Voici quelques coups de coeur au fil des derniers douze mois :

Daniel Soulié, Louvre olympique, essai illustré par Marjolaine Leray, Éditions Courtes et longues et Musée du Louvre Éditions, 2024, 60 pages, 29,95 $.
Les Jeux olympiques sont l’héritier de concours antiques organisés à Olympie en l’honneur du dieu grec Zeus. Plusieurs œuvres d’art en témoignent au Musée du Louvre, ce qui a poussé Daniel Soulié
à publier Louvre olympique.
Il nous apprend d’abord que les premiers concours ont eu lieu
en 776 (toutes les dates sont avant notre ère) et que les épreuves sportives ne constituaient qu’un aspect du programme puisqu’on
y pratiquait aussi des joutes poétiques, musicales et d’éloquence.
À partir de la quinzième olympiade, en 720, la nudité s’impose
dans les compétitions sportives. Les femmes sont exclues de tous
les concours.
Au Louvre, on peut admirer un relief architectural de marbre représentant Héraclès et le taureau de Crète, datant de 460. Fils de Zeus et d’une mortelle, il est vainqueur de douze épreuves et
« devient en quelque sorte l’initiateur et le protecteur des concours et des célébrations en l’honneur du roi des dieux ».
Pendant les treize premières olympiades, la course est la seule épreuve sportive. Il faut attendre 708 pour qu’apparaisse
le pentathlon qui rassemble la course, le lancer du disque, celui
du javelot, le saut en longueur et la lutte.
Un siècle plus tard, on ajoute le pugilat et la course de quadrige (char tiré par quatre chevaux). Un vase en céramique datant de 390 montre le couronnement d’un aurige ou conducteur de char. Un aurige peut porter un long manteau (la xystis), contrairement aux gymnastes qui sont nus.
Lors des courses de chars, la récompense va au propriétaire de l’attelage et pas à l’aurige. « C’est la seule discipline olympique qu’une femme peut gagner si elle possède des chevaux… » On peut admirer un vase orné d’un défilé d’auriges et datant de 510-500.
Les récompenses sont remises le dernier jour des épreuves. Il n’y a pas de podium sur lequel les meilleurs concurrents sont invités à monter. Seul le gagnant est célébré. Pas de deuxième ni de troisième place, seule la victoire compte. On peut voir une assiette de céramique (520-510) montrant un athlète nu récompensé et couronné.
Une couronne végétale et un ruban de tissu sont remis, « pas de récompense en monnaie sonnante et trébuchante ». La notion de records n’existe pas; on ne note point la durée et les positions autres que celles du vainqueur.
La célébrité associée à l’exploit fait du vainqueur une personnalité très en vue. Il bénéficie d’une grande notoriété et d’avantages notables comme l’exemption d’impôts et la nourriture à vie.
Certains vainqueurs se voient offrir une amphore contenant
de l’huile des oliveraies, qu’ils peuvent revendre à prix d’or.
Louvre olympique est un petit livre (60 pages) qui montre
comment la Grèce antique a inspiré nos Jeux olympiques. 
Il s’agit d’une plongée formidable dans le monde des sports et
les collections des Antiquités grecques au Musée du Louvre.
Colleen Cambridge, Petits meurtres chez Agatha, roman, France, City Éditions, 2023, 320 pages, 31,95 $.
Dès le premier jour des festivités dans la somptueuse résidence d’Agatha Christie, un homme est retrouvé assassiné dans la biblio-thèque. Ainsi commence Petits meurtres chez Agatha, de Colleen Cambridge. Comme l’enquête de Scotland Yard piétine, c'est
la gouvernante de la célèbre romancière qui prend les choses
en main.
À l’exception d’Agatha Christie et de son mari Max Mallowan, tous deux discrets dans ce polar, le lieu, le personnel et les meurtres relatés sont purement fictifs. Née Agatha Miller en 1890, la créatrice d’Hercule Poirot a épousé Archibald Christie en 1914; deux ans après la mort de ce dernier, Max Mallowan est devenu son second mari. Agatha Christie est décédée en 1976.
La gouvernante et principale protagoniste se nomme Phyllida Bright, Elle est fort intelligente (bright) et ce qu’elle dit est « parole d’évangile ». Bien qu’il n’y ait pas assez de temps dans une journée pour administrer une maison et pour élucider un meurtre, Phyllida est capable d’un tel exploit. Elle ne se laisse jamais dominer par
ses émotions.
Colleen Cambridge écrit que, « à en en croire ce bon vieux Sherlock Holmes – que Phyllida trouvait nettement moins intéressant que le fringuant Poirot –, les coïncidences n’existaient pas quand on enquêtait sur un crime. » Il n’y a pas d’obstacle pour une gouvernante qui sait fouiner, au point d’inquiéter sérieusement
le ou la coupable.
Rendu à la page 139, il n’y a toujours pas de suspect, ni personne ayant un mobile. « Tout allait à vau-l’eau à Mallowan Hall. »
Et voilà qu’un second meurtre survient sur les lieux de ce manoir dans la charmante petite bourgade de province, loin de Londres.
L’intrigue se corse lorsque Phyllida découvre des photos montrant « deux hommes en train de faire hum-hum […] de se tripoter ».
Ce n’est pas le genre de chose qu’une femme de ménage aime voir durant son quart de travail. Aux yeux de Phyllida, lorsque deux adultes consentants se livrent à des échanges intimes, cela ne regarde qu’eux.
Ici et là, l’auteure glisse des références à Hercule Poirot et à Miss Marple, personnages emblématiques des romans policiers d’Agatha Christie. Lorsqu’elle note que les échanges et les relations entre
les différents protagonistes permettent de faire la lumière sur
la psychologie des uns et des autres, elle précise qu’il s’agit là « d’un exercice dans lequel Poirot et Miss Marple excellaient ».
L’inspecteur de Scotland Yard et le sergent de l’endroit pataugent lamentablement. C’est la gouvernante qui leur fournit tous les indices pour faire avancer l’enquête. « Je n’ai eu d’autre choix que de me rendre à l’évidence, et de faire en sorte de résoudre au plus vite cette affaire. »
Le style est coloré. Ainsi, la cuisinière manie le hachoir « avec la détermination d’un bourreau qui coupe des têtes ». Une personne hurle « comme une harengère » et un autre beugle « comme une corne de brume ». Quant à la tignasse rebelle d’un personnage,
elle s’accorde bien « avec son tempérament d’ours mal léché ».
Colleen Cambridge a publié une trentaine de livres dans des genres différents. Elle est une historienne accomplie dont les ouvrages séduisent autant les amateurs de fiction historique que de romans policiers.
Robert Major, Identité, appartenances, Un parcours franco-ontarien, essai, Ottawa, Les Presses de l’Université d’Ottawa, 2023, 130 pages, 21,95 $.
Franco-Ontarien de naissance, Québécois d’élection, Robert Major
a toujours travaillé à Ottawa. Il partage son cheminement dans Identité, appartenances, un essai que j’ai pleinement savouré parce qu’il faisait souvent écho à mon propre parcours.
Dès les premières pages, l’auteur souligne que toute vie humaine contient des pépites ou des filons, « d’où notre intérêt pour
le récit de vie ». À la fin de l’ouvrage, il précise que son essai est mi-autobiogra-phie, mi-mémoriel, mi-historique et mi-réflexif. Cela fait plusieurs demis et rend le texte d’autant plus percutant.
Originaire de New Liskeard, sur les bords du lac Témiscamingue, Robert Major est né le 22 mars 1946. Il a grandi, comme moi, avec Gene Autry, Hopalong Cassidy, Roy Rogers, Laurel and Hardy, Three Stooges et Perry Como.
Son premier lieu d’appartenance demeure néanmoins l’Ontario français, « à son corps défendant ». C’est à l’âge de 16 ans qu’il découvre vraiment sa fibre identitaire en participant au célèbre Concours de français et en devenant le lauréat provincial au niveau secondaire en 1962.
