Voici quelques coups de coeur au fil des derniers mois:

Carole Boston Weatherford, Il était une fois… un massacre raciste, album illustré par Floyd Cooper, traduction-adaptation par Gaël Renan, France, Éditions Le Genévrier, 2023, 40 pages, 33,95 $.
Quelque 300 Noirs américains tués, plus de 800 admis à l’hôpital,
6 000 arrêtés et détenus, plus de 10 00 sans-abri, tel est le bilan du massacre de Tulsa (Oklahoma) entre le 30 mai et le 1er juin 1921. Carole Boston Weatherford le raconte dans Il était une fois…
un massacre raciste
, album illustré par Floyd Cooper
et destiné aux 8-12 ans.
Aucune enquête officielle ne fut instruite durant les soixante-quinze ans qui suivirent cette tragique flambée de violence raciale. Weatherford répare cette injustice par le biais d’un conte qui demeure, hélas, d’une vérité très cruelle.
Au début des années 1900, une importante communauté afro-américaine prospère dans la ville de Tulsa, en Oklahoma.
Le quartier de Greenwood a son propre système scolaire,
ses bibliothèques, ses églises, ses commerces, son bureau de poste, ses restaurants et ses cinémas.
Mais tout cela change en l’espace de deux terribles, indicibles journées. Les 31 mai et 1er juin 1921, une foule de Blancs armés attaque le de quartier Greenwood. Les émeutiers mettent à sac immeubles et commerces, et les font brûler, sans que
la police intervienne.
Les dommages matériels s’élèvent à plus de 1,5 million de dollars
en biens immobiliers et à 750 000 dollars en biens personnels (respectivement 21 501 000 $ et 10 750 000 $ en dollars courants).
Carole Boston Weatherford écrit que 75 ans se sont passés « avant que des parlementaires ne lancent une enquête pour révéler
la douloureuse vérité sur la pire attaque raciale qu’aient connue
les États-Unis : la police et les élus s’étaient faits les complices
de Blancs pour détruire la communauté noire la plus prospère
du pays. »
Cet album a été couronné de la Caldecott Medal. Décernée chaque année depuis 1938 par l’Association des bibliothécaires américains pour la jeunesse, la Caldecott Medal honore l’artiste qui a créé l’album pour enfants le plus remarquable.
En 1996, l’État d’Oklahoma a lancé une commission d’enquête sur l’émeute raciale de Tulsa. En 2001, une coalition fut créée pour obtenir réparation des dommages subis par la communauté afro-américaine de Tulsa.
La même année, l’État d’Oklahoma a adopté une loi intitulée Tulsa Riot Reconciliation Act. Des bourses d’études supérieures ont été accordées à des descendants des résidents du quartier de Greenwood. Un Parc réconciliateur a été inauguré en 2010.
L’émeute de Tulsa est dépeinte dans une des premières scènes du premier épisode de la série télévisée américaine de super-héros Watchmen, ainsi que dans l’épisode 9 de la série dramatique horrifique Lovercraft Country.
Guillaume Musso, Angélique, roman, Paris, Éditions Calmann-Lévy, 2022, 320 pages, 32,95 $.
Guillaume Musso est l’auteur le plus lu en France depuis onze ans. Il est traduit en quarante-cinq langues. Son vingtième roman, Angélique, ausculte la complexité des méandres de l’âme humaine.
L’action se déroule d’abord à Paris. Après un accident cardiaque, Mathias Taillefer se réveille dans une chambre d’hôpital. Une jeune fille inconnue se tient à son chevet, une bénévole jouant du violoncelle. Lorsqu’elle apprend que le patient est flic, elle lui demande de reprendre l’enquête sur la mort de sa mère.
Mathias Taillefer est habitué à prendre les coups de poing, les coups de couteau, les projectiles et les balles. L’enquête qu’il accepte de mener s’avèrera être la traversée d’un labyrinthe dont la seule issue pourrait être sa propre mort.
Pour Musso, l’action ou l’intrigue demeure un moyen de plonger dans l’intérieur de ses personnages. À travers ce roman, tout comme dans les précédents, l’auteur fait appel à l’intelligence en utilisant l’émotion. La vérité d’un chapitre n’est jamais celle du suivant.
Les certitudes d’une page ne sont jamais celles de la suivante. 
Le personnage d’Angélique est un bel exemple. Il est difficile de lui coller une étiquette. Femme insaisissable, elle est « capable d’enfiler plusieurs identités. Changeante, caméléon Dangereuse, peut-être… » Son cerveau aime aussi bien les dangers et les périls que les états de guerre.
Le plaisir que prend Musso à décrire chaque ambiance et chaque atmosphère s’étend aussi aux visages de chacun des personnages. En quelques mots, sa plume devient un miroir : « le crâne rasé,
un œil de verre enfoncé dans l’orbite, des sourcils d’albinos ». 
Ou encore : « coupe en brosse, regard bovin, grosses joues couperosées »; « visage ovale encadré de longs cheveux blonds
et lisses, fossette sur le menton, pull à col Claudine »; « un visage émacié, un regard charbonneux qui vous transperçait ».
Dans une entrevue pour promouvoir son nouveau roman, l’auteur précise que « l’action est toujours abordée à travers l’intériorité
des personnages. Mon style s’efforce de suivre mon personnage
et de coller à sa pensée. »
À première vue, on peut qualifier Angélique d’enquête policière, mais il s’agit en réalité beaucoup plus d’une enquête que
les personnages mènent sur eux-mêmes, « un voyage intérieur
à travers leurs souvenirs et leurs secrets ».
Né à Antibes en 1974, Guillaume Musso découvre très jeune
une passion pour la littérature, consacrant tout son temps libre à dévorer des livres dans la bibliothèque municipale où travaille
sa mère. C’est grâce à un concours de nouvelles proposé par
son professeur de français qu’il découvre le bonheur
de l’écriture. À compter de ce jour, et jusqu’à aujourd’hui,
il ne cessera plus de noircir des carnets. 
En 2021, Musso a été le premier écrivain français à recevoir
le prestigieux prix Raymond-Chandler, qui récompense
les maîtres du suspense à travers le monde.
Voici comment certains médias ont reconnu son talent : « Le maître français du suspense » (The New York Times); « Un romancier hors norme » (France Info); « Le Roi du noir européen » (La Republica, Italie); « Un phénomène » (El Mundo, Espagne).
Michel Tremblay, Douze coups de théâtre, récits, Montréal, Leméac Éditeur, 1992, 24,95 $.
Une de mes lectures estivales est un retour trente ans passés.
Avec Douze coups de théâtre, paru en 1992, Michel Tremblay
nous offre des instants de théâtralité familiale et personnelle,
des moments d’intimité où des personnages témoignent de leur réalité de vivre, dans les années cinquante, sur le Plateau Mont-Royal.
À 14 ans, Michel Tremblay voit la pièce La Tour Eiffel qui tue de Guillaume Hannoteau, mise en scène par Paul Buissonneau.
Ce premier contact avec le théâtre est un choc : « Ce qui se passait ce soir-là sur la scène allait devenir, je le sentais bien, le but de
ma vie ! » Il a de la difficulté à supporter le monde dans lequel
il évolue, il veut faire partie de l’univers théâtral.
Sa mère ne veut pas voir son fils devenir un artiste. « C’est toutes des hobos, des bohèmes pis des fifis, pis j’veux pas que tu deviennes comme ça ! » Il est trop tard, Michel est déjà artiste et homosexuel.
Après avoir vu Le Temps des lilas de Marcel Dubé, un seul désir l’habite, celui de décrire lui aussi les démons qui l’habitent.
« Et l’impression d’avoir enfin le droit d’appartenir, malgré
mes origines, malgré mon odeur, à quelque chose de grand. »
En 1957, Tremblay regarde Un simple soldat de Dubé en téléthéâtre. Il est muet d’admiration et de jalousie. C’est exactement cela qu’il veut faire : « décrire les autres, tout ce qui m’entoure, en faire du théâtre ou des romans ».
