’est
une quête qui m’angoisse, depuis toujours et pour toujours ».
10 juin 2022

John Grisham, Le cas Nelson Kerr, roman traduit de l’anglais par Dominique Defert, Paris, Éditions JC Lattès, 2022, 336 pages, 34,95 $.
La police de la pilule
Auteur vendu à plus de cent millions d’exemplaires, John Grisham signe un polar sur l’escroquerie dans le prolongement de vie des personnes vulnérables. Le cas Nelson Kerr décrit aussi l’univers coloré de certains écrivains.
Le cyclone Leo s’abat sur l’île de Camino,
en Floride, et parmi les morts figurent le célèbre écrivain Nelson Kerr. Or, ses blessures ne semblent pas avoir été causé par Leo, il a plutôt été assassiné. C’est du moins ce que croit le libraire Bruce Cable qui orchestre une enquête impliquant
le FBI.
Un ouragan de catégorie 4 n’est-il pas
le meilleur moment pour tuer quelqu’un
et maquiller le crime en accident, surtout avec des vents capables de retourner
des voitures comme des crêpes ?
Camino est un paradis pour les écrivains car le libraire de l’endroit organise des promotions du tonnerre. Et c’est bien connu qu’« il n’y a pas plus rasoir qu’un écrivain sobre ». Fouiner est ce que certains font
de mieux. « Je veux des ragots, du croustillant. »
L’auteur aime truffer son récit de commentaires sur le monde de l’édition.
Il signale que le public féminin représente soixante pour cent du lectorat littéraire.
Il parle de leur « vie dissolue et tapageuse, à la manière d’Hemingway, Faulkner ou Fitzgerald ».
Grisham écrit aussi qu’une femme a
« un sourire charmant auquel aucun homme, tous âges confondus, ne saurait résister ». C’est oublier qu’il y a des hommes qui ne s’intéressent pas aux femmes, préférant leurs semblables.
Revenons à Nelson Kerr. Cet écrivain a
la réputation d’être bizarre. Chose certaine, il sait mener des recherches méticuleuses
et son prochain manuscrit risque d’être
une bombe. Quelqu’un semble avoir intérêt à ce que le nouveau livre de Kerr ne soit pas publié car l’ouvrage lève le voile
sur un médicament secret qui agit sur
les personnes atteintes de démence avancée.
En injectant cette pilule chez des résidents moribonds, on les maintient en vie pendant un ou deux ans de plus « pour continuer à toucher les chèques de la sécu ». On parle alors de millions de dollars extorqués au gouvernement chaque année.
Les enquêteurs naviguent en eaux troubles et œuvrent en zone grise. Il y a toujours
un mouchard voulant gagner quelques billets. Dans ce métier, les frontières sont floues et les marges sont larges. Certains personnages ne peuvent fermer l’œil de
la nuit et ont « le trouillomètre à zéro ».
Je ne connaissais pas l’île de Camino, lieu
de villégiature et coin de paradis pour passer sa retraite. Une mort violente et soudaine n’y a pas sa place et c’est ce qui rend le roman trépidant.
29 mai 2022

Sous la direction d’Annie Gilbert, Ouest canadien – 50 itinéraires de rêve, Montréal, Guides de voyage Ulysse, 2022, 208 pages, 39,95 $.
Nature grandiose et aventures spectaculaires dans l’Ouest canadien
Après avoir vu Winnipeg, Calgary
et Vancouver, plusieurs croient connaître l’Ouest canadien.
Loin de là ! Les guides de voyages Ulysse proposent pas moins de 50 itinéraires de rêve dans les quatre provinces et trois territoires
de l’Ouest canadien.
Chaque circuit est accompagné d’un plan
et de capsules mettant en lumière
les expériences inoubliables à vivre et
le meilleur moment de l’année pour s’y rendre. On recommande, par exemple,
de visiter Edmonton à la mi-août pour profiter de l’animation de l’Edmonton International Fringe Theatre Festival.
Le circuit Sur les traces de Louis Riel permet de visiter le Manitoba et
la Saskatchewan, de Winnipeg à Batoche,
en passant par Regina et Saskatoon. On y découvre les lieux des rébellions de la rivière Rouge et du Nord-Ouest. Le Musée canadien pour les droits de la personne est à voir à Winnipeg.
Le plus court trajet (3 jours) est le Dinosaur Trail dans les Badlands, à l’est de Calgary. « Petits et grands resteront bouche bée au cours de cette véritable remontée dans
le temps » (plus de 75 millions d’années).
On peut consacrer une semaine à une Grande tournée viticole en Colombie-Britannique. La vallée de l’Okanagan vient tête, mais il y a aussi les vins des vallées Fraser et Cowichan pour y faire de belles découvertes gustatives.
On peut revivre la rue vers l’or du Klondike dans un circuit de 6 jours (Whitehorse-Dawson). L’été est le temps d’y aller pour profiter du soleil de minuit et des Discovery Days en août à Dawson.
Les ours polaires, caribous, morses et baleines vous intéressent ? Alors partez pour des Aventures en terres lointaines du Nunavut. Avec ses 507 451 km2, l’île de Baffin « compte pour plus du quart de cette contrée nordique et constitue la cinquième plus grande île du monde ».
Le guide propose aussi quelques grands tours, dont La route des totems (13 jours). Ce trajet s’étend de Winnipeg à l’archipel Haïda Gwaii (C.-B.). Les parcs nationaux
de Banff et Jasper sont inclus et on recommande une excursion en kayak
dans les fjords à Prince Rupert.
Pour chaque province et territoire, il y a
des suggestions de mets régionaux à essayer et quelques chansons à écouter
sur la route. On signale que Daniel Lavoie est originaire du Manitoba, tout comme Gabrielle Roy.
Ouest canadien – 50 itinéraires de rêve
est truffé de photos spectaculaires, de la majestueuse côte Pacifique de la Colombie-Britannique aux vastes Prairies de la Saskatchewan et du Manitoba en passant par les inoubliables glaciers des Rocheuses de l’Alberta et les splendeurs boréales du Yukon, des Territoires du Nord-Ouest et
du Nunavut.
19 mars 2023

Lise Gaboury-Diallo, Juste une moitié
de lune, nouvelles, Saint-Boniface, Éditions
du Blé, 2023, 180 pages, 21,95 $.
Sujets lourds
sur ton fantaisiste
Écrivaine franco-manitobaine, Lise Gaboury-Diallo est surtout connue pour une dizaine de recueils de poésie. Avec Juste une moitié de lune, elle nous offre un troisième recueil de nouvelles où la tendresse et
la souffrance cohabitent.
J’ai une préférence pour les nouvelles courtes avec un punch inattendu à la fin.
Ce n’est pas souvent le cas ici, certains textes s’étirant parfois sur quinze ou vingt pages. Le suspense cède sa place à la réflexion sur la condition humaine et à
son implacable réalité.
La nouvelle intitulée « Ne m’oubliez pas » m’a replongé dans mon enfance. Un garçon célèbre son anniversaire de naissance le 25 décembre et déplore que la fête de Noël éclipse sa journée spéciale. Ma jumelle et moi sommes nés le 30 décembre et maman nous disait parfois : « cette année, je vous ai donné un gros cadeau de Noël, ça comptera aussi pour votre fête ».
La nouvelliste étire un peu ses textes en y greffant parfois de longues définitions trouvées en ligne. C’est le cas pour l’expression « le diable à quatre », de même que pour les mots « hypothermie et gelures et lésions dues à l’hypothermie ». Je m’en serais passé.
Une nouvelle est composée de quatre volets : soustraction, addition, multiplication et division. Le personnage cherche quelqu’un, « mais sans savoir de quoi cette personne a l’air. Il se peut que j’attende l’apparition subite d’un être qui n’existe pas, d’une espèce très, très rare. »
Après Iqaluit, Churchill et Yellowknife, Winnipeg figure sur la liste des huit villes les plus froides au Canada. Cela fait dire à l’auteure : « Il ne fait pas chaud l’hiver à Saint-Boniface. Ça, c’est une litote, peut-être un euphémisme, je ne sais pas trop. »
Une nouvelle a pour sous-titre « le Gâteau doré ». Le chum envoie une recette à
sa chumette et cette dernière panique en voyant la liste des ingrédients : beurre, œufs, sucre, fromage à la crème, entre autres. « Décidément, on veut me tuer. Ça ne m’étonne pas, plus rien ne m’étonne. »
Dans la nouvelle « Mots (ou maux) de
la fin », Lise Gaboury-Diallo glisse deux petites phrases en anglais : I do wish it weren’t so et I do beg to differ. Elle ajoute que ce sont de petites perles difficiles à traduire, puis lance : « Quand on est à Montréal, de toute façon, tout le monde comprend. Right ? » Une manière de dire que l’anglais gagne du terrain dans
la métropole québécoise.
Le recueil est présenté tête-bêche, six nouvelles dans un sens, six dans l’autre.
La couverture est la même des deux côtés, avec une demi-lune dans le même sens, mais n’aurait-il pas été original de présenter aussi la demie de la lune dans l’autre sens…?
Peut-être parce qu’elle est d’abord poétesse, la nouvelliste franco-manitobaine n’hésite pas à explorer des thèmes comme l’injustice, la douleur, la solitude et la mort de façon fantaisiste. C’est ce qui enrichit le plus son recueil.
14 mars 2023

Jacques Lacoursière, Une histoire du Québec, édition hommage, essai, Québec, Éditions
du Septentrion, 2022, 234 pages, 19,95 $.
Raconter l’histoire
du Québec
Plusieurs livres tracent l’histoire
du Québec, certains de façon très universitaire, avec une abondance de notes en bas de pages. Une histoire du Québec, de Jacques Lacoursière, ne cherche pas à expliquer mais plutôt à raconter. Il semble s’adresser à Monsieur et Madame Tout
le Monde, au peuple. Lacoursière s’impose comme l’historien
d’un peuple.
On sait que Jacques Cartier a planté une croix sur la pointe de Gaspé le 24 juillet 1534. On apprend que c’était un vendredi. Lorsque le chef Donnacona fait remarquer que cette terre leur appartient et qu’il aurait fallu leur demander une permission avant de planter la croix, Cartier répond que ce n’est qu’une balise pour indiquer l’entrée du port. « À beau mentir qui vient de loin ! »
Principal ministre du roi Louis XIII,
le cardinal de Richelieu décide de s’occuper personnellement de la petite colonie aux abords du fleuve Saint-Laurent. Il exige que seuls des catholiques puissent s’y établir. Protestants et juifs sont interdits de séjour.
À la veille de la bataille des plaines d’Abraham (1759), l’officier Jean-Baptiste d’Aleyrac fait remarquer certaines particularités de langue parlée par les Canadiens. Il dit que leur « français est pareil au nôtre », mais ajoute tout de go
que certains mots leurs sont particuliers.
En voici quelques exemples : amarrer
pour attacher, haler pour tirer, tuque pour bonnet, rafale pour beaucoup de vent,
de pluie ou de neige, tanné pour ennuyé, chance pour bonheur, paré pour prêt,
de valeur pour signifier qu’une chose est pénible à faire ou trop fâcheuse.
Lacoursière écrit qu’il faudra attendre plusieurs décennies avant que les anglophones s’appellent « Canadiens »,
ce qui amènera les Canadiens francophones à adopter l’appellation de « Canadiens français ». Comme on le sait, la cohabitation sera difficile.
L’ouvrage souligne comment, selon l’Église catholique, toute autorité vient de Dieu et « s’insurger devant une autorité dûment établie, c’est s’insurger contre Dieu ». L’autorité britannique est légalement établie et cela explique la conduite de l’évêque de Montréal lors des soulèvements de 1837-1838.
Lorsque la Confédération est établie de façon officielle en 1867, l’auteur souligne que « certains évêques publient des mandements rappelant aux membres de leurs églises leurs devoirs de soumission ».
J’ai noté avec intérêt que Lacoursière signale l’imposition du Règlement 17 par le gouvernement ontarien en 1912. Il rappelle que l’enseignement en anglais doit alors commencer dès l’entrée de l’enfant à l’école, l’usage du français, langue d’instruction et de communication, ne devant en aucun cas se poursuivre au-delà de la première année.
Le livre résume bien ce que certains ont appelé La Grande Noirceur, soit le règne
de Maurice Duplessis. L’auteur note que,
à la mort de ce dernier, la dette de la province « était à peu près inexistante ».
Le Québec avait les moyens d’une Révolution tranquille.
Lacoursière conclut que la majorité des Québécois et des Québécoises « demeurent divisées sur l’avenir du Québec ».
Un nouveau référendum ne se tiendra que si les conditions sont gagnantes. « Les paris sont ouverts ! »
9 mars 2023