Au sujet de cette compétition, LE concours par excellence, il écrit qu’on fêtait « la survie et la vitalité de langue française, sa vigueur sans cesse renouvelée, gage d’une pérennité problématique mais ardemment souhaitée ».  
Comme lauréat, Robert Major reçoit une bourse pour quatre années de cours classique au Petit Séminaire d’Ottawa. Il se dirige ensuite vers l’Université d’Ottawa et y passe quarante-cinq ans, d’abord comme étudiant aux études supérieures, puis comme professeur
et gestionnaire.
À ses yeux et avec un brin de nostalgie, le cours classique était un univers de lectures, de réflexions et d’émulation d’une grande intensité, C’était une formation générale pour une « tête bien faite ».
L’auteur et moi avons fréquenté la Faculté des arts de l’Université d’Ottawa à la même époque, lorsque le père Joseph-Marie
Quirion était doyen, lorsque le père Roger Guindon était recteur. L’institution se voulait alors « francophone sans ambiguïté aucune ». On n’y enseignait cependant pas encore la littérature québécoise, encore moins la littérature ontaroise.
Produit et cadre de l’Université d’Ottawa, Major en fait l’éloge,
bien entendu. Il ouvre une longue parenthèse au sujet de l’Université de l’Ontario français (UOF), qui ne lui « semble aucunement répondre aux besoins de la collectivité et dont
les chances de succès sont pour le moins douteuses ».
Il estime que l’UOF demeure « une université bancale, créée de toutes pièces, sans orientation précise et dans le scepticisme le plus total des observateurs, sauf pour un petit groupe d’idéologues ».
Il va même jusqu’à parler d’un « château en Espagne » qui attire présentement qu’un petit nombre d’étudiants étrangers et quasi aucun élève franco-ontarien. « Ce château inhabité risque de devenir coquille vide ou ruine, à courte échéance ».
La conclusion de ce court essai de 130 pages souligne comment
on assiste désormais à un retour de la désignation de « Canada français ». Autrefois honni comme étendard ethnique, le concept
de Canada français est toujours là. « Il faudrait peut-être prendre acte de son potentiel si on veut sortir de la déprime nationaliste actuelle et du découragement occasionné par chaque nouveau recensement de Statistique Canada. »
Je signale, en terminant, que cet essai est truffé de nombreuses références à des écrivains de diverses époques. Cela va de Montaigne à Lionel Groulx, en passant par Laurence Sterne
(18e siècle), François-Xavier Prieur et Tocqueville (19e siècle),
Jean Genet, Gérald Godin, Antoine Gérin-Lajoie, Gérard Bessette,
Paul Chamberland, Cornelius Jaenen et Roger Bernard, entre autres.
Yan Le Mau, La Dernière touche, roman, Vincennes, Éditions Talents Hauts, coll. Ego, 2023, 80 pages, 16,95 $.
Le premier roman de Yan Le Mau, La Dernière touche, raconte le parcours d’un adolescent qui découvre l’escrime et un entraîneur qui le fait exceller dans cette discipline, un coach qui le maintient sous son emprise… jusqu’au viol.
La collection Ego des Éditions Talents Hauts publie de courts romans pour ados, avec des mots qui leur parlent. La Dernière touche commence par un avertissement : « Ce roman aborde
le thème de la pédocriminalité et contient des scènes violentes. »
Fini le foot. Maximilien n’a qu’une obsession, qu’une passion : l’escrime. Son entraîneur Benoît est vice-champion de France. Maximilien, lui, rêve de devenir champion de plein titre. « Si tu veux gagner, tu devras m’écouter. D’accord, Maximilien ? »
La confiance envers Benoît est au-dessus de tout soupçon. On lui donnerait le Bon Dieu sans confession ! Les parents lui confient leur ado. Ils ne devinent pas la suffisance et les saloperies de l’entraîneur « trop respecté pour être suspecté ».
Maximilien devient l’œuvre exclusive de Benoît. « Plus personne n’avait accès à moi en dehors de toi. Un ami, un frère, un père, tu étais tout ça à la fois. » Dès lors, tout est permis. Ça commence doucement : des jeux, des chatouilles, des bagarres corps-à-corps. Juste tous les deux.
Une complicité naturelle s’installe. « Il fallait que tout paraisse naturel pour que tu puisses aller au bout. » Une simple caresse dans les cheveux, une accolade virile, une invitation sous la douche. « Tu me disais c’est normal, et moi je te croyais. »
Même si Maximilien pleure après ces attouchements, ces intimités, même s’il se sent sale, il revient toujours à son agresseur. « Je crois que j’avais accepté d’être ton jouet. » Maximilien en vient à croire que tout est de sa faute.
Yan Le Mau décrit avec brio le mécanisme de l’attachement et celui de l’emprise. Lorsque Benoît est traité de dangereux, Maximilien le défend : « Il n’est pas ce que tu dis, il est cool. Avec lui je progresse. Avec lui je suis bon. »
Le romancier décrit comment le coach a tout fait pour entrer dans la bulle de son protégé. Comment il a tout fait pour que tout paraisse normal, pour que l’ado ne hurle pas, se laisse faire,
ne le repousse pas.
Lorsque l’entraîneur propose des étirements sous la douche,
il précise que c’est mieux pour les muscles, pour le corps. Il dit que tous les grands sportifs le font. Maximilien laisse alors les mains
de Benoît courir sur sa peau : ses bras, ses jambes, son dos,
ses fesses, partout.
« Elles franchissent les barrières. Elles franchissent l’intime. Tu avais pris le temps. Alors, je n’ai rien dit. Je n’ai pas réagi. Je t’ai laissé faire. Je n’ai pas compris. Tu me répétais : Personne n’en parle. Mais tout
le monde le fait. Ne t’inquiète pas. » Et les saloperies recommencent, parfois plusieurs fois par semaine.
À la maison, le sexe est tabou, permis ou non., la sexualité demeure cachée. Maximilien ne sait même pas que les gestes de son coach sont des gestes sexuels puisque les saloperies sont accompagnées de câlins.
Quand Maximilien gagne chaque tournoi d’escrime, Benoît lui explique que c’est parce qu’il sait parler au corps de son protégé, qu’il sait comment le manipuler, qu’il sait faire ressortir sa force,
le sublimer.
Au lycée, Maximilien rencontre Louise, devient son petit ami.
Or, lorsque la main de Louise remonte sa nuque et passe dans
ses cheveux, Maximilien devient tétanisé, bloqué. Ce déclic lui donne le courage de dire non à Benoît, lui donne la force de décrocher une victoire intérieure.
Boucar Diouf, Ce qui la vie doit au rire, Montréal,
Les Éditions La Presse, 272 pages, 29,95 $.
Un an après Ce que la vie doit à la mort, voici que Boucar Diouf nous offre Ce que la vie doit au rire, un livre pour faire sourire, réfléchir et rire, parce que, comme le dit une sagesse populaire,
« le rire, c’est comme les essuie-glaces : ça n’arrête pas la pluie, mais ça permet d’avancer ! »
Pour le biologiste devenu humoriste, le rire est une façon de se protéger contre les violences du monde. « Un bon éclat de rire est comme un ventilateur qui permet de chasser les énergies négatives. Il fait partie des briques de construction de cet édifice bien plus complexe que nous appelons le bonheur. »
Le sarcasme, l’ironie, l’autodérision, l’humour noir ou absurde demeurent autant de source du rire humain. Mais comme la nature a voulu que nous soyons très diversifiés jusque dans nos goûts,
ce qui fait rire les uns peut laisser les autres de glace. À chacun
son type d’humour.
Diouf souligne que l’humour fait tomber les barrières et favorise l’émergence d’une identité commune « qui outrepasse parfois
les limites de la couleur, de la race, de la religion et du compte en banque ». L’onde de rigolade permet de passer des messages qui, autrement, auraient été plus délicats à transmettre.