À 16 ans, le jeune Tremblay suit un homme beaucoup plus âgé qui l’invite chez lui pour ce qui devient plus qu’une partie de jambes en l’air. Ce mélomane lui fait connaître Tristan et Isolde de Richard Wagner. À travers la musique, il aperçoit l’âme des personnages : « j’en avais un peu peur mais j’étais surtout attiré ». 
Tremblay raconte la seule fois qu’il a vu une partie de hockey. C’était au Forum de Montréal avec son père et il aurait voulu être n’importe où – messe, confesse, retraite fermée – plutôt que là.
Ce passage m’a rappelé la fois que papa m’a amené à Détroit pour voir les Canadiens disputer un match contre les Red Wings; j’avais le même sentiment.
Lorsque Tremblay voit L’Opéra de quat’sous de Brecht et Weill, Monique Leyrac chante La Fiancée du pirate et ce sont « les trois minutes les plus intenses de toute ma vie de dévoreur de culture ». À 22 ans, il est convaincu de ne plus jamais pouvoir revivre
un moment comme celui-là, un « grand frisson de joie, proche parent du frisson d’horreur ».
En 1964, la pièce Le Train permet à Michel Tremblay de remporter le premier prix du Concours des jeunes auteurs de Radio-Canada. C’est la preuve, écrit-il, « qu’on pouvait très bien avoir le droit de noircir des feuilles de papier sans être passé par les collèges ou
les universités ».
Peu de temps après, Tremblay (22 ans) rencontre André Brassard (18 ans), un jeune metteur en scène en herbe. Ils deviennent chacun le Pygmalion de l’autre, mais cela est un autre livre.
Monique Polak, Vois tout ce qu’il te reste, roman traduit de l’anglais par Rachel Martinez, Québec, Éditions
du Septentrion, 2022, 260 pages, 24,95 $.
« Je ne suis pas préparée à voir à quel point la vérité est horrible. » Ainsi s’exprime l’adolescente Anneke dans Vois tout ce qu’il te reste, œuvre de fiction que signe Monique Polak en s’inspirant de faits réels. La réalité est un camp allemand pour les prisonniers Juifs.
Au nord de Prague se trouve Terezin, une ville que les Allemands ont appelée Theresienstadt durant la Seconde Guerre mondiale.
Elle pouvait accueillir 7 000 soldats, mais pendant l’Holocauste,
40 000 Juifs y ont été parqués, jusqu’à quatre prisonniers au mètre carré.
Celien Polak, 14 ans, a passé un peu plus de deux ans (1943-1945)
à Theresienstadt avec ses parents et son jeune frère. Elle n’a raconté rien de sa vie d’enfer jusqu’à ce que sa fille, Monique Polak,
la convainque de partager ces deux années en 2007.
L’autrice a changé les noms. La famille que nous suivons s’appelle Van Raalte et est d’origine néerlandaise. La narratrice se nomme Anneke; c’est peut-être une allusion au Journal d’Anne Frank.
Elle se demande parfois où est allée l’ancienne Anneke et
si elle la reverra un jour. « J’en doute parfois. » 
L’étoile jaune cousue sur les vêtements est conçue pour humilier les prisonniers, mais un rabbin explique que c’est un signe.
Elles illuminent l’obscurité, « un signe que nous ne devons jamais abandonner ».
Le sommeil est le seul moyen d’évasion pour les prisonniers…
s’ils sont assez chanceux pour dormir. Leurs lits sont infectés de poux et de punaises, de soldats qui attaquent sans relâche.
« On ne la gagnera jamais, cette guerre-là. »
Un prisonnier artiste, Petr Kien, fait le portrait d’Anneke : visage pâle et amaigri, menton pointu, joues creuses, cheveux gras, cernes sous les yeux. Les nazis lui ont dérobé sa beauté. Les prisonniers sont
des moins que rien.
La Croix-Rouge du Danemark doit visiter Theresienstadt que
les Allemands vantent comme « ville modèle ». On procède
dès lors à un embellissement qui est une pure mascarade,
« une mise en scène aussi diabolique que tordue ». Le père d’Anneke doit peindre des fresques d’une fausse beauté.
Le programme d’embellissement permet aux prisonniers de gagner ce dont ils ont le plus besoins : du temps.
Lorsque Anneke apprend que des enfants sont éliminés dans
des camps de la mort, elle réagit instantanément : « Éliminés,
c’est un mot qu’on utilise pour parler des déchets, pas des êtres humains. Pas des enfants. » Et les vieux ressemblent davantage
à des cadavres qu’à des êtres humains.
Dans le camp de Theresienstadt, avoir de la chance est une épreuve en soi. Ceux qui survivent au malheur fatal doivent être témoins
du départ des autres, de ceux qui sont envoyés vers des camps de la mort. Certains ont l’impression de préférer être mort plutôt que devoir être témoins de tout ce qu’ils voient.
Monique Polak a fait tous les efforts possibles pour être précise
sur le plan historique, mais elle a inventé́ de toutes pièces
les personnages principaux et leurs combats intérieurs. « La fiction est pour moi, autrice et lectrice, une façon de m’aider à̀ comprendre le monde et les gens qui y vivent. »
La romancière conclut en faisant dire à Anneke qu’elle n’arrivera jamais à oublier tout ce qu’elle a vu, a senti et a perdu à Theresienstadt. « Mais le monde est encore là. Ce sera à moi
de trouver sa beauté. »
George Lester, Boy Queen, roman traduit de l’anglais par Estelle Flory, Paris, Éditions Hugo & Cie, coll. New Way, 2021, 330 pages, 24,95 $.
« Tu peux faire tous les projets du monde, mais la vie te surprendra toujours. Il faut continuer à avancer. Il y a toujours
du bon, même dans les situations les plus pourries. » C’est ce que découvre Robin, aspirant à une prestigieuse école de théâtre,
dans le roman Boy Queen de George Lester.
Robin est le narrateur de ce roman et l’acteur principal d’une intrigue finement ficelée. Il apprend que sa demande à la London School of Performing Arts a été refusée. On le suit d’abord dans
son abrupte dépression car larmoyer et dramatiser est sa marque de commerce. Il est une vraie boule de nerfs, a zéro confiance
en lui-même et aime se faire ramasser à la petite cuillère.
Pour célébrer ses 18 ans, ce gay bien dans sa peau accepte l’invitation de ses deux meilleurs amis et assiste à Dragcellence,
un spectacle de drag queens. Il est fasciné par une reine qui l’entraîne dans son monde et découvre soudain que c’est cela qu’il veut faire, qu’il en est capable. Il est envoûté, il flotte sur un nuage. Ça lui fait l’effet d’un second coming out.
Si le rêve de Robin d’entrer dans une prestigieuse école de théâtre s’est envolé du jour au lendemain, le seul fait de voir des hommes travestis offrir un spectacle applaudi à tout rompre, lui redonne vie. C’est tellement plus inspirant et excitantque tout ce qu’il a pu faire dans des comédies musicales ou autres spectacles de son lycée.
Une drag queen de renom le prend sous son aile. Elle lui apprend que « se faire rejeter, ça fait partie du jeu. Soit tu laisses ça te tuer, soit ça te rend plus fort. C’est à toi de décider. » Il découvre que
le lip-sync, c’est plus qu’une chanson, c’est un sentiment,
une émotion, un instant.
Parallèlement à cette histoire d’exploration d’une carrière, nous suivons Robin dans ses flirts amoureux. Il fréquente secrètement Connor, un confrère du lycée qui « est ce qu’il a peur d’être », c’est-à-dire gay. Les parents et amis de ce garçon sont homophobes.
Connor refuse d’être vu en public aux bras de Robin.
« Si quelqu’un me grillait dansun bar gay, je serais crucifié. »
Cela n’empêche pas Robin de lui envoyer un message avec
un l’émoji cœur. « Merde ! La vie est trop courte pour ne pas envoyer d’émoji au garçon qui a volé votre cœur. »
L’auteur fait dire à Robin que personne n’a le droit de décider quand et comment une personne doit faire son coming out.