Michel Lord, Le bain, roman, Bromont, Éditions de La Grenouillère, 2023, 88 pages, 24,95 $.
Contre-culture et éducation sentimentale
Professeur émérite à l’Université de Toronto, Michel Lord vient de signer Le bain, une novella (court roman) qui fait écho aux premiers balbutiements de la contre-culture au Québec. On voit comment
la société québécoise quitte l’ère
de Duplessis pour découvrir
sa véritable identité.
Le personnage principal est Philippe qui,
au milieu des années 1960, avoue son homosexualité et se voit condamné par sa mère incapable de « concevoir que son fils fût à ce point maudit ». Il quitte la Mauricie pour des études universitaires à Québec et rencontre Frédéric en 1972. C’est le coup de foudre.
Le bain met en scène un groupe d’étudiants qui vivent dans une commune et qui œuvrent à lancer la revue Regain Québec, « lieu de réflexion sur notre littérature depuis ses débuts ». Philippe entend disserter sur L’Influence d’un livre (1837),
de Philippe Aubert de Gaspé qui est souvent considéré comme l’auteur du premier roman canadien-français.
Que le personnage principal porte le même prénom qu’Aubert de Gaspé n’est sans doute pas une coïncidence. Et que le protagoniste place L’Influence d’un livre « dans la tradition gothique » laisse croire que Michel Lord se cache derrière Philippe puisqu’il a publié, en 1985, En quête du roman gothique québécois (1837-1860).
Né à Cap-de-la-Madeleine, qui fait maintenant partie de Trois-Rivières, l’auteur souligne qu’être gai (le mot n’existait pas encore) « était une tare, un péché, une maladie, un crime ». Lord / Philippe devait se trouver loin du foyer, dans une grande ville, pour être véritablement lui-même.
Le bain serait-il une autofiction… ?
En 1972, on est déjà dans une période d’après-Révolution tranquille. On vit des « années de fébrilité politique ». Les jeunes de la commune croient sincèrement à l’indépendance du Québec. Ils ne doutent pas qu’ils vivront son avènement.
La préparation de la revue Regain Québec occupe une large part du court roman. Outre L’Influence d’un livre, le premier numéro prévoit parler, entre autres, de
Si la bombe m’était contée (1962), un recueil de nouvelles d’Yves Thériault, de l’essai
Le Canadien français et son double (1972)
de Jean Bouthillette, de Demain matin, Montréal m’attend (1970) de Michel Tremblay et du Refus global, « où l’on voit bien le lien entre le pictural et le littéraire ».
Philippe a tenu un journal intime depuis son adolescence. Il sent le besoin de revenir à cette pratique « de se confier à lui-même ». La narration s’appuie sur de larges extraits du journal de bord tenu entre septembre 1971 et janvier 1973.
Entre les nombreuses réunions éditoriales, Philippe et Frédéric tentent de consolider leur relation amoureuse. Frédéric a une aventure avec un rival. Une séparation s’impose, mais les retrouvailles ne sont
que plus intenses.
En l’espace d’à peine deux ans, les deux amants ont l’impression d’avoir vécu
une expérience extraordinaire qui tenait
du roman d’apprentissage. « Leur éducation sentimentale était sur la bonne voie.
Ils baignaient dans la joie enfin retrouvée. »
Michel Lord a été chroniqueur à la revue Lettres québécoises pendant près de quarante ans. Il est membre du collectif de XYZ. La revue de la nouvelle et directeur adjoint de la revue University of Toronto Quarterly où il est responsable de l’édition en langue française.
26 février 2023

Prince Harry, Le Suppléant, autobiographie traduite par Nathalie Bru et Santiago Artozqui,Paris, Éditions Fayard, 2023,
544 pages, 47,95 $
Déluge de haine
et de mensonge
pour le Prince Harry
Naître dans une famille royale,
c’est vivre dans une prison dorée
et sous la loupe d’une horde
de journalistes 24 heures par jour,
7 jours par semaine, 52 semaines
par année. Voilà ce qui se dégage
on ne peut plus clairement de l’autobiographie Le Suppléant,
du Prince Harry.
La monarchie doit toujours être protégée,
à tout prix. Selon Harry, tout membre de
la famille royale qui connaît les médias
fait erreur de croire « que les choses ne peuvent pas empirer ». Garder les gens en haleine, c’est tout ce qui compte. La vérité n’a aucune importance.
Les paparazzis ne respectent pas la vie privée, « ils me traquent en permanence », ils inventent des histoires sans fondement, « ils me pourrissent la vie, me chassent jusqu’aux portes de l’Enfer », ils coiffent leurs articles de « gros titres mensongers ». Harry croit que, avant lui, ce déluge de haine et de mensonge n’avait jamais été inégalé dans l’histoire britannique.
« Les journaux étaient de pire en pire, écrit-il. Ils vendaient maintenant des élucubrations, des fantasmes, sans jamais cesser de me traquer et de me harceler,
moi et mon entourage. » À quelques reprises, cela va effrayer des petites amies qui lui tourneront alors le dos. L’une
raconte qu’elle ne peut pas vivre « sous surveillance vingt-quatre heures sur vingt-quatre, comme une criminelle ».
Le prince Suppléant se demande comment les journalistes peuvent avoir accès à
des informations d’ordre privé. Il commence à douter de ses amis les plus fidèles;
il devient même méfiant à l’endroit de
ses gardes du corps. Pour éviter d’être « frappé avec leurs appareils photos », Harry va jusqu’à se cacher dans le coffre d’une voiture.
L’Héritier et le Suppléant remplace parfois les noms William et Harry. Par des gestes qu’il ne pose pas, par des paroles blessantes, voire par des coups, William devient
le meilleur ennemi d’Harry. Une fois son frère marié et son père remarié, l’échange
de vœux matrimoniaux tend à les éloigner, même lorsque leur appui est nécessaire.
Dans l’armée, le prince est appelé lieutenant Wales ou capitaine Wales. L’ouvrage décrit avec force détails tous les exercices d’entraînement et de pilotage. C’est à peu près les seuls endroits où il n’y a pas de paparazzis. En 2013, il est envoyé en Afghanistan et tire sur des hommes.
Cela lui causera « des crises d’angoisse terrifiantes ».
Harry écrit que sa guerre n’a pas commencé en Afghanistan. « Elle avait commencé en août 1997. » Pendant de nombreuses années, il ne croit pas que sa mère est décédée;
elle est tout simplement disparue.
En 2007, dix ans après la tragédie du Pont de l’Alma à Paris, Harry se rend sur place
et fait le même trajet à 100 km/h. On lui montre des photos prises en août 1997. « Elle est morte, je me suis dit. Mon Dieu, elle est vraiment partie pour de bon. »
On apprend que c’est lors des Invictus Games de 2017, à Toronto, que Harry et Meghan font leur première apparition publique officielle. La suite est bien connue. Le Suppléant se rebiffe contre la presse démone et le palais indifférent. « On coupe tous les ponts, aucun rôle dans la famille royale, aucune mission pour Grand-Mère
et une perte totale de protection ».
Vétéran de guerre, marié, père et acteur dans l’humanitaire, Harry vit aujourd’hui à Santa Barbara, en Californie. Il milite pour l’écologie et s’engage pour la sensibilisation au bien-être mental.
17 février 2023

Pierre-Luc Bélanger, Prise Deux, roman, Ottawa, Éditions David, coll 14/18, 192 pages, 14,95 $.
Essai de séduction
auprès des 14-18 ans
Cirque, chevaux et histoires d’amour sont les principaux ingrédients de
Prise Deux, sixième roman de Pierre-Luc Bélanger. Il revient sur des thèmes qui lui sont chers : persévérance, résilience, quête de soi et poursuite de ses rêves.
Les quatre premiers mots du roman sont Darius Ahmadi, Zoé Bédard. Il s’agit de deux ados – l’un d’origine iranienne, l’autre de souche franco-ontarienne – que nous suivons dans des aventures à principale-ment à Ottawa et à Renfrew, dans l’Est ontarien.
Je ne connaissais pas les mot « circassien » avant de lire ce roman. Il définit à la fois l’art du cirque et les gens qui le pratiquent.
Tout commence par un stage suivi par une vingtaine de jeunes avides d’explorer l’art clownesque, l’équilibrisme, la jonglerie et l’acrobatie au sol et aérienne. Ils viennent d’aussi loin que Saint-Boniface (Manitoba)
et Bathurst (Nouveau-Brunswick).
Pour séduire ses lecteurs de 14 à 18 ans, l’auteur concocte une histoire d’amour et de grossesse non planifiée, de même qu’un séjour dans un ranch appelé Prise Deux
où le cheval Canadien est à l’honneur.
On apprend que l’origine de ce dernier remonte à 1665 « quand le roi Louis XIV
a envoyé quatorze de ses chevaux royaux en Nouvelle-France ».
Les chevaux et les êtres humains ne parlent pas la même langue. L’animal ressent toutefois ce qu’une personne vit et tente de l’aider intuitivement à retrouver « une cohérence cardiocérébrale » pour qu’elle vive en harmonie.
Sans dévoiler le dénouement de l’intrigue romanesque, je peux vous dire que, comme un cheval dans le pré, le cœur de la palefrenière Zoé « passe du pas au trot au galop ». Je peux aussi mentionner que dans les arts circassiens, la perfection n’est pas facultative, car il s’agit toujours de créer de la magie sur scène.
Une partie de l’action du roman se déroule
au moment où commence la pandémie du coronavirus. Darius est à Las Vegas où il participe à un spectacle circassien. Or, il voit
la ville de la démesure devenir une ville fantôme, le gouverneur ayant déclaré une fermeture de tous les services non essentiels à la grandeur de l’État du Nevada.
Ce qui est surprenant et inadmissible dans ce roman, c’est que l’auteur a choisi de ne camper que des personnages hétérosexuels, c’est que tout est conçu et décrit selon un schéma strictement hétéronormatif. On sait que plusieurs homosexuels évoluent dans les cirques, mais Pierre-Luc Bélanger n’y
fait jamais allusion. S’il y a une amitié entre deux hommes, elle ne dévie jamais de l’orientation hétérosexuelle. C’est regrettable que le romancier n’informe pas mieux
son jeune lectorat.
Prise Deux n’en demeure pas moins un roman qui illustre comment « la vie est
une question de priorité et personne ne devrait te dire quelles devraient être
les tiennes ».
Né dans la capitale canadienne, Pierre-Luc Bélanger a fait ses études à l’Université d’Ottawa où il a terminé un baccalauréat
en lettres françaises et en histoire, avant de compléter une maîtrise en leadership en éducation. Depuis, il est enseignant de français au secondaire et conseiller pédagogique en littératie pour un conseil scolaire à Ottawa.
4 février 2023