« Le comique de scène parle de ses problèmes à demi-mot et,
de l’autre côté, le spectateur se reconnaît dans son histoire.
Les spectateurs sortent de la salle convaincus d’avoir participé à
une thérapie qui a bien tourné et rentrent chez eux en se disant que la vie n’est pas aussi sérieuse qu’on veut nous le faire croire. »
La parlure québécoise a souvent fait rire Boucar Diouf. On n’a qu’à penser aux pets-de-sœur, aux crottes de fromages et au grand-père dans le sirop d’érable. Et que dire de cette remarque entendue dans un bar : « Check pas les foufounes de ma pitoune. A fait
sa poupoune, mais elle est pas guidoune. »
Ou encore : « Ché pas youskalé. Pis a m’a pas dit youskava. »
Ça pourrait bien être de l’arabe, du russe ou de l’ukrainien.
La première fois que la blonde de Boucar l’a invité à souper, elle lui a dit que ce serait un plat typiquement québécois. « Ça s’appelle du pâté chinois et c’est fait avec du blé d’Inde. » Il s’est demandé si elle était nulle en cuisine ou vraiment poche en géographie.
Au sujet de ce mets, Diouf trouve la recette on ne peut plus discriminatoire : « le blanc trône en haut, le jaune est au milieu et
le brun se trouve en bas. Le ketchup, qui est rouge, on le met en réserve, à côté. »
On n’a qu’à se comparer pour se mettre à rigoler. À preuve quelques expressions et proverbes québécois avec leurs équivalents africains. Donne à manger à un cochon, au Québec, et il viendra chier sur ton perron. Si l’arbre savait ce que lui réserve la hache africaine, il ne lui aurait pas fourni le manche. Au Québec, on dit « dans le temps comme dans le temps »; en Afrique, « on ne peut pas courir et se gratter les fesses en même temps ».
Une des blagues que l’humoriste aime intégrer dans ses spectacles est la suivante : « Le Québec d’aujourd’hui est si ouvert qu’on y souligne pendant un mois l’histoire des Noirs. Le hic, c’est qu’on a choisi le mois de février : le plus court, le plus frette et
le plus blanc de l’année. »
Carole Boston Weatherford, Il était une fois… un massacre raciste, album illustré par Floyd Cooper, traduction-adaptation par Gaël Renan, France, Éditions Le Genévrier, 2023, 40 pages, 33,95 $.
Quelque 300 Noirs américains tués, plus de 800 admis à l’hôpital,
6 000 arrêtés et détenus, plus de 10 00 sans-abri, tel est le bilan du massacre de Tulsa (Oklahoma) entre le 30 mai et le 1er juin 1921. Carole Boston Weatherford le raconte dans Il était une fois…
un massacre raciste
, album illustré par Floyd Cooper
et destiné aux 8-12 ans.
Aucune enquête officielle ne fut instruite durant les soixante-quinze ans qui suivirent cette tragique flambée de violence raciale. Weatherford répare cette injustice par le biais d’un conte qui demeure, hélas, d’une vérité très cruelle.
Au début des années 1900, une importante communauté afro-américaine prospère dans la ville de Tulsa, en Oklahoma.
Le quartier de Greenwood a son propre système scolaire,
ses bibliothèques, ses églises, ses commerces, son bureau de poste, ses restaurants et ses cinémas.
Mais tout cela change en l’espace de deux terribles, indicibles journées. Les 31 mai et 1er juin 1921, une foule de Blancs armés attaque le de quartier Greenwood. Les émeutiers mettent à sac immeubles et commerces, et les font brûler, sans que
la police intervienne.
Les dommages matériels s’élèvent à plus de 1,5 million de dollars
en biens immobiliers et à 750 000 dollars en biens personnels (respectivement 21 501 000 $ et 10 750 000 $ en dollars courants).
Carole Boston Weatherford écrit que 75 ans se sont passés « avant que des parlementaires ne lancent une enquête pour révéler
la douloureuse vérité sur la pire attaque raciale qu’aient connue
les États-Unis : la police et les élus s’étaient faits les complices
de Blancs pour détruire la communauté noire la plus prospère
du pays. »
Cet album a été couronné de la Caldecott Medal. Décernée chaque année depuis 1938 par l’Association des bibliothécaires américains pour la jeunesse, la Caldecott Medal honore l’artiste qui a créé l’album pour enfants le plus remarquable.
En 1996, l’État d’Oklahoma a lancé une commission d’enquête sur l’émeute raciale de Tulsa. En 2001, une coalition fut créée pour obtenir réparation des dommages subis par la communauté afro-américaine de Tulsa.
La même année, l’État d’Oklahoma a adopté une loi intitulée Tulsa Riot Reconciliation Act. Des bourses d’études supérieures ont été accordées à des descendants des résidents du quartier de Greenwood. Un Parc réconciliateur a été inauguré en 2010.
L’émeute de Tulsa est dépeinte dans une des premières scènes du premier épisode de la série télévisée américaine de super-héros Watchmen, ainsi que dans l’épisode 9 de la série dramatique horrifique Lovercraft Country.
Guillaume Musso, Angélique, roman, Paris, Éditions Calmann-Lévy, 2022, 320 pages, 32,95 $.
Guillaume Musso est l’auteur le plus lu en France depuis onze ans. Il est traduit en quarante-cinq langues. Son vingtième roman, Angélique, ausculte la complexité des méandres de l’âme humaine.
L’action se déroule d’abord à Paris. Après un accident cardiaque, Mathias Taillefer se réveille dans une chambre d’hôpital. Une jeune fille inconnue se tient à son chevet, une bénévole jouant du violoncelle. Lorsqu’elle apprend que le patient est flic, elle lui demande de reprendre l’enquête sur la mort de sa mère.
Mathias Taillefer est habitué à prendre les coups de poing, les coups de couteau, les projectiles et les balles. L’enquête qu’il accepte de mener s’avèrera être la traversée d’un labyrinthe dont la seule issue pourrait être sa propre mort.
Pour Musso, l’action ou l’intrigue demeure un moyen de plonger dans l’intérieur de ses personnages. À travers ce roman, tout comme dans les précédents, l’auteur fait appel à l’intelligence en utilisant l’émotion. La vérité d’un chapitre n’est jamais celle du suivant.
Les certitudes d’une page ne sont jamais celles de la suivante. 
Le personnage d’Angélique est un bel exemple. Il est difficile de lui coller une étiquette. Femme insaisissable, elle est « capable d’enfiler plusieurs identités. Changeante, caméléon Dangereuse, peut-être… » Son cerveau aime aussi bien les dangers et les périls que les états de guerre.
Le plaisir que prend Musso à décrire chaque ambiance et chaque atmosphère s’étend aussi aux visages de chacun des personnages. En quelques mots, sa plume devient un miroir : « le crâne rasé,
un œil de verre enfoncé dans l’orbite, des sourcils d’albinos ». 
Ou encore : « coupe en brosse, regard bovin, grosses joues couperosées »; « visage ovale encadré de longs cheveux blonds
et lisses, fossette sur le menton, pull à col Claudine »; « un visage émacié, un regard charbonneux qui vous transperçait ».
Dans une entrevue pour promouvoir son nouveau roman, l’auteur précise que « l’action est toujours abordée à travers l’intériorité
des personnages. Mon style s’efforce de suivre mon personnage
et de coller à sa pensée. »
À première vue, on peut qualifier Angélique d’enquête policière, mais il s’agit en réalité beaucoup plus d’une enquête que
les personnages mènent sur eux-mêmes, « un voyage intérieur
à travers leurs souvenirs et leurs secrets ».
Né à Antibes en 1974, Guillaume Musso découvre très jeune
une passion pour la littérature, consacrant tout son temps libre à dévorer des livres dans la bibliothèque municipale où travaille
sa mère. C’est grâce à un concours de nouvelles proposé par
son professeur de français qu’il découvre le bonheur
de l’écriture. À compter de ce jour, et jusqu’à aujourd’hui,
il ne cessera plus de noircir des carnets. 