Si elle choisit de le faire… Or, Connor laisse ses amis homophobes tabasser Robin sans intervenir. Il va même jusqu’à le traiter
de tapette en public
Boy Queen est un roman qui se lit presque comme un thriller, tellement les rebondis-sements sont nombreux, notamment dans
la relation de Robin avec sa mère et sa meilleure amie.
Brad Saunders, Men I Might Have Known, nouvelles,
New York, Kensington Books, 2009, 246 pages.
Je lis rarement des livres de langue anglaise et n’en ai recensés que deux au fil des ans. Je viens de terminer la lecture de Men I Might Have Known, de Brad Saunders, et j’y fais écho ici car le créneau gay erotica demeure une denrée rare, et parce que la plume
de Saunders est superbe.
Les quinze nouvelles mettent en scène un jeune homme qui se promène en Europe et en Amérique, à l’affût de conquêtes viriles. L’action peut aussi bien se dérouler en Autriche, Grèce, Suède et Écosse, qu’à Prague, Montréal, New York et San Juan. Les ébats sexuels demeurent au cœur de chaque voyage et sont décrits avec une précision à faire bander un eunuque.
Avis aux âmes prudes : il n’y a pas de demi-mots ou de propos voilés; tout est direct et cru. On s’envoie les jambes en l’air à qui mieux mieux. Dès les premières pages, on lit : « I felt something warm shooting into me, and it was though Peter’s cum was an electric current rushing from his body into mine as it jump-started my own climax.”
Les scènes d’enculage sont nombreuses et les mots référant à l’anus varient constamment. En voici quelques exemples : fuck hole, fuck cave, fuck chute, pink donut, honeypot, manhole, ass cavity. Il en va
de même pour le mot pénis : rod, joystick, tent pole, fuck tool, fuckshaft, sausage, prong.
Les caresses et les baisers sont passionnés. Les émotions sont souvent à fleur de peau, sans jeu de mots. Mais il n’est pas question de relations amoureuses à long terme, car le narrateur est là pour jouir virilement d’une brochette de corps masculins, à la queue leu leu pour ainsi dire.
Je dois me tourner vers des auteurs américains pour satisfaire
ma soif de littérature pornographique (ou écrire moi-même
des textes pour un site comme Gay Demon). Les Éditions Triptyque ont bien une collection Queer, mais elles ne s’aventurent pas dans le domaine erotica. Je souhaite qu’un éditeur franco-ontarien et
un éditeur québécois unissent bientôt leurs forces pour créer
une telle collection.
Jean-Louis Grosmaire, Acadissima, roman, Ottawa,
Presses de l’Université d’Ottawa, 2021, 370 pages, 29,95 $.
Plusieurs écrivains ont décrit la contribution des soldats canadiens au front durant la Première Guerre mondiale. Le rôle des soldats-bûcherons, lui, demeure passablement méconnu. Jean-Louis Grosmaire jette un savant éclairage sur cette réalité dans son tout dernier roman intitulé Acadissima.
L’armée canadienne a eu un Corps forestier, composé en partie par le 165e bataillon d’infanterie. Il s’agissait d’un bataillon acadien sous l’autorité du lieutenant-colonel Louis Cyriaque D’Aigle. Grosmaire
a effectué une recherche minutieuse et rigoureuse pour faire de
ce bataillon la toile de fond d’un roman dont le protagoniste est
un jeune Acadien de 18 ans. Jean-Baptiste Beausoleil est un simple manouvrier et aide-pêcheur devenu bûcheron.
L’action se déroule d’abord à Fond-des-Brisants et à Piligan, deux endroits fictifs qui représentent l’Acadie, là où la terre et la mer se marient, là où le dur labeur des pêcheurs sur les flots côtoie celui des paysans sur leurs terres. Ce milieu permet à Jean-Baptiste de découvrir que « la vie est comme la mer, un jour douce, toute claire, puis tourmentée, hérissée de vagues sauvages, flots en fracas et puis calme et
en paix ».
Grosmaire décrit avec brio comment un village ressemble à une famille qui constamment s’observe, se jauge, se juge et se dénigre. Jean-Baptiste ressort comme le fils que tout le monde aimerait avoir.
Le 28 juin 1916, il s’enrôle « pour la France et l’Acadie », pour le combat au front.
Le roman, vous vous en doutez bien, renferme une histoire d’amour. Juste avant de partir pour Val Cartier, le jeune soldat revoit une amie d’enfance et c’est le coup de foudre. Il doit quitter non seulement les rivages de son Acadie natale, mais également sa bien-aimée Angelaine Kirouac… qui a dès lors « le cœur à marée basse ». Sans dévoiler un rebondissement magistral dans l’intrigue de ce roman finement ciselé, je peux vous dire que le retour
de Jean-Baptiste se fera « tout feu tout flammes ».
Les fréquentations entre Jean-Baptiste et Angelaine se font par correspondance. Homme de la mer, de la campagne, des bois
et des pâturages, le jeune soldat croit qu’il n’a pas d’instruction et
qu’il n’est pas doué pour exprimer les mots du cœur. Or, ces lettres sont empreintes d’intelligence et de tendresse. Jean-Louis Grosmaire excelle dans l’art de décrire les émotions et les sentiments qu’un jeune homme a tendance à taire. On sent Jean-Baptiste prendre
de l’assurance, de l’expérience, de la maturité.
Jean-Baptiste arrive en Franche-Comté le 29 mai 1917. Il a été
formé pour combattre l’ennemi, mais c’est contre de nobles arbres qu’il doit se mesurer. La France est en guerre et les livraisons de bois donnent lieu à une cadence vorace qui créé une « hécatombe des seigneurs de la forêt ».
À certains moments, je me suis demandé s’il était nécessaire d’accorder autant de chapitres au travail du Corps forestier canadien. Peut-être est-ce parce qu’il a regroupé jusqu’à 12 000 hommes en France et 10 000 en Grande-Bretagne – fait carrément inconnu –, que le romancier a cru nécessaire de fournir de nombreuses pages hautement descriptives du travail
des soldats-bûcherons.
Le roman a le mérite d’illustrer comment l’homme aime jouer à
être un homme lorsqu’il est dans un groupe. Mais une fois dans
la solitude, il entend le fond de son âme, « comme un puits 
rempli de questions et de doute ». Grosmaire fait dire à un de
ses personnages : « C’était pas la route qui était longue, c’était
de trouver le chemin en dedans. »
Il fait aussi dire à un médecin de campagne qu’on rassemble
des livres dans sa bibliothèque comme on réunit des amis dans
un salon : « On aime discuter avec eux, on écoute leur voix
la plus intime, celle qui n’a même pas besoin d’être parlée.
Celle qui nous touche. Le lecteur, c’est le confident. » Voilà le plus grand mérite d’Acadissima.
Sandrine Beau, Le jour où je suis mort, et les suivants, roman, Bruxelles, Alice Éditions, 2020, 168 pages, 22,95 $.
« Je m’appelle Esteban. De mes onze ans à mes quinze ans, j’ai été violé. »
« Saphir s’était brutalement réveillé. Une main était plongée dans son boxer. »
Biscotte se demande s’il n’est pas un peu responsable de ce qui lui arrive. « Ou complètement responsable ? C’est ma faute si c’est arrivé ? »
Lenny avait honte de ce que Gilbert lui faisait. « Il était tellement adorable. Tellement au-dessus de tout soupçon. Et pourtant, chaque semaine, il me violait... Deux fois par semaine. »
Dans Le jour où je suis mort, et les suivants, roman dont l’action se déroule en France, Sandrine Beau décrit la vie infernale de ces quatre jeunes garçons, chacun en prise avec un mal-être qu’ils tentent tant bien que mal de dire ou au contraire de cacher.
Victimes de violences sexuelles, les quatre jeunes extériorisent
ce mal commun différemment, mais on en mesure toute l’ampleur
et toutes les conséquences en s’immergeant dans le quotidien et l’intimité de Saphir, Biscotte, Esteban et Lenny.