Claudia Lahaie, Les voies du slam, roman, Ottawa, Éditions David, coll. 14/18, 2022, 316 pages, 17,95 $.
Une voix pour trouver
sa voie
Santé mentale, racisme systémique, homophobie, autant de thèmes qui
se juxtaposent dans Les voies
du slam, premier roman de Claudia Lahaie. Trois ados provenant de villes différentes – Montréal, New York, Londres – participent à u
n concours international de slam dont la finale se déroule à Paris.
La voix de chacun permet de trouver sa voie.
Le mot slam provient de l’expression anglaise slam poetry. Il s’agit d’une forme
de poésie orale rythmée, urbaine, qui prône des valeurs de partage et de dépassement des barrières sociales. Contrairement au rap, les rimes ne sont pas obligatoires dans
le slam et il n’y a pas de musique. Pas de décorations lumineuses ou vestimentaires, pas d’accessoires non plus. En anglais, slam veut dire claquer.
Les trois ados sont Justine (Montréal), Mano (New York) et Luc (Londres). Le père de Justine s’est suicidé et elle est confrontée
à des montagnes russes, entre périodes de dépression et d’euphorie. Mano est un jeune Haïtien qui vit à Harlem et qui se rebelle contre la brutalité d’une force policière raciste. Luc est le fils de l’ambassadeur français à Londres et se demande comment avouer à ses parents qu’il est attiré par
les garçons.
Chaque ado a un puissant message à communiquer. C’est pour cela que tous
les trois s’inscrivent au concours de slam organisé par MétroNumb. Ils figurent parmi les finalistes, tout comme des jeunes de
la Belgique, du Maroc et de la France.
Le concurrent français est aussi homosexuel, mais avoue à Luc qu’il n’a pas le courage
de l’avouer publiquement. Luc lui répond que ce n’est pas une question de courage mais plutôt de nécessité. « C’est le slam qui m’a sauvé. »
L’ordre d’apparition des finalistes est tiré au sort et Luc est le premier à s’avancer sur
la grande scène du Théâtre Trianon. L’ado
dit comment il se perd dans la fiction pour oublier sa réalité, se demandant pourquoi
il n’est pas « normal » comme les autres jeunes garçons. Puis il fait volte-face et clame sa fierté; il s’accepte, s’embrasse et rappelle que sous le désarroi, le dédain ou le dégoût, il y a toujours place pour l’amour.
Prisonnière d’une maladie, alternant entre pilule de Paxil et de Lithium, Justine émerge d’un monde anarchique et illogique.Elle trouve la force de colmater les brèches qui fracturent la santé de son âme. Par-delà
les souffrances et els échecs, Justine apprend à sourire à la vie.
Mano participe au concours pour dénoncer les injustices commises à l’endroit des Noirs. Le Haïtien a d’abord ressenti un profond malaise chaque fois qu’il tentait d’affirmer son identité. Son slam déplore que des gens sont battus, arrêtés et privés de leur histoire à cause d’un accent et de la couleur de leur peau. L’ado méprise le système et clame haut et fort qu’il refuse dorénavant de s’y laisser engloutir sans réagir.
Je ne vais pas vous dévoiler la ou le lauréat. Je dirai tout simplement que le jury a été envoûté par le courage des jeunes, par leur vécu, par la profondeur de leurs textes et par leurs habiletés littéraires.
24 janvier 2023

David Ménard, L’aurore martyrise l’enfant, roman, Ottawa, Éditions L’Interligne, 2023, 192 pages, 24,95 $.
La version de la belle-mère d’Aurore,
l’enfant martyre
Belle-mère, monstre, putain, démone, marâtre… Marie-Anne Houde a porté tous ces noms et est connue pour avoir causé la mort d’Aurore Gagnon en 1920 à Fortierville (Québec).
Il s’agit évidemment de la tristement célèbre « Aurore, l’enfant martyre ». David Ménard donne la version de l’inculpée dans un roman intitulé L’aurore martyrise l’enfant.
Le roman prend la forme d’une longue lettre que Marie-Anne Houde adresse à « mon cher Télesphore » Gagnon, son second mari et père d’Aurore. Ses mots ne sont ni désolation ni justification, tout simplement son vécu.
Marie-Anne a eu une mère qui s’indifférait équitablement de chacun de ses enfants.
Ses frères et sœurs la punissent d’exister. Elle est la honte de la famille. Elle était traitée de traînée, voire de p’tite maudite, insulte de prédilection. À ces mots, elle se dit qu’elle a « été mise au monde pour déranger ».
Le mot aurore revient à quelques reprises dans le texte, parfois de façon poétique. Télesphore dit à Marie-Anne, par exemple, qu’ils vont mourir le même jour, « à la même aurore ». Quand les phobies du jour abondent, « l’aurore est absente ». Quand
le joug sera long à secouer, « aride sera l’aurore ». Et au petit matin, « l’aurore qui porte si bien son nom a des fentes dans les yeux ».
Au mot Aurore, Marie-Anne associe le « mensonge » et « le songe ment ». David Ménard aime jouer sur les mots et même
en inventer. Si l’inaction est la « noire sœur » de l’imposture, l’imposture est
la « noirceur » de l’inaction. Une sorte d’oraison se termine par ces trois mots : Insidieux. Ainsi Dieu.
Les verbes inventés sont nombreux, colorés et poétiques. En voici quelques exemples : j’avalanche et m’écrase dans mes larmes, je virginiserai nos existences, je n’intempérie aucune route, nous blanchir et nous linceuler.
Pour vous donner une idée du style adopté par l’auteur dans ce roman difficile à classer, je cite une seule phrase : « Toi, mon Télesphore, blanc comme l’oubli, tu es absent comme la vie qui tarde à fleurir dans
un jardin d’eau polaire, de verglas, d’arbres amputés, de givre et de ronces dévorant
nos horizons bourgogne à saisir, nos étoiles vultueuses, nos violences vermeilles,
nos vœux dans la chaux céleste, notre tendresse à l’ombre du corrosif et des cathédrales. »
Il y a plusieurs références religieuses dans L’aurore martyrise l’enfant, notamment à l’Ancien et au Nouveau Testament. Il est question d’Adam et Ève, de Cain et Abel, mais aussi d’Abraham, de la femme de Loth, des dix plaies d’Égypte, et de Marie-Madeleine lapidée.
S’il faut en croire Marie-Anne Houde, le pire de ses crimes a été passé sous silence. Il lui a fallu subordonner son destin à celui d’un autre, et ce, deux fois plutôt qu’une : deux maris, deux familles, deux aurores, deux crépuscules.
Originaire de Green Valley, village de l’Est ontarien, David Ménard détient une maîtrise en lettres françaises de l’Université d’Ottawa. Il a publié un roman, un récit et trois recueils de poésie, dont Neuvaines (L’Interligne), pour lequel il a remporté le Prix de poésie Trillium (2016) et le Prix de l’Association des écrivains francophones d’Amérique (2016). Ce recueil a aussi été adapté pour la scène par le Théâtre du Trillium (Ottawa).
David Ménard sera l’invité d’honneur représentant l’Ontario français lors de la 44e édition du Salon du livre de l’Outaouais qui se déroulera du 23 au 26 février.
6 janvier 2023

Nick Christie, Blondilocks (a kinky furrytale), conte homoérotique publié par l’auteur, 2021, 56 pages, 6,99 $ US.
Lecture sur un ton taquin et plaisantin
Auteur britannique s’adressant à des lecteurs qui se logent à l’enseigne
du cuir hardcore gay, Nick Christie
a transformé le conte Goldilocks
and the Three Bears (Boucle d’or
et les Trois Ours) du poète Robert Southey en un conte homoérotique intitulé Blondilocks (a kinky furrytale). Il a transformé fairy tale (conte de fées) en furrytale
(conte poilu).
Si vous avez déjà lu Christie, vous savez
que ses histoires ne visent pas un jeune public ou des âmes sensibles, loin de là (voir Darkroom dans mes Coups de cœur). Son écriture crue est explicitement pornographique. Les trois ours sont des motards qui s’amusent à renfoncer leur
bitte dans le gosier et le cul d’un blondinet effronté, impétueux et avide de sexe.
Un petit conseil : à lire sur un ton taquin
et plaisantin.
Les trois ours sont Ethan, Vince et Adam,
des gars de la construction qui partagent une maison et une passion pour la moto,
le cuir, une queue et un cul, pas nécessairement dans cet ordre. Ils sont
des « friends with benefits », des locataires qui s’adonnent à des échanges dignes de partouzes. Plus ça sent le cuir, la sueur et
le cul, plus c’est « filthy in a good way ».
Le blondinet est Luke, jeune homme hard punk qui aime se comporter en rebelle.
Il porte des jeans serrés délavés, un jacket de cuir et des bottes Grinder munies de vingt œillets. L’auteur le décrit comme « angelic yet sexy looking lad ». Il contacte Vince via une application de rencontres sexuelles, mais la communication est coupée juste après avoir reçu l’adresse.
Luke se présente quand même, mais découvre qu’il n’y a personne. Il s’introduit dans la maison, mange des brownies à la marijuana et s’effondre dans le lit d’une des trois chambres, presque sans connaissance. Quand Ethan, Vince et Adam reviennent de la taverne, ils découvrent la poule aux œufs d’or. Ils devinent que l’intrus est « a tease and a flirt and he loves to sub ». Ethan lève le t-shirt et, à la vue d’un duvet blond, s’exclame : « Fuck, I love your fur. You’re a sexy twinky otter. »
Les « three bad boy bears » ne tardent pas à se servir goulûment de la queue et du cul de Luke. Un trou dans le derrière de son jean lui permet de sentir un doigt de cuir
le darder virilement. Vince l’enserre et lui murmure à l’oreille : « You have a great cunt for breeding, bitch. » Le sentiment d’être dominé et possédé l’envoie tout de go au septième ciel.
Les dernières pages de ce court roman décrivent une orgie de suçage et d’enculage. Une phrase résume bien une scène typique : « Luke was now at eye level with these two leather-boy cocks being tugged as he rode the third. »
Nick Christie s’est d’abord adonné à l’écriture comme passe-temps, puis a très vite appris à apprécier la créativité et à explorer les relations avec ses personnages. Les histoires encensent le port du cuir chez les hommes gays et renferment de fortes scènes sexuelles, mais elles sont aussi équilibrées avec la narration.
28 décembre 2022

Steffie Brocoli, Raconte-moi, Mes premières histoires documentaires, album illustré par l’auteure, Lyon, Maison Georges Éditions, 2022, 64 pages, 31,95 $.
Un album où l’enfant
est l’acteur principal.
À partir de la vie, de la nature et d
u monde qui nous entoure, Steffie Brocoli a décidé de raconter le vent, la musique, les amis, les couleurs,
les chiffres, les petites bêtes,
les repas, le ciel, l’art… En tout,
ce sont 26 histoires dessinées qu’on peut lire et décoder dans Raconte-moi, Mes premières histoires documentaires.
Il s’agit d’un imagier pour les 4 ans et plus, voire pour toute la famille. La lecture se fait complice entre petits et grands. On se questionne, on s’étonne et on échange à
la lecture des questions : Pourquoi faut-il porter des vêtements ? Qu’est-ce que la peur ? Où sont les formes autour de nous ? Pourquoi avons-nous besoin d’amis ?
Sur chaque double-page, un fil-chemin
se déploie, avec une quinzaine d’étapes à suivre du bout des doigts. Les mots choisis avec soin permettent d’enrichir son vocabulaire et les illustrations claires et malicieuses donnent goût à la lecture.
Il s’agit d’une sorte d’alternative ludique à
la mini-encyclopédie à explorer en famille.
Chaque histoire commence par une brève mise en situation. Prenons l’exemple des repas. Voici ce l’autrice-illustratrice écrit : « Plusieurs fois par jour, nous passons à table. Mais que sais-tu des aliments qui
se trouvent dans ton assiette ? Observons ensemble ces moments qui rythment nos journées ! »
Dans chaque histoire, l’enfant est invité à suivre un chemin sinueux avec plusieurs points d’arrêt pour découvrir des explications. Il y a vingt points sur les deux pages consacrées aux couleurs. Au départ, l’enfant apprend que les bébés ne distinguent pas les couleurs lors de leurs naissance; ils voient en noir et blanc seulement. Tout au long du trajet, diverses expressions émaillent l’histoire : avoir une peur bleue, voir la vie en rose, être vert
de rage, broyer du noir.
Voilà un album qui développe la curiosité des plus jeunes et qui suscite une complicité parents-enfants. Toit au long des 64 pages, l’enfant est l’acteur principal de la lecture.
22 décembre 2022