En 2021, Musso a été le premier écrivain français à recevoir
le prestigieux prix Raymond-Chandler, qui récompense
les maîtres du suspense à travers le monde.
Voici comment certains médias ont reconnu son talent : « Le maître français du suspense » (The New York Times); « Un romancier hors norme » (France Info); « Le Roi du noir européen » (La Republica, Italie); « Un phénomène » (El Mundo, Espagne).
Michel Tremblay, Douze coups de théâtre, récits, Montréal, Leméac Éditeur, 1992, 24,95 $.
Une de mes lectures estivales est un retour trente ans passés.
Avec Douze coups de théâtre, paru en 1992, Michel Tremblay
nous offre des instants de théâtralité familiale et personnelle,
des moments d’intimité où des personnages témoignent de leur réalité de vivre, dans les années cinquante, sur le Plateau Mont-Royal.
À 14 ans, Michel Tremblay voit la pièce La Tour Eiffel qui tue de Guillaume Hannoteau, mise en scène par Paul Buissonneau.
Ce premier contact avec le théâtre est un choc : « Ce qui se passait ce soir-là sur la scène allait devenir, je le sentais bien, le but de
ma vie ! » Il a de la difficulté à supporter le monde dans lequel
il évolue, il veut faire partie de l’univers théâtral.
Sa mère ne veut pas voir son fils devenir un artiste. « C’est toutes des hobos, des bohèmes pis des fifis, pis j’veux pas que tu deviennes comme ça ! » Il est trop tard, Michel est déjà artiste et homosexuel.
Après avoir vu Le Temps des lilas de Marcel Dubé, un seul désir l’habite, celui de décrire lui aussi les démons qui l’habitent.
« Et l’impression d’avoir enfin le droit d’appartenir, malgré
mes origines, malgré mon odeur, à quelque chose de grand. »
En 1957, Tremblay regarde Un simple soldat de Dubé en téléthéâtre. Il est muet d’admiration et de jalousie. C’est exactement cela qu’il veut faire : « décrire les autres, tout ce qui m’entoure, en faire du théâtre ou des romans ».
À 16 ans, le jeune Tremblay suit un homme beaucoup plus âgé qui l’invite chez lui pour ce qui devient plus qu’une partie de jambes en l’air. Ce mélomane lui fait connaître Tristan et Isolde de Richard Wagner. À travers la musique, il aperçoit l’âme des personnages : « j’en avais un peu peur mais j’étais surtout attiré ». 
Tremblay raconte la seule fois qu’il a vu une partie de hockey. C’était au Forum de Montréal avec son père et il aurait voulu être n’importe où – messe, confesse, retraite fermée – plutôt que là.
Ce passage m’a rappelé la fois que papa m’a amené à Détroit pour voir les Canadiens disputer un match contre les Red Wings; j’avais le même sentiment.
Lorsque Tremblay voit L’Opéra de quat’sous de Brecht et Weill, Monique Leyrac chante La Fiancée du pirate et ce sont « les trois minutes les plus intenses de toute ma vie de dévoreur de culture ». À 22 ans, il est convaincu de ne plus jamais pouvoir revivre
un moment comme celui-là, un « grand frisson de joie, proche parent du frisson d’horreur ».
En 1964, la pièce Le Train permet à Michel Tremblay de remporter le premier prix du Concours des jeunes auteurs de Radio-Canada. C’est la preuve, écrit-il, « qu’on pouvait très bien avoir le droit de noircir des feuilles de papier sans être passé par les collèges ou
les universités ».
Peu de temps après, Tremblay (22 ans) rencontre André Brassard (18 ans), un jeune metteur en scène en herbe. Ils deviennent chacun le Pygmalion de l’autre, mais cela est un autre livre.
Monique Polak, Vois tout ce qu’il te reste, roman traduit de l’anglais par Rachel Martinez, Québec, Éditions
du Septentrion, 2022, 260 pages, 24,95 $.
« Je ne suis pas préparée à voir à quel point la vérité est horrible. » Ainsi s’exprime l’adolescente Anneke dans Vois tout ce qu’il te reste, œuvre de fiction que signe Monique Polak en s’inspirant de faits réels. La réalité est un camp allemand pour les prisonniers Juifs.
Au nord de Prague se trouve Terezin, une ville que les Allemands ont appelée Theresienstadt durant la Seconde Guerre mondiale.
Elle pouvait accueillir 7 000 soldats, mais pendant l’Holocauste,
40 000 Juifs y ont été parqués, jusqu’à quatre prisonniers au mètre carré.
Celien Polak, 14 ans, a passé un peu plus de deux ans (1943-1945)
à Theresienstadt avec ses parents et son jeune frère. Elle n’a raconté rien de sa vie d’enfer jusqu’à ce que sa fille, Monique Polak,
la convainque de partager ces deux années en 2007.
L’autrice a changé les noms. La famille que nous suivons s’appelle Van Raalte et est d’origine néerlandaise. La narratrice se nomme Anneke; c’est peut-être une allusion au Journal d’Anne Frank.
Elle se demande parfois où est allée l’ancienne Anneke et
si elle la reverra un jour. « J’en doute parfois. » 
L’étoile jaune cousue sur les vêtements est conçue pour humilier les prisonniers, mais un rabbin explique que c’est un signe.
Elles illuminent l’obscurité, « un signe que nous ne devons jamais abandonner ».
Le sommeil est le seul moyen d’évasion pour les prisonniers…
s’ils sont assez chanceux pour dormir. Leurs lits sont infectés de poux et de punaises, de soldats qui attaquent sans relâche.
« On ne la gagnera jamais, cette guerre-là. »
Un prisonnier artiste, Petr Kien, fait le portrait d’Anneke : visage pâle et amaigri, menton pointu, joues creuses, cheveux gras, cernes sous les yeux. Les nazis lui ont dérobé sa beauté. Les prisonniers sont
des moins que rien.
La Croix-Rouge du Danemark doit visiter Theresienstadt que
les Allemands vantent comme « ville modèle ». On procède
dès lors à un embellissement qui est une pure mascarade,
« une mise en scène aussi diabolique que tordue ». Le père d’Anneke doit peindre des fresques d’une fausse beauté.
Le programme d’embellissement permet aux prisonniers de gagner ce dont ils ont le plus besoins : du temps.
Lorsque Anneke apprend que des enfants sont éliminés dans
des camps de la mort, elle réagit instantanément : « Éliminés,
c’est un mot qu’on utilise pour parler des déchets, pas des êtres humains. Pas des enfants. » Et les vieux ressemblent davantage
à des cadavres qu’à des êtres humains.
Dans le camp de Theresienstadt, avoir de la chance est une épreuve en soi. Ceux qui survivent au malheur fatal doivent être témoins
du départ des autres, de ceux qui sont envoyés vers des camps de la mort. Certains ont l’impression de préférer être mort plutôt que devoir être témoins de tout ce qu’ils voient.
Monique Polak a fait tous les efforts possibles pour être précise
sur le plan historique, mais elle a inventé́ de toutes pièces
les personnages principaux et leurs combats intérieurs. « La fiction est pour moi, autrice et lectrice, une façon de m’aider à̀ comprendre le monde et les gens qui y vivent. »
La romancière conclut en faisant dire à Anneke qu’elle n’arrivera jamais à oublier tout ce qu’elle a vu, a senti et a perdu à Theresienstadt. « Mais le monde est encore là. Ce sera à moi
de trouver sa beauté. »
Luc Martel, L’Étranger de l’Isle-aux-Grues, tome 1,
« Un amour interdit », roman, Montréal, Éditions Hurtubise, 2024, 360 pages, 26,95 $.