Saphir n’arrive pas à dire à voix haute « il me touche, il fait
des choses qu’il ne devrait pas faire. » Mais pourquoi ne dit-il
rien ? La réponse est poignante : « le dégoût, la honte, pas envie que ça se sache ». L’autrice explique avec brio cette « peur qu’ils devinent », sous-jacente chez chaque jeune victime.
Lenny aime bien Gilbert car il est drôle et gentil. Gilbert s’intéresse
à lui, comme s’il était une personne aussi importante qu’un adulte. Mais voilà que Gilbert s’arrange pour glisser quelque chose dans
la poche arrière du jean de Lenny… et de caresser le petit cul.
Gilbert offre des cadeaux prisés (jeux vidéo, console, téléphone intelligent), l’invite sur son bateau pour une fin de semaine et partage son lit pour avoir « droit à un petit cadeau quand même ».
Lenny a honte de ce que le porc lui fait. Il en veut à ses parents qui ne voient rien. Gilbert le rassure : « C’est notre petit secret. Si tu parles, ta mère va mourir de tristesse. Avoir un fils homo, c’est dur pour une maman… Tu sais, on est pareils, toi et moi. »
Lenny ne croit que le porc et lui sont pareils. Mais les mots de Gilbert le font douter, le font vaciller, scellent ses lèvres pour toujours. « J’ai très vite compris que ça continuerait, sans jamais s’arrêter, et que je mourrais avec mon secret. »
Esteban voit une toile se tisser autour de lui par le monstre qui, lui, « prenait l’apéro en racontant des blagues à ses parents, juste après l’avoir violé ». Il s’imagine qu’on va penser qu’il a aimé ça puisqu’il n’a rien dit pendant toutes ses années.
Sandrine Beau lève le voile sur cette peur d’être catalogué comme homosexuel. Être choisi par un prédateur veut-il dire qu’on est soi-même attiré par les hommes…? Esteban reste silencieux à cause de la honte qu’il ressent et du sentiment de culpabilité qui l’habite. « Un criminel pouvait continuer à vivre sa vie, comme si de rien n’était, pendant que sa victime avait la sienne détruite pour toujours. »
Biscotte est violé par de jeunes fiers à bras. Il a peur de vivre
avec son secret. « Tout le temps ce même film dégueulasse dans
la tête. » Biscotte se dit qu’il n’est plus un vrai mec puisque « ça m’est arrivé à moi ». Il ne croyait pas que cela pouvait se passer entre garçons, mais la réalité lui prouve le contraire.
Publié à Bruxelles, cet ouvrage inclut une série de contacts en France, en Belgique et au Canada, susceptibles de venir en aide aux jeunes victimes de violences sexuelles.
Nick Christie, Darkroom (Gay Erotic Fiction), roman, ©2020 a Guy called Nick, Amazon Kindle, 412 pages,
24 $.
L’annonce de ce roman est précédée de « Not for the easily offended. Strong BDSM ». Nick Christie n’en est pas à son premier roman homoérotique pur et dur. Dans son tout dernier, l’auteur demande à ses lecteurs s’ils sont assez braves pour se vautrer dans Darkroom, le réputé disco-bar gay de Londres, la Mecque du cuir, l’ultime lieu pour les hommes désireux d’assouvir leurs désirs extrêmes. Ce club sélect du « leather fetish » est dirigé par Dean qui se remet de la perte de son partenaire James, deux ans plus tôt. Sa vie est sur le point de prendre un nouveau virage.
Darkroom regorge de serveurs, danseurs gogo et clients bardés
de cuir, de la tête aux pieds. Attendez-vous a de savoureuses descriptions de fesses et entrejambes toujours proéminentes et bien moulées, car Darkroom est le pinacle de la virilité. Une entrée par effraction, après les heures tardives d’ouverture, amène le sergent détective Darren Winter à visiter l’endroit. Homosexuel dans le placard, il cache un fétiche pour le cuir depuis son adolescence.
Sa libido secrète est évidemment attisée par ce qu’il découvre.
Est-il prêt à sortir de la noirceur du placard pour pénétrer dans celle du Darkroom…? 
L’odeur du cuir, de la sueur mâle et du cul poussent les clients
du Darkroom au summum de leur prouesse. « Fuck, you are so fucking filthy. I thought I was the only one who loved doing this, Darren grinned. » Les mots leather, fuck, cock et cum sont évidemment ceux qui reviennent le plus souvent dans les 400 pages de ce roman. Mais il y a plus que du sexe quasi bestial.
Nick Christie tisse une intrigue amoureuse et excelle dans l’art
de camper ses deux principaux personnages dans des situations
qui vont bien au-delà de la couchette aussi virile qu’elle soit.
Les parents de Darren sont tous deux atteints de la maladie d’Alzheimer et placés dans une maison de soins de longue durée. La scène où Darren fait son coming out auprès de sa mère et lui présente Dean est de loin la plus touchante de ce roman qui allie virilité et tendresse avec brio.
On entend souvent dire que les hommes aiment moins la lecture que les femmes. Rien de plus faux. Encore faut-il leur offrir des textes qui ont une résonnance. Les homosexuels qui ont un fétiche ou une fantaisie pour le cuir sont admirablement servis par Nick Christie.
Il est dommage que ce genre d'ouvrage ne puisse pas trouver preneur dans le monde de l'édition de langue française au Canada.

Adrian McKinty, La Chaîne, thriller traduit de l’anglais par Pierre Reignier, Paris, Éditions Mazarine, 2020,
400 pages, 34,95 $.
Paramount Pictures a déjà acheté les droits pour tourner un film basé sur le thriller La Chaîne, d’Adrian McKinty. L’as américain du polar Don Winslow affirme que ce roman n’est rien de moins que Les Dents de la mer pour les parents.
Le téléphone sonne. Un inconnu a kidnappé votre enfant. Pour qu’il soit libéré, vous devez enlever l’enfant de quelqu’un d’autre. Votre enfant sera relâché quand les parents de votre victime auront à leur tour enlevé un enfant. Si un maillon de La Chaîne manque, votre enfant sera tué.
Nous suivons le cas de Rachel, femme divorcée, dont la fille de
13 ans a été enlevée à un arrêt d’autobus. La mère, qui lutte déjà
contre un cancer, doit devenir un monstre et enlever un enfant,
car « nul maillon de La Chaîne n’a le pouvoir, ni même la volonté, de résister ». Rachela l’impression d’être tombée sous l’emprise d’une secte.
L’action de la première moitié du roman se déroule du jeudi au lundi, heure par heure. Adrian McKinty pimente son intrigue de soubresauts cauchemardesques et démontre comment un système peut torturer une personne et la rendre complice de la torture d’une autre personne.
La Chaine est une machine à kidnapper, à extorquer et à terroriser. Les victimes, qui se comptent par centaines, sont tellement reconnaissantes et soulagées quand leur enfant est libéré. Terrifiées
aussi. La peur des représailles et les actes brutaux sanglants suffisent à contraindre la quasi-totalité de ces gens à se murer
dans le silence.
Rachel fera exception à cette règle. C’est la seconde moitié du roman. « Quand est-ce que ça va s’arrêter ? murmure-t-elle
dans l’obscurité. L’obscurité reste sur son quant-à-soi. » La Chaîne sait que Rachel pense pouvoir déjouer le système. Elle est avertie sévèrement de rentrer dans les rangs, ce qui ne l’empêche pas
« de se Lady-Macbethiser ».
« Les humains, écrit McKinty, sont autant des prédateurs que
des proies. » Et comme La Chaîne est composée d’êtres humains, Rachel se dit qu’elle est faillible, vulnérable comme nous tous.
Il faut trouver le cœur humain qui est en son centre et le broyer. Facile à dire, difficile à faire. Cela implique de « partir en chasse dans l’antre du monstre ».
La chaîne de télévision britannique ITV a mené une expérience auprès d’une dizaine de mères et de leur enfant laissé sans surveillance. Le résultat a été sans appel : sur neuf enfants âgés
de 5 à 11 ans, sept ont suivi un homme dans un laps de temps compris entre 33 secondes et 3 minutes.