Didier Leclair, Toronto, je t’aime, roman, Éditions Terre d’Accueil, coll. Motema, 2022, 186 pages, 24,95 $.
Double renaissance
pour Toronto, je t’aime
Vingt-deux ans après sa parution aux Éditions du Vermillon, le roman Toronto, je t’aime de Didier Leclair jouit d’une double renaissance. D’abord grâce à une réédition chez Terre d’Accueil, située à Oshawa,
qui se définit comme la seule maison d’édition francophone au Canada dédiée aux auteurs issus
de l’immigration, puis grâce à
une traduction en anglais.
Selon l’auteur, ce roman toujours d’actualité « illustre le sentiment de renaissance des Torontois venus d’ailleurs. C’est un cri primal pour choisir une seconde naissance, celle qu’un individu choisit. »
Le personnage principal est un Béninois qui arrive dans la Ville Reine, avec pour seul contact un ami d’enfance. Il y rencontre
des « frères » de circonstances, pour qui
les rapports à l’intégration sont très nuancés. Au dire de l’écrivain Paul Savoie, Leclair « réussit à nous faire entrer dans l’intimité de ses personnages et nous faire vivre les mêmes émotions et les mêmes questionnements qu’eux ».
En résumé, Toronto, je t’aime est « cette obsession de vouloir vivre ailleurs, d’être heureux autre part ». Au bout du compte,
le nouvel-arrivant est heureux d’aimer une ville trop grande pour en percer tous
les secrets.
Didier Leclair décrit la rue Yonge comme « un reptile étroit dont la longueur faisait preuve de croissance éternelle ». Les gratte-ciels de la Ville Reine sont comme
« des tours de Babel égrenées par des dieux ivres de leur puissance ».
Toronto, je t’aime est le premier roman de Didier Leclair. L’importance de la musique, du rythme d’une chanson, s’y trouve déjà avec des références à Bob Marley, Billie Holiday ou Jimmy Cliff. Toronto devient
« la scène d’un grand concert rock ».
En relisant cet ouvrage, j’avais oublié que
la sexualité y tenait une place de choix. C’est en traversant l’extase et l’étourdisse-ment d’une pénétration que le personnage principal murmure « Toronto, je t’aime. » Nombreux sont les coups de reins qui annoncent l’apocalypse des sens. « Toronto est aussi une femme libérée. »
Lors de sa publication en 2000, Toronto,
je t’aime avait remporté le prestigieux Prix Trillium. Il me semble que la réédition aurait dû inclure un dossier de presse, peut-être aussi une préface d’un critique littéraire comme François Paré et, en annexe, une entrevue avec l’auteur.
Traduit en anglais par Elaine Kennedy, Toronto, I Love You vient aussi de paraître chez l’éditeur Mawenzi House. Selon la critique Deborah Dundas du Toronto Star, Leclair « helps us see the city with fresh eyes ». Ray Conlogue, du Globe and Mail, écrit : « Over and above its literary qualities, it’s a significant book because it shows that Toronto’s ethnic vitality is spreading across language lines. »
2 décembre 2022

Guy Ménard, La Sphinge, nouvelles, Longueuil, Éditions L’instant même, 2022, 206 pages, 28,95 $.
Érudition et finesse
font bon ménage
Diplômé en philosophie, en théologie et en anthropologie, Guy Ménard
a publié des romans, des essais
et des recueils de poésie. Avec
La Sphinge, il nous offre son premier recueil de nouvelles. L’auteur offre des univers riches et foisonnants, convaincants, qui se répondent
les uns aux autres pour notre plus grand plaisir.
Dans ces nouvelles, on trouve une foule
de très brèves références à des écrivains, compositeurs ou même chefs. Voici quelques exemples : « à mi-chemin entre le minimalisme narratif de Hemingway et
la complexité tourmentée de Kundera »; « vous passez par tous les états d’âme climatiques de Phèdre » (Racine); « la ligne culinaire du temps allant de Jehane Benoît à Martin Picard, en passant par Daniel Pinard et Josée Di Stasio, sans évidemment oublier sœur Angèle et Ricardo »; des nénuphars « comme sur une toile de Monet qui se serait échappée de Giverny »
Parfois l’autrice n’est pas nommée, mais on le devine ici : « il est, comme le Survenant du chenal du Moine, un grand dieu des routes » (Germaine Guèvremont). Ailleurs, on apprend que la fête de Bloomsday,
en Irlande, est nommée en l’honneur de Leopold Bloom, anti héros d’Ulysse, le grand roman de James Joyce.
Le nouvelliste excelle dans l’art de ciseler des comparaisons imagées, dont voici quelques exemples : « plus assidue à
ses devoirs qu’une chatte à sa toilette », « rouge et dodu comme un chanoine castillan au bord de l’apoplexie », avoir
« le courage d’une mère ourse et
la résilience d’un carcajou »,
« un universitaire doit avoir des théories comme un chien doit avoir des puces ». Parfois, un seul mot décrit un trait caractéristique : la bonne volonté du… catéchumène, l’enthousiasme du… néophyte, l’énergie débordante et communicative du… converti.
Quand un personnage, auteur en herbe
d’un polar, rêve de renommée, il devient
un émule de Louise Penny, avide de voir son livre « faire de l’œil au chaland sur
un îlot de librairie ou sur le présentoir de quelque Jean Coutu ». Parlant de livres, Guy Ménard signale que, jadis, les bouquins étaient écrits par des écrivains et lus par
le public. « Aujourd’hui, ils sont écrits par n’importe qui et plus personne ne les lit. »
Guy Ménard signale que Rosedale est
une sorte d’Outremont de la Ville Reine.
Il glisse le nom d’endroits géopolitiques peu souvent mentionnés comme la Courlande,
la Transacaucasie, la Galice-Lodomérie, la Valachie et la Bessarabie.
Dans une nouvelle sur le drapeau arc-en-ciel, on a droit à un cours détaillé sur
la vexillologie (étude des bannières, oriflammes et drapeaux) et sur l’héraldique (étude des armoiries, blasons et autres écussons). On apprend que le mot gueules est masculin singulier. En français normal, dextre désigne la droite, mais en héraldique il indique plutôt la gauche.
Un personnage désire se procurer un kilt. Tant chez Eaton’s que chez La Baie, le prix est exorbitant. Il se rabat sur une jupe écossaise qu’il fait raccourcir. Le texte se termine avec l’éternelle question, à savoir
si les Écossais portent quelque chose sous leur kilt, à part les bas et les chaussures.
La réponse est lapidaire. « Ben voyons : l’avenir de l’Écosse ! »
Si vous avez voyagé dans des pays de l’Amérique centrale ou du Moyen-Orient
et que vous avez fréquenté un mercato, vous savez qu’il faut marchander le prix
de l’article convoité. Un touriste à Addis-Abeba a les yeux sur un crucifix de bois
un peu rustique, « d’une naïveté gracieuse ». On lui demande trente birs (dollar éthiopien). Vous vous régalerez à lire comment le touriste parvient à faire baisser le prix à vingt birs, puis à 10 comme les Dix commandements, ensuite à sept comme les sept jours de la création, et enfin à… un bir puisqu’il y a « tout de même qu’un seul Dieu ».
18 novembre 2022

Josée Ouimet, Louis-Joseph de Montcalm, commandant de la Nouvelle-France, biographie illustrée par Adeline Lamarre, Montréal, Éditions de l’Isatis, coll. Bonjour l’histoire no 18, 2022, 88 pages, 13,95 $.
Montcalm,
commandant malgré lui
de la Nouvelle-France
Bien que le passage de Louis-Joseph de Montcalm en Nouvelle-France ait été de courte durée, trois ans à peine, sa présence dans la colonie a marqué l’histoire. Josée Ouimet brosse sa biographie dans un livret intitulé Louis-Joseph de Montcalm, commandant de la Nouvelle-France.
Né en France le 28 février 1712, Louis-Joseph de Montcalm est décédé lors de
la Batailles des Plaines d’Abraham, à Québec, le 14 septembre 1759. D’un baiser, il avait pourtant scellé sa promesse de mourir dans les bras de son épouse.
Au XVIIIe siècle, la France et la Grande-Bretagne sont des concurrents commerciaux et des ennemis jurés. Envoyé en Nouvelle-France en 1756, Montcalm devient commandant des troupes françaises d’Amérique du Nord. « L’idée de devoir quitter la France pour ce territoire froid
et lointain ne lui disait rien qui vaille. »
Sur place, il a une relation tendue avec le gouverneur Pierre de Rigaud de Vaudreuil et avec l’intendant François Bigot, à qui il impose ses propres lignes de conduite. Montcalm insiste pour positionner les régiments « à la manière traditionnelle
des batailles, comme cela se déroulait encore de l’autre côté de l’océan ». Cette stratégie sera fatale.
Les derniers mots de Montcalm se trouvent dans une lettre adressée à sa famille, depuis son lit de mort. Il écrit : « J’ai tout donné
à mon pays et à mon roi, sauf mon amour qui vous a toujours été dévolu. »
Quand le glas a sonné pour annoncer
la mort de Louis-Joseph de Montcalm,
ce fut aussi pour la Nouvelle-France.
À la fin du livre, un dossier présente
un glossaire de certains mots utilisés à l’époque de Montcalm, quelques repères chronologiques, quelques contemporains
de Montcalm, ainsi qu’une liste des rues, places et édifices qui rendent hommage
à Montcalm.
29 octobre 2022

Louise Penny, Le pendu, novella traduite de l’anglais (Canada) par Lori Saint-Martin et Paul Gagné, Montréal, Éditions Flammarion Québec, 2022, 128 pages, 16,95 $.
Plein de principes dans
une novella de Louise Penny
La novella est un genre qui se situe entre
la nouvelle et le roman, plus longue que
la première, plus courte que le second. Louise Penny en a publié une en 2010 sous le titre The Hangman, dans le cadre d’un programme faisant la promotion de la littératie chez
les adultes. Ce n’est que douze ans plus tard que paraît Le pendu.
Par une froide matinée de novembre,
un joggeur découvre un corps pendu à un arbre dans les bois du paisible village de Three Pines. S’est-il vraiment donné la mort ou a-t-il été assassiné ? Armand Gamache, chef de la section des homicides à la Sûreté du Québec, et son fidèle second Jean-Guy Beauvoir sont appelés à élucider l’affaire. En examinant
les indices, ils mettent au jour un secret terrible et déchirant…
Selon Marie-Christine Blais, journaliste culturelle qui signe la préface de la novella, Louise Penny a puisé dans la tradition britannique pour le type d’intrigue et
la psychologie des personnages (Agatha Christie), ainsi que pour l’érudition et la poésie (P.D. James). De la tradition française (Georges Simenon et Fred Vargas), elle retient l’humanité des personnages.
Tout au long de cette courte histoire, Penny glisse des remarques sur certains principes qui guident Armand Gamache dans ses enquêtes. Exemple : les personnes stupides l’inquiètent car elles sont imprévisibles. Ou encore :
« Un visage impassible est un mur. Érigé volontairement. Pour cacher quelque chose. »
Penny fait même dire à Gamache qu’il y a
un meurtrier dans tous les villages, dans tous les foyers, dans tous les cœurs. « La seule chose qui manque, c’est une raison suffisante pour passer à l’acte. »
Selon Gamache, lorsqu’une personne enterre une terrible vérité, cette dernière grossit, devient imposante, énorme, monstrueuse.
« Elle vous dévore de l’intérieur. » Autre constat de Gamache dans cette novella : ceux qui ont des secrets racontent beaucoup
de mensonges.
À la fin de cet livre, il y a un tableau
des quelque vingt principaux personnages que l’on retrouve dans la série Armand Gamache enquête. On peut aussi lire, pour dix-sept titres de cette série, un court résumé et trois ou quatre extraits de critiques littéraires québécois ou américains (rien de L’Express de Toronto).
Dès l’automne 2005, les romans de Penny paraissent dans leur version originale au rythme d’un titre par an. L’année 2011 marque un tournant dans la carrière de Louise Penny : dès leur sortie, ses romans se classent no 1 dans les palmarès aux États-Unis, au Canada anglais et au Québec.
Née à Toronto, Louise Penny a été journaliste pour la CBC au Québec. Elle s’est installée
dans l’Estrie pour écrire et a imaginé le village Three Pines, lieu d’action de presque toutes
les enquête d’Armand Gamache.
23 octobre 2022