Une Canadienne tombe amoureuse d’un Allemand durant
la Seconde Guerre mondiale. Le sujet n’est pas original, mais son traitement est fait avec brio par Luc Martel qui signe le premier tome du roman L’Étranger de l’Isle-aux-Grues.
L’action se déroule en 1944-1945, tantôt sur une île peu connue du fleuve Saint-Laurent, tantôt dans la Vieille-Capitale. En tentant de chasser une oie ou une outarde, Eva Laflamme, 19 ans, découvre
un homme d’environ 20 ans, à moitié mort sur les rivages de l’Isle-aux-Grues.
La jeune femme lui porte secours sans savoir qu’il s’agit d’un sous-marinier allemand. Il s’appelle Frederick Bayer (comme l’aspirine) et parle couramment le français. Après seulement quelques jours,
il se crée une sorte de lien invisible entre Eva et Frederick. Ce lien se consolide à chaque heure passée ensemble.
Les enfants Laflamme sont orphelins. Les fils aînés sont au front.
Eva prend la tête de l’exploitation agricole, tout en s’assurant du maintien de la maison. Une fois mise au courant de l’origine allemande de Frederick, elle tait ce fait pour le moins troublant auprès des siens et des paroissiens.
Luc Martel « martèle » l’idée qu’une jeune femme doit protéger
sa réputation, doit respecter les convenances. Eva cache donc l’intensité de la relation qu’elle a développée avec Frederick.
Vous devinez que les convenances ne tardent pas à prendre le bord, les bisous affectueux se transformant en baisers passionnés.
Le récit coule rondement. Les nombreux rebondissements sont bien pensés, pas de digressions inutiles. La recherche historique demeure rigoureuse. L’auteur a même interviewé son beau-père de 93 ans sur la vie rurale dans les années 1940.
Un des rebondissements est le retour de Charles, frère aîné d’Eva, avec une jambe amputée. « C’est un sale boche qui m’a tiré dans
le genou. » Il a développé une haine viscérale envers les Allemands et réagit très mal lorsqu’il apprend ce que cache sa sœur Eva.
Il conduit la police militaire sur l’Isle-aux-Grues pour capturer l’Allemand.
Charles estime avoir fait son devoir de patriote en dénonçant Frederick. Eva rétorque qu’elle a fait son devoir de bonne chrétienne en lui sauvant la vie. Quant à l’amour, le romancier démontre suavement que ce sentiment ne connaît pas de frontières. 
Luc Martel excelle dans l’art de camper son histoire d’amour
dans un contexte politique qui lui permet de faire intervenir
des personnalités telles que le Premier Ministre Mackenzie King et
le ministre de la Défense Douglas C. Abbott, ainsi que
le lieutenant-colonel et député Hugues Lapointe.
On apprend qu’un camp sur les Plaines d’Abraham a hébergé
les prisonniers allemands. Frederick s’y trouve, bien entendu,
et Eva va remuer ciel et terre pour que son financé ne soit pas rapatrié au lendemain de la guerre. Les talents de violoniste
du prisonnier seront un atout précieux.
En brossant le portrait d’une femme déterminée et débrouillarde, l’auteur fait d’Eva un personnage féminin fort et inspirant.
Le gouvernement n’étant pas reconnu pour ses décisions rapides, Eva trouve moyen de lui forcer la main. Elle prend des initiatives complètement inattendues pour une jeune femme à cette
époque-là.
Mêlant habilement romance et faits historiques, Luc Martel signe ici un premier roman plein de rebondissements et d’émotions, campé d’abord dans le décor enchanteur de l’une des îles du Saint-Laurent, puis dans l’effervescente Vielle Capitale. Le tome 2 de L’Étranger de l’Isle-aux-Grues est prévu pour le printemps 2025.
Dana Blue, Desire, tome 3 de Kink Club, Paris, Harper Collins, 2024, 270 pages, 28,95 $.
Après les aventures de Devil et Terrence, puis de Demon et Cole, voici les turpitudes de Caspian et Ryan. Dana Blue clôt sa trilogie du Kink Club avec Desire, surnom d’un dominant doué de ses mains et de ses chaînes, qui s’éprend d’un soumis ingérable.
Ryan Beaumont est un rouquin qui a une belle gueule et un cul d’enfer. Ses yeux sont « deux pierres d’émeraude pétillantes de malice et rebelles ». Il rencontre Caspian Tyson, un colosse Noir avec « des muscles découpés au couteau » et un membre vraiment impressionnant. Entre ça et le poing, Ryan n’est plus sûr de rien. Chose certaine, c’est aussi effrayant qu’excitant.
Dans l’univers BDSM (bondage et discipline, domination et soumission, sadisme et masochisme), le soumis renonce à sa liberté et à ses droits en remettant son corps et son âme entre les mains
de son dominant protecteur. Ryan veut surtout donner à Desire « l’accès et le contrôle total de sa sexualité et de son intimité ».
Son seul objectif est de plaire à son Dom.
Autant Caspian est délicieusement cruel, autant Ryan est savoureusement arrogant. Desire est un dominant qui ne fait rien gratuitement; il est exigeant et prévient son soumis qu’il va en baver. Quant à Ryan, il est considéré comme un brat qui fait « souvent exprès d’attiser la colère de son Dom pour être puni,
car il trouve l’excitation dans la correction de son maître » qui l’appelle chaton.
Lié par un contrat, le dominant ne doit jamais aller à l’encontre d
u mot de sécurité d’un soumis. Dans le cas de Ryan, ce mot est « rouge » et Caspian l’ignore une fois, à regret. Le pardon est pénible et se réalise à un prix que Desire n’aurait jamais imaginé devoir payer : se mettre à genou, se faire traiter comme un soumis. Preuve, s’il en faut, que « c’est le soumis qui choisit son Dom
et jamais l’inverse ».
Tatouages, piercings et scarifications sont de la petite bière en comparaison au knife play, voire au branding que le roman décrit. Le fer rouge marque les bêtes, a jadis indiqué la possession
d’un esclave et va maintenant sceller la relation entre Caspian et Ryan. Ce dernier savoure la douleur parce qu’elle vient de son Dom. La cica-trisation ne sera pas juste physique, elle sera le signe le plus tangible de la réconciliation.
Desire renferme une brochette de scènes lubriques que plusieurs lecteurs trouveront sans doute barbares. L’intensité sexuelle
fait parfois l’objet de passages envoûtants. En voici un exemple : « Le souffle de Desire était haché, les muscles de ses cuisses tendus, ses pupilles dilatées et son visage en proie au désir. Les fourmille-ments de l’orgasme se répandaient dans son bas-ventre. Ryan aimait avoir cet effet sur son Dom. Lui et lui seul pouvait lui provoquer autant de plaisir. Personne ne lui arrivait à la cheville. »
C’est la première fois que je lis un roman où la chambre à coucher est tour à tour un lieu de tendresse insoupçonnée, de désirs dévastateurs, de pénétrations déchirantes, de tiraillements et d’engueulades acerbes, de rapprochement et de réconciliation durables.  
Marika Lhoumeau, Devenir Margot, Fragments d’un faux souvenir, récit, Montréal, Éditions Somme toute, 2024, 
120 pages, 19,95 $.
Relation père-fille, entraide d’une proche-aidante, soins de longue durée, démence, Alzheimer, autant de sujets qui sont abordés avec justesse dans le récit Devenir Margot de Marika Lhoumeau. Ce récit suit la tendance actuelle en création documentaire.
Entre 2019 et 2022, Marika Lhoumeau se rendait dans un centre hospitalier de soins de longue durée, où habitait désormais
son père Roger, nonagénaire atteint de démence mixte, un mélange d’Alzheimer et de démence vasculaire. L’auteure note l’origine latine « de-mens », c’est-à-dire privé d’esprit.
Un jour, le visage de Roger s’illumine dès que Marika entre dans
sa chambre. Pourquoi ? Parce qu’il reconnaît une certaine Margot, « ma première blonde quand j’étais petit gars ». Il oublie son statut de père et retombe en enfance.