Il s’agissait d’une expérience contrôlée, bien entendu. N’empêche qu’Adrian McKinty a raison lorsqu’il écrit : « Tant que vous n’avez pas vu quelque chose ou quelqu’un mettre votre enfant en danger, vous n’avez pas connu la peur. »
Loin de moi l’idée de dévoiler le dénouement de ce thriller terrifiant par moments. Qu’il suffise de dire que la mort doit parfois lutter contre des forces chamaniques intenses et hostiles…


Samuel Champagne, Antonin, roman, Boucherville, Éditons de Mortagne, coll. Kaléidoscope, 2019, 408 pages, 16,95 $.
Samuel Champagne, 35 ans, est transsexuel et homosexuel.
Il est préoccupé par l’absence de littérature où lui et ses pairs, particulièrement à l’adolescence, peuvent se reconnaître. Ce vide
le stimule dans son écriture et sa recherche; sa thèse de doctorat porte sur la thématique du placard en littérature. 
Champagne a publié trois romans avec des thématiques LGBTQ+
en trame de fond; chacun met en scène un adolescent fréquentant le secondaire ou le cégep. Le plus récent de ces romans s’intitule Antonin (après Adam et James, tous aux Éditions de Mortagne).
À la veille de ses 6 ans, Antonin est abandonné par sa mère, puis battu par son père qui déguerpit aussi. Il est adopté par des parents affectueux qui ont déjà un fils plus jeune et sourd. Antonin est
le narrateur du roman et a 17 ans. Doué en dessin, il a un coup
de foudre lorsque William vient poser dans un cours de portrait d’un nu.
Les deux garçons se rencontrent. « Il me veut, moi. Je lui plais,
moi. Mais je vais le décevoir, c’est sûr », se dit Antonin qui a peur de tout. William ne sait rien des familles de son nouvel ami,
la biologique et l’adoptive. Antonin refuse d’en parler par peur qu’on cherche la tare.
Au sujet de sa mère biologique, l’adolescent se demande constamment ce qu’il a bien pu faire pour qu’elle ait arrêté de l’aimer. Il voudrait savoir pourquoi elle est partie. Et maintenant, Antonin souhaite que William lui dise qu’il ne va pas le laisser.
Il a aussi l’impression d’être en train de perdre ses amis d’école
qui lui reprochent de s’enfermer, de s’isoler.
Samuel Champagne excelle dans l’art de montrer comment un ado peut être persuadé de ne pas pouvoir jouir et d’une famille et d’un amant différent de la norme. Il décrit à merveille comme Antonin imagine que ses parents et son frère vont se sentir trahis s’il leur
dit ne pas être heureux comme ils le croient, s’il avoue qu’il est vraiment différent. L’auteur montre comment William tente
par tous les moyens de faire comprendre à son chum qu’il ne peut pas continuer à vivre comme ça.
Avec ce roman, Samuel Champagne aborde de plein fouet
la question du trouble de stress post-traumatique. On assiste à
des cauchemars, à des flashbacks de culpabilité, à des moments douloureux de dépression, d’anxiété, de faible estime de soi,
à des sentiments de peur constante, de culpabilité, d’hypervigilance et d’isolement. Cela conduit à une tentative de suicide.
Antonin avale plein de pilules avec des rasades de vodka.
Il s’effondre, une ambulance le conduit à l’hôpital. Lorsqu’il reprend connaissance, il constate à quel point il a tout gâché, blessé tout
le monde. « Je suis encore dans le même bateau, coincé entre qui
je suis et qui ils croient tous que je suis. Pire ! Maintenant, ils savent qu’il y a quelque chose qui cloche… »
L’adolescent sera suivi par un psy et parviendra à faire ce qu’on
lui demande : remplacer les mauvais souvenirs par des bons.
« Le problème, c’est que les souvenirs difficiles sont gros et lourds, et les joyeux, petits et légers. Il m’en faudra plusieurs pour cacher un seul mauvais souvenir. »
Samuel Champagne construit son intrigue un peu comme un polar. Son personnage met du temps à découvrir les indices, à reconnaître qu’il a le droit d’être aimé pour tout ce qu’il est. « Je suis le passé et je suis le présent et je suis le futur. »
Comme Antonin est un artiste, l’auteur fait vibrer cette corde
avec brio. « Je me suis sculpté en forme de tout ce que les autres voulaient. J’ai tenté de me forcer à adopter telle ou telle identité, pour leur plaire. Mais ma sculpture, elle a reçu trop de coups,
elle est tombée. Et je me suis fracassé en mille morceaux.
C’est à moi de choisir quels morceaux ramasser pour me reconstruire. »
Antonin choisit de révéler sa vraie identité, sa vraie orientation, d’abord à son frère, puis à son meilleur ami, enfin à ses parents.
« – Ils savent tout. – Comment tu te sens ? – Vivant… »
Collectif, Poèmes de la résistance,  sous la direction d'Andrée Lacelle, Sudbury, Éditions Prise de parole, 2019, 110 pages.
Trente-sept poètes unissent leurs voix dans Poèmes de la résistance pour dénoncer « les coupes cinglantes du gouvernement Ford
et son indifférence inqualifiable face à la réalité franco-ontarienne ». Ils et elles ont répondu à l’appel d’Andrée Lacelle, jusqu’à tout récemment poète lauréate de la Ville d’Ottawa.
Dans l’introduction intitulée Dire la lumière de notre colère, Andrée Lacelle écrit que « le poème, c’est l’acte d’être au monde à part entière, au plus intime de notre vie comme au sein de notre collectivité ». Puis elle ajoute que « toute poésie est résistance
et maîtresse des lieux, car elle occupe la langue et le langage. (…) Lucide, le poème cherche à dire l’histoire de nos histoires. »
Jean Marc Dalpé ouvre la marche de cette résistance dans la première partie du recueil intitulée Cohésion en rappelant que c’est loin d’être la première fois : déportation des Acadiens, soulèvement
des Métis, crise scolaire de Sturgeon Falls, SOS Montfort. « Mais nous sommes toujours là / Aux aguets et en beau joualvère / Le Verbe effilé et l’œil vif ».
Un jeune poète, François Baril Pelletier, enchaîne pour dire que nous sommes 600 000 en marche et non en agonie ou en effritement. « Nous résistons en corps / ni la tempête ni le tremblement ne nous effraient (…) / Nous sommes levés vivants ».
Dans la deuxième partie, Sentiment, Blaise Ndala n’appelle à son secours « ni Champlain ni le champagne / ni la Vierge ni le Viagra / ma fierté est une sainte putain / qui sucera jusqu’à plus soif /
le fleuve boueux de ton mépris ».
La section suivante, Matériaux, donne la parole à Éric Charlebois, entre autres, qui devient le président du Regroupement des électriciens poètes de l’Ontario francophone et francophile,
le REPOFF. « Je suis l’ohm de la situation / l’ohmbudsman /
de la résistance électrique / et du bilinguisme en conduction ».
Sylvie Bérard souligne que les parcours de notre langue sont multiples de la 401 à la 117 à la 108. « Entre Belleville et Sault-Sainte-Marie / entre Rivière-des-Français et Chenail Écarté /
Les lieux-dits espoirs zigzaguent entre les / défenses quand ils essaient de parler / des sens tenaces / Je ne réside pas dans
le passé mais dans l’espace ».
Pierre Raphaël Pelletier ouvre la section Tenir tête, ouvre les voies d’un impérissable avenir, même au milieu des aliénations perpétrées par les autorités au pouvoir : « Nous nous insurgeons / Nous crions notre colère incendiaire / Nous refusons de nous soumettre / à ces tyrans qui veulent à la fois / posséder la planète / et assassiner nos libertés ».
Pour Hédi Bouraoui, ce n’est pas Que la lumière soit, mais que
la résistance soit ! Il faut à tout prix « Résister au Bull-Ford nous privant de notre langue / Et l’envoyer paître dans les orties des harangues ! »
La dernière section, Temps, permet notamment à David Ménard de parsemer son poème de jalons historiques et de clamer haut et fort une suite qui se laissait déjà présager : « vaincre un petit petit homme qui se prend pour un roi… / monnaie courante pour nous, habitants blancs, verts / et de toutes les couleurs ».