Carole Moore, Balto, roman illustré par Camille Lavoie, Saint-Lambert, Soulières éditeur, coll. Chat de gouttière no 78,
72 pages, 10,95 $.
Il n’y a pas de mauvais élèves-chiens
Avec Balto, Carole Moore a voulu
dire aux enfants qu’ils sont souvent meilleurs qu’ils le croient.
« Que leurs talents peuvent surgir au moment où on s’y attend
le moins, sous une forme à laquelle on n’aurait jamais pensé. »
Les parents de Julien annoncent qu’ils vont bientôt avoir un bébé, sans préciser qu’il s’agit d’un chiot. Julien, 7 ans, imagine
un petit frère ou une petite sœur qui attirera plus l’attention que lui. Il est surpris qu’il pourra choisir le nouveau-né…
à la SPCA.
Le chiot que Julien choisit est un berger allemand. Il le nomme Balto, comme
le célèbre chien de traîneau de race husky sibérien (1919-1933). Julien a un problème (si jamais c’en est un) : il est un éternel rêveur. La responsabilité d’un chien va changer sa vie.
« Être un chien est bien plus compliqué
que je ne pensais ! » Balto aura des devoirs à faire à la maison, tout comme Julien. Il n’y a pas de mauvais élèves-chiens, seulement des professeurs qui ne comprennent pas leur chien.
En promenant Balto, Julien découvre plusieurs races de chiens : berger australien, bouvier bernois, beagle, lévrier, golden retriever. À la fin du roman, l’autrice publie Les 10 commandements du chien. Le 5e se lit comme suit : « Parle-moi de temps en temps. » Même si le chien ne comprend
pas les mots, il décode les intonations de
la voix de son maître.
Avec Balto, Julien découvre les forces restées enfouies comme un trésor bien caché. Il se concentre mieux à l’école. Il devient plus apprécié de ses camarades.
Ce mini-roman et illustré par Camille Lavoie. Mélangeant documentaire et contes, ses dessins font preuve d’une volonté d’observation du monde vivant.
16 octobre 2022

Catherine Ferland, 27 faits curieux sur la mort d’hier à aujourd’hui, essai, Montréal Éditions Les heures bleues, coll. Les 27, 2022, 64 pages, 21,95 $.
Traiter des morts
au fil des siècles
Cercueil, corbillard, cimetière et flore mortuaire ne sont que quelques aspects abordés par Catherine Ferland dans 27 faits curieux sur
la mort d’hier à aujourd’hui. Le livre présente à l’occasion des clins d’œil au Québec.
Les linceuls, les rituels, les techniques d’embaumement et les monuments funéraires témoignent « de ce souci constant d’aménager la mort – ou de ménager les morts – de manière à ce que
la vie puisse reprendre ses droits le plus vite possible ».
À l’époque des épidémies de choléra et
de typhus aux XVIIIe et XIXe siècles,
les inhumations sont souvent précipitées… au risque d’ensevelir des personnes encore vivantes mais dont les signes vitaux demeurent imperceptibles. Des cercueils auraient comporté « une clochette ou
une autre forme d’alerte ainsi qu’un tuyau permettant la respiration en cas de besoin ».
Dans plusieurs paroisses québécoises,
on raconte qu’en déménageant les tombes d’un vieux cimetière, « des corps ont été retrouvés sur le ventre, tandis que d’autres avaient des poignées de cheveux dans
les mains ».
Du côté de l’Islam, les pleurs sont permis, mais à la condition d’être silencieux.
La résignation et la maîtrise de soi constituent l’idéal musulman en matière de deuil. L’absence de manifestations bruyantes peut signifier le respect. C’est la base même de la fameuse « minute de silence » de nombreuses cérémonies.
L’autrice explique l’étymologie du mot corbillard. Il s’agirait d’une déformation de « corbeilat », un terme désignant autrefois le bateau reliant Paris à Corbeil et qui,
en temps d’épidémie, a servi à évacuer
les morts de la capitale. Au fil du temps,
le mot corbillard en est venu à désigner
les véhicules qui convoient les défunts.
Les fortes émanations dues à la décompos-ition peuvent incommoder les fidèles lors des cérémonies religieuses. Ceci explique peut-être l’usage traditionnel d’encens
dans la liturgie catholique, « une stratégie commode pour camoufler les mauvaises odeurs ».
Ben que l’Égypte demeure la grande championne des momies, des recherches archéologiques au sud du Portugal ont révélé l’existence de corps comportant
des traces de momification remontant à environ 8 000 ans. Un tel embaumement « est réalisé pour que le corps puisse continuer à servir de support à l’âme
du défunt dans l’au-delà ».
Les stèles et monuments de pierre se généralisent au XIXe siècle. Le métier ou
le statut social sont parfois indiqués, ce qui permet de constater le regroupement
des gens issus de la même classe sociale. C’est ainsi que bien des cimetières « perpétuent le manière posthume
la hiérarchie sociale ».
Plusieurs espèces végétales sont étroitement liées à la mort et aux rites funéraires. Est-ce pour enjoliver la tombe, pour apaiser l’esprit de la personne décédée ou pour réconforter la famille endeuillée? Sans doute un peu tout cela et même, plus prosaïquement,
pour dissimuler les odeurs.
Parce que le chrysanthème fleurit à
la Toussaint ou veille du Jour des morts,
il devient une fleur de douleur et de mort. Les chrysanthèmes blancs sont particulièrement recherchés lors des cérémonies funéraires des pays asiatiques, notamment chez les bouddhistes. « En effet, cette religion interdit d’utiliser des fleurs de couleur vive pour honorer les morts. »
Comme on le sait, le coquelicot est devenu le symbole des militaires tombés au combat. Dans les cérémonies funèbres juives et musulmanes, les fleurs sont moins employées. Ces religions privilégient plutôt la simplicité et la sobriété.
La crémation a longtemps représenté un problème théologique. Le dogme catholique affirme qu’il faut « respecter l’intégrité du corps en vue de la résurrection », ce que compromet la crémation. C’est Paul VI qui lève l’interdit en 1963.
Le Québec n’a pas attendu aussi longtemps. C’est au cimetière Mont-Royal, à Montréal, qu’est fondé le premier crématorium en 1901. Ce sera le premier au Canada.
« De nos jours, plus de 70% des défunts québécois sont incinérés plutôt qu’inhumés. »
9 octobre 2022

Jean-Sébastien Marsan, Histoire populaire de l’amour au Québec, De la Nouvelle-France à la Révolution tranquille, tome III, 1860-1960, essai, Montréal, Éditions Fides, 2022, 186 pages, 29,95 $.
Pas d’éducation sentimentale-sexuelle dans le Québec de 1860-1960
Je vous ai déjà parlé de l’Histoire populaire de l’amour au Québec,
De la Nouvelle-France à
la Révolution tranquille, de Jean-Sébastien Marsan. Il signe
un troisième et dernier tome couvrant les années 1860-1960.
Dans le titre de cet ouvrage, le mot « amour » équivaut souvent à « famille ». Un long chapitre sur la condition féminine et masculine passe en revue des sujets aussi variés que le droit de vote des femmes, le salaire égal et la prostitution.
À la fin du XIXe siècle, la principale caractéristique de la femme est
le dévouement dans l’abnégation.
L’auteur passe en revue des classiques du roman québécois – Angeline de Montbrun (1881), Marie Calumet (1904), Maria Chapdelaine (1913), Un homme et son péché (1933), Trente arpents (1938) – et laisse
le critique Gilles Marcotte conclure :
« Des romans d’amour adulte, d’amour accompli, il n’en existe évidemment pas dans la littérature québécoise. »
Garçons et filles évoluent dans des univers cloisonnés pour éviter les contacts corporels. « Leur éducation sentimentale se limitait
à quelques stéréotypes et aux mièvreries
du romantisme. »
L’auteur écrit que toute femme manifestant des velléités d’indépendance ou cultivant des amitiés particulières « s’exposait aux pires calomnies, mettait sa vertu en jeu et risquait de se retrouver sur une voie de garage ».
La femme n’a pas sa place dans une taverne et Maurice Duplessis la leur interdit en 1937, discrimination qui perdurera jusqu’en 1981. Quant à l’île Sainte-Hélène (1874), au parc La Fontaine (1874) et au Mont-Royal (1876), ils deviennent vite des lieux de socialisation.
Avant les années 1960, l’Église s’oppose à
la danse, surtout lorsque les partenaires sont collés serrés. « Défouloir des pulsions, éveil sensuel et invitation à l’amour,
ce moyen d’expression horripilait
les clercs. »
Le théâtre est aussi boudé parce qu’il est tenu pour « lieu de perdition ». Et quand
le cinéma fait son apparition, l’Église y voit un « péril moral ». Un Bureau de censure du cinéma est institué en 1913; c’est la guerre aux baisers trop longs ! Ce Bureau « s’est illustré par son implacabilité, plus catholique que la pape ».
Au milieu du XIXe siècle, une fête voit
le jour : l’enterrement de vie de garçon.
Au début du XXe siècle, on assiste au shower pour les futures mariées.
Côté contraception, on apprend que
la méthode ou calendrier Ogino-Knaus
se pratique vers la fin des années 1930.
On l’enseigne même dans les cours de préparation au mariage à partir de 1940 et le pape Pie XII lui donne sa bénédiction
en 1951.
« Toute promesse de fidélité crée un attrait pour l’infidélité », écrit Jean-Sébastien Marsan. Quand un homme succombe à
une tentation, on dit « pauvre de lui, il n’a pas pu résister ». Une femme adultère, elle, perd définitivement sa dignité et souille l’honneur de sa famille.
Les homosexuels discrets et prudents se donnent rendez-vous dans les bars de grands établissements hôteliers à Montréal. Le premier cabaret explicitement gay fut
le Tropical Room, rue Peel, en 1952.
Marsan conclut son survol 1860-1960
en ces termes : « La cuture québécoise demeure allergique à l’éducation sentimentale et sexuelle, ce qui laisse toute la place aux stéréotypes et aux mièvreries des industries culturelles (au premier chef de la Walt Disney Company). »
5 octobre 2022