Marika Lhoumeau devient Margot Fournier. Actrice de formation, elle ne se doute pas que son père vient de lui offrir le rôle qui changera sa vie. Avant, c’était papa et Marika, maintenant on passe
à Roger et Margot. Qui est cette Margot qui s’immisce entre Marika et son père?
Marika n’a pas auditionné pour le rôle de Margot, ne l’a pas convoité, désiré, répété. « Je dois, sinon le jouer, au moins l’accepter. »
Ce faisant, Margot voit comment le niveau émotionnel de Roger est comme un tsunami. Il y a des revirements spectaculaires, comme
un enfant qui passe des larmes au rire en un éclair.
Avec les personnes qui souffrent d’Alzheimer, il faut parfois leur mentir pour éviter de l’anxiété, pour adoucir leur réalité. Cela s’appelle un mensonge thérapeutique. En réalité, Marika a « l’impression d’avoir été un peu plus près de la vérité que du mensonge ».
On peut se demander si le cerveau de Roger a remplacé Marika
par Margot dans le but de pouvoir vivre la relation qu’il a toujours voulu avoir avec sa fille. Par cet étrange stratagème, Roger et Margot ne sont-ils pas en train de recréer « une relation père-fille idyllique » ?
Le fait de devenir Margot est une responsabilité que Marka prend très au sérieux. Avec ce rôle, elle devient la dernière dépositaire
de la mémoire de l’enfance de son père.   
Marika Lhoumeau livre une intéressante remarque. Elle note que
les bébés et les gens aînés sont tous deux fragiles et dépendants.
Or, nous traitons les premiers comme la prunelle de nos yeux, alors que nous abandonnons les seconds comme s’ils avaient déjà disparu.
Devenir Margot est un roman qui illustre avec brio comment notre société est mal préparée à faire face à la montée en flèche de l’Alzheimer. Nous y voyons seulement un chemin parsemé de stress, de désarroi et de douleur, alors qu’il s’agit aussi d’un parcours glané de beauté, de tendresse
et d’amour.
Didier Leclair, Le prince africain, le traducteur et le nazi, roman, Ottawa, Éditions David, coll. Voix narratives, 2024, 270 pages, 24,95 $.
Didier Kabagema a publié tous ces romans sous le pseudonyme Didier Leclair (patronyme de son épouse Holly). Son dixième ouvrage vient tout juste de paraître et porte le titre le plus long :
Le prince africain, le traducteur et le nazi. Il s’agit d’un roman d’espionnage.
Didier Leclair a dû avoir sous la main un plan détaillé du Paris des années 1940 et de ses arrondissements pour écrire son roman qui peint la Ville Lumière sous l’Occupation allemande. La recherche historique et toponymique est très réussie.
Il est fait mention d’une pléiade de rues, de nombreux endroits comme la gare du Nord, la Porte de Clignancourt, ou encore
de certains lieux légendaires comme l’Hôtel Ritz, le café Lapérouse et le cénacle du jazz Hot Club de France. Il glisse aussi le nom
de la maison close Sphinx et du cinéma Gaumont Palace (qui présente le film allemand L’Océan en feu).
Les références à l’armée allemande (Wehrmacht) sont détaillées.
Il est question, bien entendu, de la Gestapo et de la fameuse Schutzstaffel (SS), mais aussi de la police de sécurité allemande Sipo-DD. Il y a même une référence à l’Anschluss ou annexion de l’Autriche en 1938. Plusieurs scènes se déroulent à l’Hôtel Majestic, quartier général du haut commandant nazi en France (avenue Kléber à Paris).
Le titre du roman renvoie au prince Antonio Jose Henrique Dos Santos Mbwafu (du royaume Kongo dans l’Angola colonisé par
les Portugais), au traducteur et interprète de swahili Jean de Dieu (dandy svelte et élégant), ainsi qu’au major nazi Baumeister (tortionnaire colérique et homophobe au cœur froid, sans remords
ni empathie).
Aux yeux de ce dernier, les Noirs comme le prince et son traducteur représentent une race inférieure et doivent être traités comme des animaux. Baumeister ne se sent heureux que quand
il leur fait du mal. Comme tout bon nazi, il déteste le jazz,
cette musique de Noirs venus d’Amérique. La major admet à contrecœur que, dans le cas du prince Antonio et du traducteur Jean de Dieu, « la nature avait été généreuse sans logique apparente ».
Le major se réjouit lorsqu’il est en train de « se consacrer à
la comptabilité des morts aux mains de la Gestapo ». Paris étant remplie d’espions à la solde des nazis, cela l’aide « à canarder
des Juifs, fomenter des exécutions et torturer au nom du Troisième Reich ».
Même si l’Hôtel Majestic est qualifié d’enfer et que le major en est de diable en chef, cela n’empêche pas le romancier de camper Baumeister au ciel… dans les bras de prostituées. Des photos compromettantes du démon lubrique vont d’ailleurs donner
du piquant à l’intrigue.
Ce n’est pas un secret que Leclair raffole du jazz. Cette passion se reflète souvent dans le roman. La radio captée d’Angleterre joue Body and Soul, chanson enregistrée par le saxophoniste Coleman Hawkins en 1939. L’auteur glisse le nom de Lester Young, joueur
de saxophone ténor, et mentionne comment certains de
ses personnages fréquentent allègrement des clubs de jazz.
Côté style, le romancier est toujours coloré, voire raffiné. Il écrit,
par exemple, qu’une femme rêve « d’aimer un homme comme Michelle Morgan aime Jean Gabin dans Le Quai des brumes ».
Le prince africain, le traducteur et le nazi se lit comme un thriller où chaque protagoniste essaie d’être plus malin que l’ennemi.
Le lecteur a droit à de captivantes chasses à l’homme dans le Paris de 1941.
Dana Blue, Heartbeat, roman, Montréal, Éditions Glénat Québec, coll. Hugo Jeunesse, 2023, 318 pages, 19,95 $.
Avec un titre comme Heartbeat et deux garçons en page couverture, on devine que le roman de Dana Blue traite d’une relation homosexuelle. C’est beaucoup plus que ça; il est aussi question
du don d’organes.
« Ne t’attache pas, je vais sûrement mourir à la fin. » Voilà les mots qu’Elliot, un garçon atteint d’une grave maladie du cœur depuis l’enfance, lance à Rudy, un adolescent rebelle contraint de faire du bénévolat à l’hôpital pour éviter d’être expulsé de son école.
Rudy : 16 ans, cheveux teints en rouge, piercings, jean déchiré, mauvais dossier scolaire plus épais qu’un dictionnaire, turbulent, supportant difficilement les règles, prenant plutôt plaisir à les briser.
Il se cache derrière une sorte d’armure psychologique.
Elliot : 16 ans, détaché et humoristique, en attente d’une greffe du cœur. Dès qu’il voit Rudy, son cœur bat plus vite. Il voit le vrai Rudy sous son armure et s’acharne à le convaincre d’en sortir.
On devine une attirance sensuelle. On imagine aussi les deux garçons à poil.
La manière dont Elliot prononce le nom de Rudy fait remonter quelques frissons de long de l’échine de ce dernier. Lorsque Rudy sent le souffle d’Elliot caresser sa joue, ses lèvres si près des siennes, il se demande ce que ça serait d’embrasser un garçon.
Chose certaine, Rudy se considère comme un esprit libre. Il réfléchit peu à sa sexualité. Il n’est pas le genre à s’interroger sur le genre
ou le sexe de la personne qui ferait un jour battre son cœur. À vrai dire, l’ado a rarement parlé de filles ou d’amour.
Il y a bien eu quelques regards évocateurs de certaines étudiantes, « mais il n’avait pas montré suffisamment d’intérêt pour que ça aille plus loin ». Se peut-il que son intérêt homo le ravageât déjà à 15 ans…?