Le mot de la fin revient à Andrée Lacelle qui rappelle que la langue est une vigie, une bouée, une boussole, que la poésie s’évertue non seulement à rayonner mais à nous rassembler : « Déjouons novembre noir / Place à la lumière / Vive ».
Le collectif de Poèmes de la résistance comprend Angèle Bassolé, Sylvie Bérard, Jean Boisjoli, Hédi Bouraoui, Frédérique Champagne, Nicole V. Champeau, André Charlebois, Éric Charlebois, Tina Charlebois, Margaret Michèle Cook, Antoine Côté Legault, Sonia-Sophie Courdeau, Jean Marc Dalpé, Thierry Dimanche, Daniel Groleau Landry, Brigitte Haentjens, Andrée Lacelle, Gilles Lacombe, Chloé LaDuchesse, Clara Lagacé, Gilles Latour, Louis Patrick Leroux, David Ménard, Blaise Ndala, Gabriel Osson, Michel Ouellette, Catherine Parayre, François B. Pelletier, Pierre Raphaël Pelletier, Stefan Psenak, Pierrot Ross-Tremblay, Paul Ruban, Paul Savoie, Elsie Suréna, Véronique Sylvain, Michel Thérien et Lélia Young.
J’espère que ce recueil sera admissible au Prix littéraire Trillium même si certains collaborateurs résident au Québec. Il mérite aussi le Prix du Gouverneur général.


Elliot Page, Pageboy, autoportrait traduit de l’anglais par Marie Brazilier, Paris, Éditions Kero, 2023, 288 pages, 34,95 $.
La personnalité canadienne trans la plus connue est sans conteste Elliot Page, né Ellen Page en 1987 en Nouvelle-Écosse. Page a connu
une ascension fulgurante au sein de l’industrie du cinéma. Il raconte son parcours dans un autoportrait intitulé Pageboy.
Même si Page a été fille et lesbienne avant de devenir trans, tout l’autoportrait est écrit au masculin : « j’étais subjugué, envoûté ». C’est à titre d’Ellen Page qu’il a eu une nomination aux Oscars comme meilleure actrice dans la comédie dramatique Juno (2007).
Avec le succès de Juno, Page est fortement invité par les profes-sionnels du cinéma à cacher son identité queer. Sinon, « ça me desservirait, on me proposerait moins de rôles. C’était pour mon bien. Alors j’ai porté des robes, mis du maquillage. »
Page sait, cependant, que son succès repose sur sa capacité à ignorer sa différence et à renier son identité profonde. « Je taisais sans cesse la vérité de peur d’être banni, mais j’étais déprimé, piégé dans une mascarade lamentable. »
Dès l’âge de six ans, Ellen avait demandé à sa mère si elle pouvait être un garçon. « Non, chérie, tu es une fille, mais tu peux faire tout ce que font les garçons. » Six ans plus tard, la puberté la changera en un personnage qu’elle ne veut pas jouer.
À 28 ans, Page fait son « coming out lesbien ». Il explique comment Hollywood ne comprend pas la complexité d’une sortie du placard, « la multitude des secrets enfouis que cela induit. Hollywood est insensible aux conséquences de son fonctionnement. »
Page note qu’il lui a fallu dix ans avant de pouvoir aborder
la question de genre. Le sujet était trop sensible. Il lui fallait prendre le temps de s’écouter. « J’ai dû atteindre le moment où, poussé à bout, je n’ai plus eu le choix. »
Elliot écrit qu’il n’a jamais été une fille, qu’il ne sera jamais
une femme. C’est dans un cabinet de psy qu’il passe de l’impossibilité d’assumer son homosexualité à un sentiment de perplexité et de colère « face à toute la merde que j’avais dû encaisser pendant si longtemps, parce que cacher mon identité queer était considéré comme le statu quo, et ma douleur comme une conséquence naturelle ».
La dysphorie de genre le préoccupe au plus haut point et il finit
par embrasser à bras-le-corps sa transidentité. À 33 ans, il subit une opération pour se faire retirer les seins. Le 1er décembre 2020, Page fait son coming out trans et non binaire, précisant son choix d’utiliser le prénom Elliot et d’être désigné par le pronom masculin il. En mars 2021, Page devient la première personne ouvertement trans à faire la une du magazine Time.
Je note, en passant, que la mère de Page était bilingue et enseignait le français. Elliot lui reproche de ne pas lui avoir parlé français durant son enfance, mais avoue que les langues n’étaient pas
son fort.
Dans ce récit intimiste, d’une grande sensibilité, Elliot Page nous fait part de ses réflexions sur l’enfance, l’amour, le sexe et l’identité.
À travers des moments sombres ou joyeux, il se livre avec sincérité et justesse dans un autoportrait singulier et bouleversant.
Danielle Carrière-Paris, Rose-Aimée Bélanger à l’ombre des chuchoteuses, biographie, Sudbury, Prise de parole, 2023, 136 pages, 36,95 $.
La sculptrice franco-ontarienne ayant connu le plus fulgurant succès demeure sans contredit Rose-Aimée Bélanger, du Nord-Est ontarien. Or, son parcours demeurait quasi inconnu jusqu’à
ce que Danielle Carrière-Paris nous le révèle avec brio dans Rose-Aimée Bélanger à l’ombre
des chuchoteuses
.
La première exposition de cette artiste a lieu dans la Galerie McGugan, à Hamilton, en 1982. Elle a 59 ans. Ses œuvres seront par la suite surtout en montre dans des institutions du Québec et de l’Ontario.
La production de Rose-Aimée Bélanger reflète « une liberté,
une plénitude, une sérénité, l’appréciation du moment présent,
le bonheur de vivre sans complexe, un appétit assumé pour
les plaisirs petits et grands ».
Aux antipodes de la plupart des femmes qu’elle représente dans
ses œuvres, Rose-Aimée Bélanger est toute menue et d’apparence fragile. Elle a aujourd’hui 99 ans.
Bienveillante, attentionnée, enjouée et attentive, cette mère de famille « n’est pas de nature à dorloter ses enfants ou à leur manifester
de la tendresse physique ». Son mari, Laurent Bélanger, est un pilier
de la communauté du Témiscamingue ontarien; il est entrepreneur, conseiller scolaire, organisateur politique, juge de paix (et admirateur du talent de son épouse).
Les personnages féminins et masculins
qui peuplent l’imaginaire de Rose-Aimée Bélanger sont inspirées de ses observations quotidiennes, des membres de sa famille ainsi que des gens du voisinage « rencontrés au hasard pendant qu’ils vaquent à leurs activités journalières ».
À 52 ans, lorsque presque tous les enfants ont quitté le foyer familial, l’artiste se tourne vers l’art. Elle façonne d’abord la terre cuite, le grès, l’argile, puis découvre le bronze.
C’est vers 1995 que ses sculptures jusqu’alors filiformes deviennent de plus en plus arrondies. Le grès cède au bronze, matériau que se marie parfaitement à la rondeur de nouvelles créations. « Je veux exploiter toutes les facettes du volume. Avec le temps, mes personnages doivent, tout en devenant de plus en plus imposants, devenir de plus en plus gracieux et sensuels. En fait, je cherche l’équilibre, entre fragilité et rondeurs. »
La sculpture Les chuchoteuses (en page couverture) a été installée dans le Vieux-Montréal en 2006. Cette œuvre de huit cents livres est la plus photographiée par les touristes. « Des quelques trois cent quinze œuvres d’art publiques réparties sur tout l’île, elle compte parmi les huit créations les plus souvent citées comme étant emblématique de Montréal. »
Rose-Aimée Bélanger n’a jamais voulu faire des présentations dans les écoles, de parler de son art aux élèves. « Pour elle, si tu voulais faire de l’art, il fallait juste que tu le fasses et que tu le fasses tous les jours. Il n’y a pas de recette magique. »
Elle n’était pas non plus intéressée à donner des cours privés.
Elle ne se voyait pas comme une pédagogue. À son avis,
« la personne qui souhaite entreprendre une création artistique
doit trouver par elle-même sa propre façon d’y arriver ».