Fanie Demeule, Je suis celle qui veut sauver sa peau, nouvelles, Montréal, Éditions Hamac, 2022, 176 pages, 18,95 $.
Une écriture déjantée
La lecture de Je suis celle qui veut sauver sa peau, de Fanie Demeule, m’a laissé passablement désorienté. Dans ce recueil de quinze nouvelles, l’autrice transgresse à la fois
les raisonnements et les sentiments.
Les textes adoptent un style varié – autofiction, fantastique, drame psycho-logique, réalisme magique – et sont presque tous écrits au « je ». Ils explorent les zones troubles de nos obsessions, de nos vulnérabilités, de nos hontes et de nos angoisses.
La nouvelle intitulée « Wake » (veillée funèbre ou mortuaire) n’est pas sans rappeler Finnegans Wake, une œuvre littéraire de James Joyce, publiée en 1939,
et réputée comme étant un texte difficile, voire illisible et intraduisible. « Des hommes et des femmes embrassent à pleine bouche le cadavre à moitié dénudé […] des doigts viennent le stimuler par des attouchements. »
Marcel Duchamp a écrit que « ce sont
les regardeurs qui font les tableaux ».
Cela autorise la narratrice à expliquer comment les hommes sont œuvres d’art lorsqu’ils pissent debout. En se soulageant, ils se transforment en sculpture.
Dans la nouvelle « Le jet », la narratrice découvre quelques postes privilégiés d’observation où le ballet des jets successifs sont synonyme de fontaine miraculeuse.
Elle épie un employé lors de ses pauses pipi et découvre comment il se transforme en « un phénomène du plus haut calibre esthétique ».
Fanie Demeule adore multiplier les niveaux de lecture. Dans une nouvelle où elle auditionne pour une troupe de théâtre et obtient la première place, elle « joue
un rôle qui joue un rôle par- dessus le rôle [qu’elle] joue continuellement dans la vie ». L’expérience est poussée le plus loin possible, au point de friser « l’évanouissement pour livrer ce qu’on attend de moi ».
L’autrice sait ciseler de savoureuse comparaison. Ainsi, en examinant des feux d’artifice, elle n’est pas sans remarquer le pouvoir des spectacles pyrotechniques pourtant éphémères. Demeule y voit l’image même de la vie : « bref éclat de couleur vite avalé par une noirceur insondable ».
Trois étages, trois chambres, deux salles de bains, une cour. Un prix dérisoire. Mais
« Il faut nettoyer la maison », titre d’une nouvelle où un couple s’acharne à frotter avec rage. La saleté ne disparaît jamais. Serait-ce que la maison est déjà propre, mais qu’il y a quelqu’un d’inlavable…?
Certaines nouvelles sont parfois émaillées
de références littéraires, historiques ou mythologiques. Lors de la veillée funèbre,
il est question du Livre vermeil de Montserrat, un recueil de textes religieux parmi lesquels figurent plusieurs hymnes de la fin du Moyen Âge.
Il est question de la fée Morgane, personnage du cycle arthurien, dans lequel elle est la demi-sœur magicienne du roi Arthur. Nue, elle attend la visite de Cernunnos », dieu gaulois du renouveau
et des cycles naturels, très largement représenté dans le monde celte.
Dans la nouvelle sur la maison à nettoyer,
il est fait allusion aux écuries d’Augias, mythe important de la littérature grecque antique, et aux eaux purificatrices du dieu-fleuve Alphée.
Grâce à un style finement ciselé et à une recherche originale, Fanie Demeule réussit
à nous offrir plusieurs niveaux de lecture.
26 septembre 2022

Kamal Al-Solaylee, Brun : ce que cela signifie d’être brun aujourd’hui, essai traduit de l’anglais par Felicia Mihali, Montréal, Éditions Hashtag, 2022, 372 pages 28,95 $.
La peau brune est la plus grande prison de toutes.
Tout le monde raffole du riz biryani, du falafel, du couscous et des tacos. Or, ces mets sont préparés par
des gens à la peau brune, laquelle suscite confusion, haine et violence, selon Kamal Al-Solaylee, auteur
d’un essai intitulé Brun : ce que cela signifie d’être brun aujourd’hui.
L’auteur, lui-même brun, note que
« le racisme anti-brun est un mélange d’incompréhension culturelle, de peur religieuse et d’insécurité économique, auquel s’ajoute une bonne vieille discrimination basée sur la couleur. »
Il souligne que les attaques contre les communautés mexicaines, musulmanes, arabes et iraniennes aux États-Unis trahissent une vision générale selon laquelle les Bruns « contamineraient
la pureté et la grandeur de l’Amérique blanche, l’Amérique blanche en état de siège, pour être plus précis ».
Le brun est aussi la couleur de cinq millions de musulmans en France, et celle des immigrants pakistanais et indiens au Royaume-Uni. À Toronto, on n’a qu’à se promener au centre-ville ou dans certaines parties de la banlieue pour constater « que le brunissement de la plus grande ville du Canada est en cours ». Les nations à la peau brune dominent presque toutes les sources d’immigration au Canada.
Brun regorge de récits de vie troublants recueillis par Al-Solaylee pendant deux ans en sillonnant dix pays sur quatre continents. Ils révèlent une multitude d’histoires provenant de destinations aussi éloignées les unes des autres que les Émirats arabes unis, les Philippines, les États-Unis,
la Grande-Bretagne, Trinidad, la France,
Hong Kong, le Sri Lanka, le Qatar et
le Canada.
L’essayiste étudie la signification de la peau brune pour les personnes originaires d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient,
du Mexique et d’Amérique centrale, d’Asie du Sud et de l’Est. Il réfléchit également à
sa propre identité et à ses expériences en tant que gay à la peau brune, qui a grandi avec des images de blancheur comme seuls indicateurs de beauté et de réussite.
L’auteur gay signale que les mannequins faisant la promotion de sous-vêtements moulants ou de sexe par téléphone sont blancs ou noirs. « Très noirs. Le désir n’était disponible qu’en deux couleurs, et la mienne n’en faisait pas partie. »
Nord-Africains, Moyen-Orientaux, Sud-Asiatiques, Indiens, Mexicains, autant de gens à la peau brune. Al-Solaylee propose de les considérer comme un continuum,
une métaphore. Ces millions de gens, historiquement parlant, n’ont pas profité
des gains du monde post-industriel; ils réclament aujourd’hui leur juste part dans la mobilité sociale, l’égalité et la liberté.
Les Bruns ne sont pas un groupe ethnique distinct, mais « une myriade de grands groupes ayant plus de points en commun que ce qu’on admet depuis toujours. »
Les nombreux témoignages permettent de dresser un constat percutant : « Nous vivons dans notre peau, l’organe humain
le plus large et, possiblement, la plus grande prison de toutes. »
Né au Yémen, Kamal Al-Solaylee enseigne
à l’école de journalisme, de rédaction et
de médias de l’Université de la Colombie-Britannique. Paru en anglais en 2016, Brun
a été finaliste aux Prix littéraires du Gouverneur général dans la catégorie essais.
15 septembre 2022

Jules Clara, Von Westmount, roman, Montréal, Éditions La Mèche, 2022, 180 pages, 22,95 $.
L’anglais a-t-il sa place dans un roman
en français ?
Il arrive qu’on retrouve de courts dialogues en anglais dans un roman de langue française, parfois avec une traduction en bas de page. Le roman Von Westmount, de Jules Clara, n’entre pas dans cette catégorie car
il dépasse les bornes.
Aline piétine. Aline s’enlise. Sa situation n’est guère reluisante, tant au niveau du travail qu’au plan amoureux. Une amie lui parle d’une famille richissime, les Von Westmount. Cherchent-ils une employée ? Yes they do.
Voilà ce que j’avais lu dans le communiqué annonçant la sortie du roman. Je ne me doutais pas que ce Yes they do ouvrirait
la porte à un ouvrage francophone bourré de phrases en anglais. Il y a même un chapitre de douze pages rédigé uniquement dans la langue de Shakespeare.
Aline s’occupe d’Alexander et de Clémentine, les deux enfants de la famille Von Westmount (qui vit à Westmount, Montréal). Alexander joue un rôle plutôt effacé, mais une scène où il est question du livre que l’enfant doit lire résume on ne peut mieux ma réaction au roman de l’autrice Jules Clara.
« I’m sick of this book. Please, don’t make me read this, Miss Aline, please don’t make me keep reading this book. Please, implore Alexander de nouveau, I don’t like the story, it’s so boring, I’m sick and tired of it… Give me something else, anything. »
J’ai lu plusieurs romans de langue française où on indique tout simplement que
la discussion se déroule dans la langue anglaise, mais on l’écrit dans la langue de Molière. Cela aurait été possible et
souhaitable ici. Or, on a plutôt droit a
des tournures comme : « Aline demande
en riant What do you want me to do, Clémentine? I don’t think I’m the one to blame here, I really don’t. Mais là n’est pas
la question, voilà ce que lui répond Clémentine. The point is that you know. Aline ricane toujours. »
En toute honnêteté, je dois reconnaître
que Jules Clara excelle dans l’art de créer des ambiances feutrées où les propos intimistes se campent à merveille. Les détails abondent pour décrire une pensée, un regard, une hésitation, un souvenir,
un geste, une moue, un pas.
La romancière a aussi beaucoup réfléchi à comment chacun ou chacune agit : « Il y a dans nos vies des habitudes, des réflexes, des inclinations, des pulsions, des penchants, des prédilections, des schémas aussi larges que subtils. » L’éditeur parle de pépites symboliques insoupçonnées.
7 septembre 2022

Mélanie Calvé, Rosalie, roman, Montréal, Éditions Fides, 2022, 256 pages, 24,95 $.
Cocktail de coups de poing et de câlins
« Ma mère dit tout le temps que toutes
les familles ont leurs secrets. » Voilà ce
que Mélanie Calvé écrit et développe dans son tout dernier roman intitulé Rosalie.
Journaliste, auteure et conférencière, Mélanie Calvé est très présente sur les réseaux sociaux où elle alimente un blogue suivi avec beaucoup d’intérêt. Depuis 2017,
la romancière nous a offert la trilogie William et Eva, suivie d’Anaïs puis de Léonie et Victoria.
Rosalie est un roman sur l’amour et l’entraide. L’action se déroule à la fin des années 1950, dans le village québécois de Saint-Eustache, où la famille Delorme y tient un dépanneur. À presque 25 ans, Rosalie est la cadette de cette fratrie frappée par une série de tragédies, sans compter
la découverte d’un terrible secret familial enfoui depuis presque 20 ans.
Dès les premières pages du roman, Rosalie a vaguement connaissance qu’elle a une sœur aînée qui mène « sa vie en parallèle ».
Elle a une autre sœur qui ne sait ni lire, ni écrire, ni compter. Quand le mari songe à cacher certains faits au sujet de ses filles, l’épouse lui répond que « les mensonges finissent toujours par nous revenir en
pleine face ».
Mélanie Calvé campe des personnages très colorés, presque tous des femmes. Au fil
des ans, la mère de Rosalie apprend à voir plus loin que l’image que les hommes projettent. Certains membres de la famille Delorme reçoivent plus de coups de poing que de câlins; le refuge dans le silence est souvent leur seule option.
Rosalie a peur de ce qu’elle ne connaît pas, que ce soit une promenade en voiture décapotable ou une aventure amoureuse. Une femme libérée lui donne le conseil de ne pas avoir peur avant d’avoir peur; mieux vaut « vérifier et ensuite décider si ça te fait peur ou non ». Autrement on risque de « passer à côté de trop de belles et grandes choses, juste parce qu’on a peur d’avoir peur ».
Sans dévoiler le nœud de l’intrigue, je mentionne un court échange entre Rosalie et un autre membre de la famille : « – Parce qu’astheure, je connais la vérité ! – Et ça change quoi ? On s’aime, on est là une pour l’autre, c’est ça aussi la vérité. »
Rosalie apprend que l’amour n’est pas comme ce qu’elle lit dans les romans du Photo Journal. « Ça, c’est de la belle romance. La vie, c’est plus compliqué
que ça. »
Le roman nous montre comment une personne peut se sentir à la fois trahie, abandonnée, misérable, aimée et reconnaissante. Comment on peut aussi mentir à quelqu’un toute sa vie… sans jamais cesser de l’aimer.
Rosalie est un roman psychologique fort réussi, un exercice où la protagoniste apprend à choisir sa vie et, surtout, à se choisir.
2 septembre 2022