Rudy rougit en imaginant qu’Elliot pense peut-être la même chose que lui. La romancière prend plaisir à étirer la relation naissante entre les deux ados. Dana Blue décrie avec brio « la dure réalité d’un adolescent qui tente de survivre dans un monde incertain ».
Tout comme Elliot, Rudy est puceau. Il se sent maladroit en faisant descendre la fermeture éclair du pantalon de son partenaire.
Il craint tellement « de gâcher la première expérience ». Quelques mots l’encouragent : « Tant que je suis dans tes bras, je suis OK. »
Le roman ne s’attarde pas à décrire ce qui se passe au lit. On sait qu’un condom est utilisé et que Rudy ne pourrait jamais oublier l’intimité si particulière qu’il a partagée, « la sensation du corps d’Elliot contre le sien, la douceur de sa peau sous ses doigts ».
De longs passages décrivent comment il est facile de tomber amoureux, voire de sentir que le sentiment est réciproque… même
si les mots « je t’aime » ne sont jamais prononcés. Ce qui est plus important, c’est qu’Elliot a besoin d’un nouveau cœur. Le roman traite donc du don d’organes.
Elliot insiste pour que Rudy signe sa carte santé pour autoriser cette démarche.
Elliot Page, Pageboy, autoportrait traduit de l’anglais
par Marie Brazilier, Paris, Éditions Kero, 2023, 288 pages, 34,95 $.
La personnalité canadienne trans la plus connue est sans conteste Elliot Page, né Ellen Page en 1987 en Nouvelle-Écosse. Page a connu
une ascension fulgurante au sein de l’industrie du cinéma. Il raconte son parcours dans un autoportrait intitulé Pageboy.
Même si Page a été fille et lesbienne avant de devenir trans, tout l’autoportrait est écrit au masculin : « j’étais subjugué, envoûté ». C’est à titre d’Ellen Page qu’il a eu une nomination aux Oscars comme meilleure actrice dans la comédie dramatique Juno (2007).
Avec le succès de Juno, Page est fortement invité par les profes-sionnels du cinéma à cacher son identité queer. Sinon, « ça me desservirait, on me proposerait moins de rôles. C’était pour mon bien. Alors j’ai porté des robes, mis du maquillage. »
Page sait, cependant, que son succès repose sur sa capacité à ignorer sa différence et à renier son identité profonde. « Je taisais sans cesse la vérité de peur d’être banni, mais j’étais déprimé, piégé dans une mascarade lamentable. »
Dès l’âge de six ans, Ellen avait demandé à sa mère si elle pouvait être un garçon. « Non, chérie, tu es une fille, mais tu peux faire tout ce que font les garçons. » Six ans plus tard, la puberté la changera en un personnage qu’elle ne veut pas jouer.
À 28 ans, Page fait son « coming out lesbien ». Il explique comment Hollywood ne comprend pas la complexité d’une sortie du placard, « la multitude des secrets enfouis que cela induit. Hollywood est insensible aux conséquences de son fonctionnement. »
Page note qu’il lui a fallu dix ans avant de pouvoir aborder
la question de genre. Le sujet était trop sensible. Il lui fallait prendre le temps de s’écouter. « J’ai dû atteindre le moment où, poussé à bout, je n’ai plus eu le choix. »
Elliot écrit qu’il n’a jamais été une fille, qu’il ne sera jamais
une femme. C’est dans un cabinet de psy qu’il passe de l’impossibilité d’assumer son homosexualité à un sentiment de perplexité et de colère « face à toute la merde que j’avais dû encaisser pendant si longtemps, parce que cacher mon identité queer était considéré comme le statu quo, et ma douleur comme une conséquence naturelle ».
La dysphorie de genre le préoccupe au plus haut point et il finit
par embrasser à bras-le-corps sa transidentité. À 33 ans, il subit une opération pour se faire retirer les seins. Le 1er décembre 2020, Page fait son coming out trans et non binaire, précisant son choix d’utiliser le prénom Elliot et d’être désigné par le pronom masculin il. En mars 2021, Page devient la première personne ouvertement trans à faire la une du magazine Time.
Je note, en passant, que la mère de Page était bilingue et enseignait le français. Elliot lui reproche de ne pas lui avoir parlé français durant son enfance, mais avoue que les langues n’étaient pas
son fort.
Dans ce récit intimiste, d’une grande sensibilité, Elliot Page nous fait part de ses réflexions sur l’enfance, l’amour, le sexe et l’identité.
À travers des moments sombres ou joyeux, il se livre avec sincérité et justesse dans un autoportrait singulier et bouleversant.
Danielle Carrière-Paris, Rose-Aimée Bélanger à l’ombre des chuchoteuses, biographie, Sudbury, Prise de parole, 2023, 136 pages, 36,95 $.
La sculptrice franco-ontarienne ayant connu le plus fulgurant succès demeure sans contredit Rose-Aimée Bélanger, du Nord-Est ontarien. Or, son parcours demeurait quasi inconnu jusqu’à
ce que Danielle Carrière-Paris nous le révèle avec brio dans Rose-Aimée Bélanger à l’ombre
des chuchoteuses
.
La première exposition de cette artiste a lieu dans la Galerie McGugan, à Hamilton, en 1982. Elle a 59 ans. Ses œuvres seront par la suite surtout en montre dans des institutions du Québec et de l’Ontario.
La production de Rose-Aimée Bélanger reflète « une liberté,
une plénitude, une sérénité, l’appréciation du moment présent,
le bonheur de vivre sans complexe, un appétit assumé pour
les plaisirs petits et grands ».
Aux antipodes de la plupart des femmes qu’elle représente dans
ses œuvres, Rose-Aimée Bélanger est toute menue et d’apparence fragile. Elle a aujourd’hui 99 ans.
Bienveillante, attentionnée, enjouée et attentive, cette mère de famille « n’est pas de nature à dorloter ses enfants ou à leur manifester
de la tendresse physique ». Son mari, Laurent Bélanger, est un pilier
de la communauté du Témiscamingue ontarien; il est entrepreneur, conseiller scolaire, organisateur politique, juge de paix (et admirateur du talent de son épouse).
Les personnages féminins et masculins
qui peuplent l’imaginaire de Rose-Aimée Bélanger sont inspirées de ses observations quotidiennes, des membres de sa famille ainsi que des gens du voisinage « rencontrés au hasard pendant qu’ils vaquent à leurs activités journalières ».
À 52 ans, lorsque presque tous les enfants ont quitté le foyer familial, l’artiste se tourne vers l’art. Elle façonne d’abord la terre cuite, le grès, l’argile, puis découvre le bronze.
C’est vers 1995 que ses sculptures jusqu’alors filiformes deviennent de plus en plus arrondies. Le grès cède au bronze, matériau que se marie parfaitement à la rondeur de nouvelles créations. « Je veux exploiter toutes les facettes du volume. Avec le temps, mes personnages doivent, tout en devenant de plus en plus imposants, devenir de plus en plus gracieux et sensuels. En fait, je cherche l’équilibre, entre fragilité et rondeurs. »
La sculpture Les chuchoteuses (en page couverture) a été installée dans le Vieux-Montréal en 2006. Cette œuvre de huit cents livres est la plus photographiée par les touristes. « Des quelques trois cent quinze œuvres d’art publiques réparties sur tout l’île, elle compte parmi les huit créations les plus souvent citées comme étant emblématique de Montréal. »
Rose-Aimée Bélanger n’a jamais voulu faire des présentations dans les écoles, de parler de son art aux élèves. « Pour elle, si tu voulais faire de l’art, il fallait juste que tu le fasses et que tu le fasses tous les jours. Il n’y a pas de recette magique. »
Elle n’était pas non plus intéressée à donner des cours privés.
Elle ne se voyait pas comme une pédagogue. À son avis,
« la personne qui souhaite entreprendre une création artistique
doit trouver par elle-même sa propre façon d’y arriver ».