Danielle Carrière-Paris conclut cette biographie fort bien documentée en affirmant que « Rose-Aimée Bélanger, sereine et résiliente, ne conserve que de meilleurs souvenirs de sa vie,
au cours de laquelle elle a bercé ses enfants, épaulé son époux et caressé l’argile, parce que qu’avec les temps tous les souvenirs sont beaux, et comme le dit si bien Voltaire, ce qui touche le cœur se grave dans la mémoire. »
L’ouvrage comprend des photos d’une vingtaine d’œuvres,
une chronologie de la vie de Rose-Aimée Bélanger, une chronologie de ses expositions, une liste des collections publiques qui ont ses œuvres et une bibliographie exhaustive.
Patrick Doucet, Le Crépuscule du désir ? Comprendre
la sexualité des adultes vieillissants
, essai, Montréal, Éditions Trécarré, 2022, 240 pages, 29,95 $.
C’est bien connu que la vie sexuelle apporte une meilleure santé physique et psychologique. Or, la société, les médias entre autres,
en font un sujet tabou chez les personnes âgées, « on ne souhaite pas la voir ! » Et si certains aînés s’y intéressent, on juge cela anormal. Voilà un constat formulé par Patrick Doucet dans 
Le Crépuscule du désir ? Comprendre la sexualité des adultes vieillissants.
Doucet trouve important de défaire l’idée que les « vieux » et
les « vieilles » n’aiment rien autant que de jouer au golf ou tricoter. Il reconnaît cependant que « de plus en plus d’adultes vieillissants sont moins actifs sexuellement, mais précise que le désir sexuel ne diminue pas toujours avec le seul vieillissement. D’autres facteurs entrent en jeu : ménopause, andropause, problèmes de santé physique et mentale, apparence, difficultés conjugales, médicaments.
Au Canada, 90 % de la population âgée de 65 ans et plus prend
en moyenne cinq médicaments par jour. Quant à l’apparence,
cela préoccupe surtout les femmes hétérosexuelles et homosexuelles, ainsi que les hommes homosexuels plus que
les hétérosexuels.
Plusieurs établissements désapprouvent les comportements sexuels entre adultes consentants non mariés. Le personnel les sépare,
les empêche d’être seuls dans une chambre ou les rapporte à leur famille.
L’auteur raconte que sa grand-mère, âgée de 80 ans et atteinte d’une dégénérescence cognitive modérée, a développé une idylle avec un autre résident de 85 ans. La direction a aussitôt contacté
la fille pour lui dire que sa mère « devait mettre un terme à
ses agissements inconvenants ».
« Après sa longue et triste vie maritale auprès d’un homme insensible et dominant, une autre autorité, aussi insensible et dominante, s’assurait maintenant de priver ma grand-mère
de quelque plaisir légitime jusqu’à la toute fin. »
Il est vrai que certains centres fournissent des chambres privées pour des moments d’intimité lorsqu’un membre d’un couple n’est pas résident, « mais seulement aux couples mariés légalement
et manifestement hétérosexuels ».
Doucet note que « les rapports homosexuels sont encore moins bien vus, de même que les personnes homosexuelles par
les résidents, mais aussi par des infirmiers, des infirmières,
des médecins et des psychologues, lesquels peuvent manifester « de l’hostilité, de la condescendance, de l’embarras ou de
la pitié et éviter les contacts physiques ».
L’ouvrage nous apprend que dans l’industrie de la pornographie
au Japon, on voit de plus en plus des films qui mettent en scène
des acteurs et des actrices plus âgés. On estime que la « Silver porn » occupe environ 20 % de la part du marché de
la pornographie en général. Je note, en passant, qu’il existe
un site international de rencontres homosexuelles intitulé Silver Daddies.
Preuve que les gens âgés sont sexuellement actifs, l’incidence
des infections transmises sexuellement est en hause au sein de cette population selon une étude. Plusieurs raisons expliquent
cette tendance : diminution de l’usage des préservatifs, sites
de rencontres, voyages à l’étranger, tests de dépistages rarement recommandés par les intervenants.
La sexualité chez les personnes vieillissantes fait l’objet de constats colorés. Selon le sexologue William Master, « en vieillissant, vous
ne pouvez pas courir autour du pâté de maisons comme lorsque vous aviez 18 ans, mais vous pouvez toujours avoir du plaisir à marcher ». À 93 ans, Janette Bertrand ajoute : « C’est plus pareil,
c’est bon pareil. »
Une veuve affirme avoir eu un copain plus attentif et plus dévoué que son défunt mari; « c’est ainsi qu’elle a connu son premier orgasme à… 79 ans ». Une autre signale qu’elle a eu son premier massage érotique le jour de son 70e anniversaire : « cela m’a montré que j’étais toujours une femme pleinement sexuelle et fonctionnelle, prête à sortit de ce cocon qu’est le deuil pour commencer à vivre de nouveau […], pour réintégrer le monde ».
Essai très fouillé, Le Crépuscule du désir ? comprend
une bibliographie de 123 ouvrages et pas moins de 602 notes
de références.
Nita Prose, La Femme de chambre, roman traduit
de l’anglais par Estelle Roudet, Paris, Éditions Calmann-Lévy, 2022, 432 pages, 24,95 $.
« La discrétion est ma devise ! Un service invisible, c’est mon objectif. » Ainsi s’exprime la narratrice et protagoniste du roman
La Femme de chambre de Nita Rose. Le jeune Molly, comme dans Molly Maid, est payée pour se taire et redonner aux chambres leur perfection initiale. Or, l’hôtel cinq étoiles cache bien des secrets et
il s’y passe des choses infâmes.
Avec un nom comme Regency Grand, l’endroit affiche luxe et splendeur. Molly est une jeune femme de chambre naïve qui n’a aucune idée à quel point les actes peuvent être violents dans le monde réel. Elle a été élevée par sa grand-mère et ne sait jamais
ce qui peut l’attendre au tournant, « que ce soit un homme mort
ou votre prochain rendez-vous galant ».
L’action du roman se déroule presque entièrement en cinq jours;
le lieu demeure inconnu, pas d’indices sur la ville ou le pays.
La référence à Molly Maid peut laisser croire qu’il s’agit du Canada, où l’entreprise a été créée en 1979, ou des États-Unis. L’autrice est canadienne.
Un jour, la femme de chambre découvre le richissime monsieur Black mort dans son lit. Mêlée malgré elle à cette étrange affaire
de meurtre, Molly va mener sa propre enquête, aidée de quelques précieux collègues et amis.
L’architecture du roman est plutôt compliquée. Nombreux sont
les retours en arrière dans la vie monotone de Molly. Sa grand-mère est décédée depuis plusieurs mois, mais ses pensées inondent celles de Molly. Et il faut plus de 150 pages entre la découverte
du cadavre et le début de l’enquête par la police.
Molly est utilisée comme un pion dans le meurtre de M. Black.
En une journée, elle passe d’employée modèle, discrète, solitaire et zélée à personne difficile, distante, tordue et pire encore. Plein de souvenirs d’enfance refont surfaces, ce qui donne lieu à certaines longueurs.
Tel que mentionnée plus haut, les pensées de la grand-mère abondent. Voici quelques exemples de ces idées, principes ou maximes : « Les gens sont un mystère impossible à résoudre.
Tout ira bien à la fin, et si tout ne vas pas bien, ce n’est pas la fin.
Il n’y a rien que tu puisses faire si ce n’est de ton mieux Lève-toi, ma fille, et brille de tous tes feux ! »
L’autrice Nita Prose est une éditrice basée à Toronto et La Femme
de chambre
est son premier roman. Elle excelle dans l’art
de décrire le coté psychologique de ses personnages, un peu au compte-gouttes.
La Femme de chambre mêle subtilement intrigue criminelle et romantique. Tout est en nuances et sous-entendus. On a l’impression que la romancière nous tend des pièges pour nous garder en alerte.
Nancy Vickers, Capharnaüm, roman avec la collaboration de Gloria Escomel, Ottawa, Éditions David, coll. Indociles, 2022, 234 pages, 23,95 $.