Gilles Archambault, Mes débuts dans l’éternité, nouvelles, Montréal, Éditions du Boréal, 2022, 134 pages, 22,95 $.
Longue vie,
longue liste d’erreurs
Montesquieu a écrit que c’est un malheur qu’il y ait trop peu d’intervalle entre
le temps où l’on est trop jeune et le temps où l’on est trop vieux. Cette réflexion incite Gilles Archambault à publier un recueil de trente nouvelles intitulé Mes débuts dans l’éternité.
L’auteur campent des personnages qui ont « passé l’âge » et décrit des situations ou instants pleins de richesse inattendue.
Un style subtil, tout en clair-obscur, réunit cette brochette d’hommes et de femmes d’âge parfois canonique.
Un homme affirme que « les femmes m’aimaient bien, mais elles ne m’aimaient pas ». Il se console en se disant qu’il n’était pas fait pour les extrêmes. Un autre sait qu’il va mourir sans descendance. Il se dit qu’il aimerait parfois faire la conversation avec un fils. « Pas avec une fille, du chinois pour moi, je ne saurais trouver les mots. »
Pour l’un des personnages, une femme est une intellectuelle si elle lit un peu, va dans les musées et connaît le prénom de Proust. Un autre commence à tapoter sur les touches de son MacBook et se sent envahi d’une mission sublime, comme s’il « devenait l’égal de Philip Roth ou de Michel Houellebecq ». Il semble dès lors trouvé un nouveau filon, un développement auquel il n’avait pas pensé.
On trouve plusieurs références à la littérature, comme « Mauriac et Bernanos que plus personne ne lit ». Le sort des écrivains occupe une place de choix dans ces nouvelles. Ils sont tous, sans exception, des casse-pieds. « La vanité des écrivains n’a pas de limites. Ils sont prêts à toutes les concessions. Sauf celles que commanderait le simple bon sens. »
La culture générale d’Archambault imprègne souvent ses nouvelles. Côté musique, par exemple, il mentionne Mozart, Debussy et Stravinsky, mais aussi « les solos de Thelonious Monk » (jazzman américain, 1917-1982) ou « la vie de Dinu Lipatti » (pianiste roumain, 1917-1950).
Victor, 92 ans, souhaite mourir car il n’est pas possible « de retourner à la vie qu’il a connue pendant sa jeunesse ». C’est le sort commun, lui dit-on, mais il ne supporte pas que le monde change. Une préposée lui lance : « Vous vous voyez avoir encore dix-sept ans, monter dans une carriole tirée
par des chevaux ? Vous souhaitez vraiment endurer l’odeur du crottin ? » Le vieux chnoque lui donne congé !
Une femme de 70 ans veut continuer à travailler, elle n’est pas prête pour la retraite. Il lui faut de l’argent pour des parfums
de marque, des vins réputés et des voyages en première classe.
Archambault glisse souvent des réflexions comme « je peux être un vieillard irascible ou le plus accueillant des hommes, et cela pendant la même heure ». Ou encore : « C’est fou, le nombre d’erreurs qu’on peut commettre tout au long d’une vie. Surtout
si on s’entête à vivre vieux. »
Dans la dernière nouvelle, qui donne son titre au recueil, Gilles Archambault termine en écrivant : « il m’arrive d’ouvrir un livre au deux, parfois ému plus qu’il n’est raisonnable devant une page ou une phrase d’une bouleversante beauté. La seule forme d’éternité qui me soit accessible. »
21 août 2022

Johann Zarca, La Nuit des hyènes, roman, Paris, Éditions Goutte d’or, 2022, 192 pages, 30,95 $.
Roman au contenu
et au style radicaux
À Paris, le bois de Boulogne est
un écosystème de drague qui se met en place la nuit. Il peut devenir
un tourbillon de violence et d’underground, comme en fait foi
le roman La nuit des hyènes,
de Johann Zarca.
Le personnage principal est Zyed, le jour, qui se travestit en Chica, le soir. Zyed a
ses potes du bistrot Le Fabuleux, à deux rues du métro Porte-de-Clichy, à Paris. Chica a ses copines du bois de Boubou (Boulogne), ses habitudes et son arbre au bout d’un sentier discret.
L’ouvrage est marqué par le style oral. Certains dialogues ont recours au verlan, forme d’argot français qui consiste en l’inversion des syllabes d’un mot (verlan = l’envers). Voici quelques exemples de cet argot : foncedé (défoncé), yenclis (clients), pèchedé (dépêche), glori (rigolo), zermi (misère), tromé (métro).
Chica offre ses services une fois la nuit tombée. « Ses yenclis veulent du sale,
du hardcore, du ce-qu’ils-font-pas-chez-eux. » L’endroit est connu pour attirer
des travestis, des homosexuels, des voyeurs, des exhibos, des pervs et des dealers.
Pour chaque client, Chica s’applique « à le faire grimper au ciel, le propulser dans les étoiles ; plus elle le taffera, plus il payera ».
Pour vous donner une idée du ton de ce roman radical, un client se choque du prix demandé, avec un condom qu’il refuse de porter. Il traite Chica de « grosse chienne, sale pute, pétasse, pouffiasse, pédale de goy ».
Bien que Chica se targue d’en connaître
un rayon sur la psychologie des hommes,
y compris sur le fait « que trop de mecs ensemble se transforment en loups »,
elle accepte de suivre un client jusqu’à
son domicile, moyennant une importante somme d’argent.
Elle ignore alors qu’elle vient de se jeter dans la gueule du loup. Le scénario de
la nuit qui l’attend est dicté par trois prédateurs au rire de hyènes, d’où le titre
du roman. Ses bourreaux sont surnommés le Vautour, le Bulldog et le Porc.
Le Vautour est l’homme qui l’a ramassée au bois de Boulogne. Il chlingue le vice. Chica est pour lui « un simple bout de barbaque », une marchandise. « Pour moi t’es une fiotte, une petite pédale […] avec
ta sale tête de bougnoule, putain d’Arabe
de merde, enculé, pour moi t’es qu’une serpillère, je t’emmerde… »
Chica peut supporter l’humiliation et se voir manipuler comme une marionnette, tant qu’on ne s’en prend pas à son intégrité physique. Elle sera bien mal servie, au point où « le néant domine son esprit durant cette nuit des hyènes.
C’est la première fois que je lis un roman
de langue française où un glossaire m’aurait été utile, voire nécessaire. J’ai bien compris qu’un beauf est un gars et qu’une meuf est une fille. J’ai deviné qu’une ligne de métro pourave est nulle ou pourrie.
Plus difficile de comprendre le sens de
« Il ne taffe pas, n’a pas de mifa ni de soces. » Ou encore « Elle aime le shit, plus que la zèbe. » Comme je savais que Chiva voulait du whiskey, des cigarettes et de
la bouffe, je n’ai pas été surpris qu’elle « raque vingt-sept boules pour la graille, les clopes et la pillave ».
La nuit des hyènes n’est pas un roman
de tout repos, tant par son contenu que par
son style.
17 août 2022

Sébastien Rongier, Je ne déserterai pas ma vie, roman, Le Bouscat (France), Éditions Finitude, 2022, 160 pages, 28,95 $.
Marcel Duchamp,
veuf sans être marié
Le nom de Marcel Duchamp évoque chez moi le dadaïsme, l’art minimal, l’art conceptuel, le pop art. Je l’ai toujours imaginé foncièrement Français, mais le roman Je ne déserterai pas ma vie, de Sébastien Rongier, a levé le voile sur la double vie de Duchamp.
Son Nu descendant un escalier, peint en janvier 1912, fait scandale lors d’une exposition à New York en février-mars 1913. Cette œuvre consacre la gloire de Marcel Duchamp et marque le début de l'art moderne aux États-Unis.
Duchamp donne des cours particuliers de français à des Américains bien nantis. C’est ainsi qu’il rencontre Mary Louise Reynolds (1891-1950). Ils s’installent tous les deux à Paris et Mary croise plein de gens qui ne parle pas un mot d’anglais ; « cela aurait
été vécu comme une défaite intérieure pour beaucoup de Parisiens ».
Le roman nous apprend comment Duchamp tenait à son image d’insaisissable solitaire.
Il aime le secret et cache toujours ses amours. « Sa vie comme son œuvre sont traversées de secrets, de choses vues et invisibles, de regards cachés et de formes qui détournent le sens comme le regard. »
Connu pour faire durer la clandestinité
le plus longtemps possible, Duchamp a le don de dénicher des œuvres et des artistes encore inconnus mais qui seront bientôt « au cœur des transformations artistiques du siècle ».
Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate et que France tombe à la merci des nazis, Mary entre dans la Résistance et Mary échappe de peu à la Gestapo. La majorité des chapitres porte sur le contre-espionnage orchestré par Mary Reynolds, mais pas
un mot sur Duchamp durant cette période.
Mary a un passeport américain qui lui permet de regagner facilement son pays d’origine. Or, c’est la dernière chose qu’elle souhaite faire. « J’aurais l’impression de trahir Paris et de me trahir moi-même. »
Au moins vingt pages du roman sont consacrées à une partie d’échecs que Marcel Duchamp et Samuel Beckett se disputent. Leur relation se développe dans le silence
et le déplacement infini des pièces. Pour Duchamp, le jeu d’échecs est « un point d’équilibre avec le monde, une absence, certes, mais une absence pour ne pas renoncer à la disparition de tout ».
Entre Duchamp et Reynolds, il y a quelque chose comme des vases communicants. L’artiste demeure, en réalité, plus américain que son amante. Mary veut vivre en France et Marcel tient à évoluer aux États-Unis.
Il prendra d’ailleurs la nationalité américaine à partir de 1950.
La brève vie commune du couple libre demeure « la seule parenthèse heureuse du mouvement perpétuel de Marcel ». Lorsque Mary meurt en 1950, l’artiste célibataire devient « un veuf sans mariage ».
Bien que le roman porte presque entièrement sur Mary Reynolds, je termine en citant cet adage duchampien : « faire n’importe quoi mais pas n’importe comment »
7 août 2022

Victor Bégin, Les garçons interludes, récit illustré par Cole Degenstein, Montréal, Éditions Hamac, 2022, 80 pages, 19,95 $.
En quête d’un héros queer
À 28-29 ans, Victor Bégin estime que les enjeux queers demeurent encore largement sous-représentés dans la littérature québécoise. Pour y remédier, le jeune écrivain publie un récit intitulé Les garçons interludes, où il aborde l’interchangeabilité dans les relations amoureuses entre hommes.
Dès la première page, on apprend que, à peine âgé de 9 ans, Victor Bégin cherchait
le garçon qui aimait un garçon, un héros queer. « Et comme je n’en ai jamais trouvé un seul, je l’ai créé. C’est comme ça que ça commence. »
Le titre du récit provient de cette phrase : « Depuis ma florescence, je n’ai plus que
des garçons interludes dans ma vie. Ils sont là pendant un moment merveilleux, se passent le flambeau… » Les thématiques qui émaillent ce récit incluent l’amour queer,
le corps et l’image, ainsi que les désirs pluriels et variables.
Rien n’est prévisible dans ce recueil de fragments. Ainsi, Jean-Claude et Louis-Charles organisent des soirées très festives, et « il se passe toujours des choses merveilleuses dans le lit de Louis-Charles qui n’impliquent jamais Louis-Charles. »
Parlant de lit, Bégin écrit : « Dans ton lit,
on ne s’embrasse pas, ce n’est plus
le moment. On s’enchevêtre et c’est tout. »
Il profite d’une attirance pour dîner tous frais payés. « Je lui ai rendu en nature consentante chaque crevette et grain de riz. »
L’auteur lance un principe auquel je ne souscris pas pleinement. Il affirme que chez les hommes qui s’aiment, « il y a toujours
la question de qui se donne à qui. On ne s’approche qu’avec méfiance et espoir. »
Bégin nomme plusieurs garçon interludes – Alexis, Alfonso, Étienne, Félix, Hugo Pierre, Jorge, Lucas, Yanni – pour conclure que
« la mémorabilité de certains semble inférieur au plaisir de l’oubli ».
On entend souvent dire que quelqu’un parle la langue de Molière ou de Shakespeare.
Ici, c’est plutôt la langue de Salomé Leclerc et celle de Matt Berninger. Dans l’une ou l’autre langue, on assiste à « un film sans sous-titres, à consommer en connaissance de cause ».
Comme moi, l’auteur n’a jamais été bon en arithmétique. Pour lui, 1 + 1 = nous. Avec
ce genre d’addition, il peut poser la question suivante : « Est-ce que tu veux être seul et différent avec mes petits uns de première année ? »
Le recueil regorge de tournures finement ciselées. En voici un bel exemple : « Je suis un corps étranger où se poser devient
une énigme. » Ou encore : « Tu as d’innombrables costumes, mais sache que
j’ai l’œil ; je te reconnais tout le temps en dessous de ta détresse. »
Les garçons interludes semblent le plus souvent dire au revoir en souhaitant
le meilleur de leur corps, pas de leur cœur. Résultat : on n’est « qu’un désir de plus dans une carcasse à la dérive »
23 juillet 2022