Danielle Carrière-Paris conclut cette biographie fort bien documentée en affirmant que « Rose-Aimée Bélanger, sereine et résiliente, ne conserve que de meilleurs souvenirs de sa vie,
au cours de laquelle elle a bercé ses enfants, épaulé son époux et caressé l’argile, parce que qu’avec les temps tous les souvenirs sont beaux, et comme le dit si bien Voltaire, ce qui touche le cœur se grave dans la mémoire. »
L’ouvrage comprend des photos d’une vingtaine d’œuvres,
une chronologie de la vie de Rose-Aimée Bélanger, une chronologie de ses expositions, une liste des collections publiques qui ont ses œuvres et une bibliographie exhaustive.
Patrick Doucet, Le Crépuscule du désir ? Comprendre
la sexualité des adultes vieillissants
, essai, Montréal, Éditions Trécarré, 2022, 240 pages, 29,95 $.
C’est bien connu que la vie sexuelle apporte une meilleure santé physique et psychologique. Or, la société, les médias entre autres,
en font un sujet tabou chez les personnes âgées, « on ne souhaite pas la voir ! » Et si certains aînés s’y intéressent, on juge cela anormal. Voilà un constat formulé par Patrick Doucet dans 
Le Crépuscule du désir ? Comprendre la sexualité des adultes vieillissants.
Doucet trouve important de défaire l’idée que les « vieux » et
les « vieilles » n’aiment rien autant que de jouer au golf ou tricoter. Il reconnaît cependant que « de plus en plus d’adultes vieillissants sont moins actifs sexuellement, mais précise que le désir sexuel ne diminue pas toujours avec le seul vieillissement. D’autres facteurs entrent en jeu : ménopause, andropause, problèmes de santé physique et mentale, apparence, difficultés conjugales, médicaments.
Au Canada, 90 % de la population âgée de 65 ans et plus prend
en moyenne cinq médicaments par jour. Quant à l’apparence,
cela préoccupe surtout les femmes hétérosexuelles et homosexuelles, ainsi que les hommes homosexuels plus que
les hétérosexuels.
Plusieurs établissements désapprouvent les comportements sexuels entre adultes consentants non mariés. Le personnel les sépare,
les empêche d’être seuls dans une chambre ou les rapporte à leur famille.
L’auteur raconte que sa grand-mère, âgée de 80 ans et atteinte d’une dégénérescence cognitive modérée, a développé une idylle avec un autre résident de 85 ans. La direction a aussitôt contacté
la fille pour lui dire que sa mère « devait mettre un terme à
ses agissements inconvenants ».
« Après sa longue et triste vie maritale auprès d’un homme insensible et dominant, une autre autorité, aussi insensible et dominante, s’assurait maintenant de priver ma grand-mère
de quelque plaisir légitime jusqu’à la toute fin. »
Il est vrai que certains centres fournissent des chambres privées pour des moments d’intimité lorsqu’un membre d’un couple n’est pas résident, « mais seulement aux couples mariés légalement
et manifestement hétérosexuels ».
Doucet note que « les rapports homosexuels sont encore moins bien vus, de même que les personnes homosexuelles par
les résidents, mais aussi par des infirmiers, des infirmières,
des médecins et des psychologues, lesquels peuvent manifester « de l’hostilité, de la condescendance, de l’embarras ou de
la pitié et éviter les contacts physiques ».
L’ouvrage nous apprend que dans l’industrie de la pornographie
au Japon, on voit de plus en plus des films qui mettent en scène
des acteurs et des actrices plus âgés. On estime que la « Silver porn » occupe environ 20 % de la part du marché de
la pornographie en général. Je note, en passant, qu’il existe
un site international de rencontres homosexuelles intitulé Silver Daddies.
Preuve que les gens âgés sont sexuellement actifs, l’incidence
des infections transmises sexuellement est en hause au sein de cette population selon une étude. Plusieurs raisons expliquent
cette tendance : diminution de l’usage des préservatifs, sites
de rencontres, voyages à l’étranger, tests de dépistages rarement recommandés par les intervenants.
La sexualité chez les personnes vieillissantes fait l’objet de constats colorés. Selon le sexologue William Master, « en vieillissant, vous
ne pouvez pas courir autour du pâté de maisons comme lorsque vous aviez 18 ans, mais vous pouvez toujours avoir du plaisir à marcher ». À 93 ans, Janette Bertrand ajoute : « C’est plus pareil,
c’est bon pareil. »
Une veuve affirme avoir eu un copain plus attentif et plus dévoué que son défunt mari; « c’est ainsi qu’elle a connu son premier orgasme à… 79 ans ». Une autre signale qu’elle a eu son premier massage érotique le jour de son 70e anniversaire : « cela m’a montré que j’étais toujours une femme pleinement sexuelle et fonctionnelle, prête à sortit de ce cocon qu’est le deuil pour commencer à vivre de nouveau […], pour réintégrer le monde ».
Essai très fouillé, Le Crépuscule du désir ? comprend
une bibliographie de 123 ouvrages et pas moins de 602 notes
de références.
Nita Prose, La Femme de chambre, roman traduit
de l’anglais par Estelle Roudet, Paris, Éditions Calmann-Lévy, 2022, 432 pages, 24,95 $.
« La discrétion est ma devise ! Un service invisible, c’est mon objectif. » Ainsi s’exprime la narratrice et protagoniste du roman
La Femme de chambre de Nita Rose. Le jeune Molly, comme dans Molly Maid, est payée pour se taire et redonner aux chambres leur perfection initiale. Or, l’hôtel cinq étoiles cache bien des secrets et
il s’y passe des choses infâmes.
Avec un nom comme Regency Grand, l’endroit affiche luxe et splendeur. Molly est une jeune femme de chambre naïve qui n’a aucune idée à quel point les actes peuvent être violents dans le monde réel. Elle a été élevée par sa grand-mère et ne sait jamais
ce qui peut l’attendre au tournant, « que ce soit un homme mort
ou votre prochain rendez-vous galant ».
L’action du roman se déroule presque entièrement en cinq jours;
le lieu demeure inconnu, pas d’indices sur la ville ou le pays.
La référence à Molly Maid peut laisser croire qu’il s’agit du Canada, où l’entreprise a été créée en 1979, ou des États-Unis. L’autrice est canadienne.
Un jour, la femme de chambre découvre le richissime monsieur Black mort dans son lit. Mêlée malgré elle à cette étrange affaire
de meurtre, Molly va mener sa propre enquête, aidée de quelques précieux collègues et amis.
L’architecture du roman est plutôt compliquée. Nombreux sont
les retours en arrière dans la vie monotone de Molly. Sa grand-mère est décédée depuis plusieurs mois, mais ses pensées inondent celles de Molly. Et il faut plus de 150 pages entre la découverte
du cadavre et le début de l’enquête par la police.
Molly est utilisée comme un pion dans le meurtre de M. Black.
En une journée, elle passe d’employée modèle, discrète, solitaire et zélée à personne difficile, distante, tordue et pire encore. Plein de souvenirs d’enfance refont surfaces, ce qui donne lieu à certaines longueurs.
Tel que mentionnée plus haut, les pensées de la grand-mère abondent. Voici quelques exemples de ces idées, principes ou maximes : « Les gens sont un mystère impossible à résoudre.
Tout ira bien à la fin, et si tout ne vas pas bien, ce n’est pas la fin.
Il n’y a rien que tu puisses faire si ce n’est de ton mieux Lève-toi, ma fille, et brille de tous tes feux ! »
L’autrice Nita Prose est une éditrice basée à Toronto et La Femme
de chambre
est son premier roman. Elle excelle dans l’art
de décrire le coté psychologique de ses personnages, un peu au compte-gouttes.
La Femme de chambre mêle subtilement intrigue criminelle et romantique. Tout est en nuances et sous-entendus. On a l’impression que la romancière nous tend des pièges pour nous garder en alerte.