Félix Saint-Denis, Éclatemps ! Histoires francos en Ontario, album illustré par Hicham Absa selon une idée originale de Body Ngoy, Ottawa, Réseau du patrimoine franco-ontarien, 2022, 42 pages.
Temps et espace éclatés
La bande dessinée a un public plus jeune qui ne connaît pas toujours l’histoire de sa communauté.
Le Réseau du patrimoine franco-ontarien y remédie en publiant Éclatemps ! Histoires francos
en Ontario.
C’est Body Ngoy qui a eu l’idée originale
de cet album, mais c’est Félix Saint-Denis qui a fait la recherche et qui en a écrit
le scénario. Les illustrations sont de Hicham Absa. Dans la version audio-visuelle, Brian St-Pierre signe la musique.
L’histoire de l’Ontario français est racontée de 1610 à nos jours. C’est ce que j’ai fait en publiant L’Ontario français, quatre siècles d’histoire (David, 2013). Mes quelque 200 pages de recherche détaillée ont été résumées ici en une quarantaine où cinq jeunes explorateurs aux origines diverses plongent dans le feu de l’action à travers
le temps et l’espace.
Liza, de Hearst, a une mère canadienne-française et un père portugais. Stevie,
de Windsor, a père irlandais et une mère canadienne-française. Micha, de Sudbury,
a un père africain et une mère antillaise. Sam, Ottawa, a des grands-parents vietnamiens. Évelyne, Welland, a des origines française et amérindienne. Félix,
de Chute-à-Blondeau, agit comme chef d’orchestre.
De la colonie de 1701 à Windsor jusqu’au Jeudi noir de 2018, en passant par le moulin à scie de Hawkesbury, les incendies dans
le Nord en 1911, 1916 et 1922, le Règlement 17 en 1912 et la crise scolaire de Penetanguishene en 1979, nos jeunes explorateurs font la rencontre des personnages fascinants qui leur viennent en aide non seulement pour revivre des pans d’histoire, mais également pour découvrir les valeurs précieuses qui unissent tous
les Franco-Ontariens et Franco-Ontariennes.
Les personnages incluent, entre autres, Champlain, Étienne Brûlé, La Salle, Jos Montferrand, Élisabeth Bruyère et les gardiennes de l’École Guigues. Il est question du drapeau franco-ontarien, bien entendu, de La Nuit sur l’étang, du Festival franco-ontarien, de la FESFO et de S.O.S. Montfort.
La mise en scène des jeunes explorateurs
et des personnages historiques regorge
de dynamisme grâce aux illustrations de Hicham Absa. On avance dans le temps
et l’espace avec une rare énergie, chaque explorateur y allant d’un fait ou d’une remarque propre à son identité.
À l’occasion, des astérisques renvoient à
des notes en bas de page pour éviter d’alourdir les bulles. Une coquille ou une erreur s’y glisse parfois. Exemple : Mgr Joseph Bruno Guigues est arrivé à Ottawa
à en 1948 (au lieu de 1848). Ou encore : Entre l’aube et le jour est le titre du premier roman de la trilogie Chroniques du Nouvel-Ontario d’Hélène Brodeur (alors que c’est
le second, après La Quête d’Alexandre).
La bande dessinée au service de notre histoire, voilà ce que vise et réussit Éclatemps !
Margex
25 juin 2022

Angélina Delacroix, L’Île des damnés, roman, Paris, Éditions Hugo Thriller, 2022, 448 pages, 29,95 $.
Agresseurs sexuels,
tueurs en série et criminels violents sont bienvenus
Imaginez une sorte de camp Guantanamo sans gardiens, avec
une vie libre à perpétuité mais effacée de toute réalité politique, sociale ou économique. Un no man’s land où il est impossible de se comporter comme dans la vie normale car tous les codes ont été inversés. C’est ce qu’a concocté Angélina Delacroix dans son roman intitulé L’Île des damnés.
L’action se déroule en France, où les prisons manquent de place pour recevoir de nouveaux criminels. Le gouvernement décide d’envoyer sur une île les pires agresseurs sexuels, tueurs en série ou criminels violents pour lesquels des experts ont diagnostiqué un niveau élevé de psychopathie. Les habitants de l’île des damnés sont là pour le restant de leurs jours puisqu’ils ont signé pour qu’on efface leur identité et tout ce qui est lié à leur présence en France.
Il n’y a pas de gardiens ; les habitants, hommes et femmes, circulent librement et développent leurs propres codes de vie ou de survie. Les moyens de communication sont inexistants et les criminels sont livrés
à eux-mêmes. « C’est l’orgie du crime
sur cette île, alors la menace est partout. » L’érotomanie y est à fleur de peau.
Une psycho-criminologue venue sur l’île sous couverture pour mener une étude et un agent chargé de la protéger ne donnent plus signe de vie. Pour espérer les sauver, l’adjudante Morel et le gendarme Hoche doivent à leur tour intégrer cette communauté infernale en se faisant passer pour des détenus en vue de retrouver
la psycho-criminologue et son agent pour les ramener en terrain normal.
La romancière Angélina Delcroix est formée à la criminologie et à la psychothérapie.
Elle crée des personnages hors de l’ordinaire, dont un prisonnier accusé
de cannibalisme sexuel. La stimulation sexuelle et le sentiment d’euphorie de
ce dernier sont proportionnels à
sa consommation de chair humaine.
« La douleur de ses victimes est un ingrédient essentiel à sa gratification. »
Sur l’île, l’adjudant Morel croise des hommes au « regard bombé de sadisme, débordant d’un plaisir malsain ». Elle garnit son panier garni d’émotions dérangeantes. Chaque soir, des chasses à l’homme sanguinaires s’organisent. Morel doit tirer son épingle d’un jeu où les acteurs sont des malades pervers, des hommes sadiques et
des détraqués sexuels.
L’envoi d’agent incognitos sur l’île fait partie d’une cellule spéciale du gouvernement,
où le secret devient un mode de vie.
On suit aussi deux autres agents qui ignorent le sort de leurs collègues présumément au repos ou en congé sabbatique. Ces agents en Seine-et-Marne
se demandent à quoi ils servent.
« À quoi bon se faire chier à arrêter
des criminels ? […] C’est quoi ce pays où
on libère des mecs comme ça, malades dans leur tête, qui ont déjà récidiver et que
les psys jugent dangereux. Il leur faut combien de victimes pour comprendre que ces mecs-là n’ont rien à faire dehors ? »
La lecture de L’Île des damnés est troublante. Plus c’est gore, plus un personnage prend son pied. Nous avons beau se dire que c’est de la fiction,
mais force est d’imaginer que la réalité
ne se situe pas très loin. Le danger est partout. Comme les agents incognitos,
nous ne devons jamais baisser la garde.
17 juin 2022

Nita Prose, La Femme de chambre, roman traduit de l’anglais par Estelle Roudet, Paris, Éditions Calmann-Lévy, 2022, 432 pages, 24,95 $.
Intrigue en nuances
et sous-entendus
« La discrétion est ma devise !
Un service invisible, c’est mon objectif. » Ainsi s’exprime
la narratrice et protagoniste
du roman La Femme de chambre
de Nita Rose. Le jeune Molly, comme dans Molly Maid, est payée pour se taire et redonner aux chambres leur perfection initiale. Or, l’hôtel cinq étoiles cache bien des secrets et
il s’y passe des choses infâmes.
Avec un nom comme Regency Grand, l’endroit affiche luxe et splendeur. Molly
est une jeune femme de chambre naïve qui n’a aucune idée à quel point les actes peuvent être violents dans le monde réel. Elle a été élevée par sa grand-mère et
ne sait jamais ce qui peut l’attendre au tournant, « que ce soit un homme mort
ou votre prochain rendez-vous galant ».
L’action du roman se déroule presque entièrement en cinq jours; le lieu demeure inconnu, pas d’indices sur la ville ou le pays. La référence à Molly Maid peut laisser croire qu’il s’agit du Canada, où l’entreprise
a été créée en 1979, ou des États-Unis. L’autrice est canadienne.
Un jour, la femme de chambre découvre
le richissime monsieur Black mort dans son lit. Mêlée malgré elle à cette étrange affaire de meurtre, Molly va mener sa propre enquête, aidée de quelques précieux collègues et amis.
L’architecture du roman est plutôt compliquée. Nombreux sont les retours en arrière dans la vie monotone de Molly.
Sa grand-mère est décédée depuis plusieurs mois, mais ses pensées inondent celles de Molly. Et il faut plus de 150 pages entre la découverte du cadavre et le début de l’enquête par la police.
Molly est utilisée comme un pion dans
le meurtre de M. Black. En une journée, elle passe d’employée modèle, discrète, solitaire et zélée à personne difficile, distante, tordue et pire encore. Plein de souvenirs d’enfance refont surfaces, ce qui donne lieu à certaines longueurs.
Tel que mentionnée plus haut, les pensées de la grand-mère abondent. Voici quelques exemples de ces idées, principes ou maximes : « Les gens sont un mystère impossible à résoudre. Tout ira bien à la fin, et si tout ne vas pas bien, ce n’est pas la fin. Il n’y a rien que tu puisses faire si ce n’est de ton mieux Lève-toi, ma fille, et brille
de tous tes feux ! »
L’autrice Nita Prose est une éditrice basée
à Toronto et La Femme de chambre est
son premier roman. Elle excelle dans l’art
de décrire le coté psychologique de
ses personnages, un peu au compte-gouttes.
La Femme de chambre mêle subtilement intrigue criminelle et romantique. Tout est en nuances et sous-entendus. On a l’impression que la romancière nous tend des pièges pour nous garder en alerte.

Miranda James, Le chat du bibliothécaire, tome 1, Succès mortel, roman traduit de l’anglais
par Guillaume Le Pennec, Éditions Flammarion Québec, 2022, 320 pages, 26,95 $.
Un chat à l’allure
de Sherlock Holmes
Sous le nom de plume Miranda James se cache un homme, Dean James,
qui a été bibliothécaire et qui a publié une série de roman policiers intitulée Le chat du bibliothécaire. Le premier tome, Succès mortel, met en scène
un bibliothécaire-archiviste et son chat main coon appelé Diesel. Ils mènent ensemble leur enquête sur la mort d’un célèbre écrivain.
Charlie Harris travaille à la bibliothèque d’une petite université à Athena, dans le Mississippi. Le romancier à succès Godfrey Priest se présente pour indiquer qu’il souhaite faire don de ses archives à sa ville natale. Le lendemain, l’archiviste trouve l’auteur assassiné dans sa chambre d’hôtel.
Justin, un étudiant de 18 ans, loge chez Harris
et la veille de sa mort, Godfrey lui apprend qu’il est son père biologique. Le bibliothécaire-archiviste a beau vouloir ne pas s’immiscer dans la vie des autres, il se retrouve mêlé à une situation compliquée. « Quel foutoir ! »
Godfrey tapait sur les nerfs de beaucoup de gens, mais qui le haïssait au point de le tuer ? C’est une chose de lire un drame dans
un roman comme ceux de Godfrey, « c’en est une autre lorsque ça t’arrive bel et bien ».
L’enquêtrice est une Noire et peu d’habitants d’Athena sont prêts à imaginer une femme
de couleur dans un rôle d’autorité comme celui du shérif. Peu de gens sont également habitués à voir un étrange chat en laisse partout où
son maître se présente : travail, poste de police, église, etc.
Le maine coon Diesel a le don de ressentir
les états d’âme des gens qui le croisent. Et il semble comprendre ce que son maître lui dit. « Ça me faisait même un peu peur, parfois. »
Au fur et à mesure que l’intrigue progresse,
des squelettes sortent du placard. Nous découvrons comment une jalousie peut devenir meurtrière « par des années de déception et de ressentiment ».
Miranda James aime multiplier les suspects
et brouiller les cartes. Plusieurs chapitres se terminent par la réponse à une question et nous lance dès lors sur une nouvelle piste à explorer. La shérif n’apprécie pas, bien entendu, qu’un bibliothécaire-archiviste et son compagnon à quatre pattes entreprennent incognito leurs propres recherches.
Succès mortel est le premier tome de la série du Chat du bibliothécaire à paraître en français, Dès leur sortie en anglais, les trois tomes ont figuré sur la liste des best-sellers du New York Times.
28 mai 2022