Le trouble d’accumulation compulsive (hoarder) s’explique par
le fait que les objets (ou animaux) ne déçoivent jamais, ne font pas
de mal, contrairement aux humains qui n’apportent que « déception
et isolement ». Voilà ce que nous apprend en surface Capharnaüm, quatorzième ouvrage de Nancy Vickers. Elle explore avec brio
la dynamique et la psychologie de ce trouble appelé aussi
syndrome de Diogène.
Narratrice du roman, Elsa accumule sans cesse des objets inutiles. Une autre personne souffre du syndrome de Noé puisqu’elle adopte toujours plus d’animaux. Et une autre encore collectionne des choses qui lui montrent la beauté de la mort (nécrophilie). Sans oublier cette musicienne qui entretient une relation amoureuse avec son violoncelle.
À l’exception du mari d’Elsa, qui collection-nait des livres et qui meurt très tôt dans l’histoire, tous les personnages sont des femmes. Capharnaüm est une histoire “fameusement drôle, émouvante, voire pathétique”, selon Gloria Escomel, la collaboratrice de Nancy Vickers pour ce livre. La couverture s’explique par ce commentaire d’Elsa : « Je suis la maman-araignée dans la toile amoureuse de ses enfants-objets. »
Lors d’une entrevue menée par Bible urbaine, Nancy Vickers avoue qu’elle a toujours été fascinée par les accumulateurs compulsifs (hoarders). « J’en connaissais plusieurs, dont une femme dans
mon quartier où la Ville est venue vider sa maison trois fois.
Des histoires d’horreur ! Je voulais explorer le côté psychologique des hoarders et des personnes qui aiment les objets et ne veulent pas s’en défaire. »
Sans être un récit personnel, Capharnaüm renferme plusieurs détails autobiogra-phiques. Tout comme l’autrice, Elsa est une arachnophile, soit une personne qui aime les araignées. Elsa achète tous les objets qu’elle peut trouver en forme de corbeau, Or, j’étais avec Nancy lorsqu’elle a acheté un corbeau en métal, qui figure maintenant
à l’entrée de sa maison à Ottawa. De plus, elle décide d’inclure Marilyn Monroe dans son roman après avoir pris connaissance
d’un ouvrage que je lui ai offert sur les poèmes, écrits intimes et lettres de la star sex-symbol.
Elsa achète une voiture Mini Cooper Countryman, exactement comme celle de Nancy. L’autrice donne le nom de Mini-Chérie à
ce véhicule hermaphrodite et écrit que la pédale de l’accélérateur est son pénis, tandis que la pédale pour freiner est son vagin.
Elsa ne peut pas entretenir une relation avec les humains, seulement avec les objets qui, selon elle, ont des yeux et une âme. « Ainsi, j’évite le pire, la déception de ne pas être acceptée, le rejet ou l’incapacité de l’autre à m’aimer. »
Dès qu’un nouvel objet entre chez-elle, il capte toute son attention; cela dure quelque temps, puis Elsa a envie d’autre chose « pour combler le vide qui se creuse infernalement en moi ». N’empêche que les objets la séduisent, leur charme s’infiltrant dans son sang. « J’aime les objets d’un amour presque sensuel […], je projette une âme dans tous ces objets ».
Encore une fois, Nancy Vickers signe un roman déjanté et fait preuve d’une imagination débridée, sa marque de commerce.
Yanick Villedieu, Le Deuil et la Lumière : une histoire du sida, essai, Montréal, Éditions du Boréal, 2021, 352 pages, 32,95 $.
L’histoire de l’humanité est parsemée de pandémies : peste, syphilis, choléra, grippe espagnole, tuberculose, malaria, etc. Le sida nous rappelle que la litanie n’est pas terminée, souligne Yanick Villedieu, journaliste spécialisé en science et en médecine, dans un magistral essai intitulé Le Deuil et la Lumière : une histoire du sida.
L’auteur a suivi les dix-neuf premières conférences internationales sur le sida, de 1985 à 2012, et a mené des entrevues sur le terrain aux quatre coins du globe. En plus de la maladie et de la mort,
il a côtoyé « la grandeur de la solidarité humaine, la sourde force de l’espoir et l’inépuisable beauté du désir de vivre ».
L’acte de naissance du sida – une notice de 45 lignes dans Morbidity and Mortality Weekly Report – est signé le 5 juin 1981 par une équipe de médecins américains. Le 27 juillet 1982, la maladie reçoit son nom définitif en anglais, AIDS, traduit par SIDA (syndrome d’immunodéficience acquise). En 1986, le virus dont sont infectés
les sidéens est appelé VIH (virus de l’immunodéficience humaine).
La maladie touche d’abord lourdement la communauté homo-sexuelle, les usagers de drogues injectables, les travailleurs
et travailleuses du sexe et les hémophiles. Certains gays hyperactifs, lit-on, ont « jusqu’à une vingtaine de partenaire par semaine »;
ils rêvent de baiser la planète. Mais en quelques années, le sida s’étend à tous, hommes et femmes, homos, hétéros et bisexuels, riches et pauvres, en Amérique comme en Afrique, en Europe comme en Asie.
La science et la médecine tardent à trouver un remède, un vaccin. Des campagnes sur les vertus du « sexe latex » se mettent en branle. Avec la pénicilline et la pilule contraceptive, le préservatif avait pris un coup de vieux. Le sida le remet en avant-plan.
Cette nouvelle maladie est un drame immense fait de souffrances
et de deuils. C’est aussi « la marque du génie humain dans ce qu’il a de plus noble, de plus lumineux ». L’auteur cite le journaliste Georges Hébert Germain qui a l’impression non seulement que
le sida « détruit le système immunitaire de l’organisme humain, mais qu’il perturbe aussi tout le système immunitaire social ».
En 1987, le sida devient la première maladie dont on n’ait jamais parlé à l’Assemblée générale des Nations unies. En 1988, le Sommet mondial des ministres de la Santé réunit le plus grand nombre de
ces représentants gouvernementaux qu’aucune maladie ne l’avait jamais fait.
Promiscuité et multiplication constituent un terrain fertile pour l’émergence de l’épidémie. « Dans les villes africaines, 
la surpopulation va de pair avec la surcopulation. » Pourtant,
en 2000, le président de l’Afrique du Sud, Thabo Mbeki, met
en doute la réalité même du sida dans son pays. Résultat : plus
de 330 000 vies fauchées et 35 000 naissances de bébés porteurs du VIH.
La maladie soulève non seulement « des problèmes scientifiques
et médicaux, mais aussi des problèmes de société, notamment
des questions en matière de droits de la personne, de lutte contre
les préjugés et contre la discrimination ». Elle donne naissance
à une solidarité inédite entre scientifiques et activistes, entre organismes de recherche et organismes communautaires.
La pandémie a des allures de raz-de-marée. Mais il faudra attendre quinze ans avant qu’un traitement mette le virus en échec :
la trithérapie. Or, 95 % de l’argent pour les traitements est dépensé dans les pays du Nord, alors que 95 % des malades sont dans
les pays du Sud.
Selon une fiche d’information 2021 de l’ONUSIDA, la maladie a infecté de 79 à 110 millions de personnes dans le monde depuis
le début de la pandémie. Au moins 27 millions d’entre elles, peut-être même près de 48 millions, en sont mortes.
Larry Tremblay, Tableau final de l’amour, roman, Saguenay, Éditions La Peuplade, 2021, 216 pages, 21,95 $.
Francis Bacon (1909-1992) est un peintre britannique reconnu pour la violence, la cruauté et la tragédie de ses portraits. Larry Tremblay s’est inspiré de la vie de cet artiste pour écrire le roman Tableau final de l’amour. Bacon est le narrateur et il s’adresse à son amant sans jamais mentionner son nom.
Dès le premier chapitre, un petit voleur inexpérimenté s’introduit
en pleine nuit dans l’atelier de Bacon. En le découvrant, le truand attaque l’artiste et l’intrusion se termine par des ébats intenses. Tout au long du roman, le narrateur retrace les errances de la relation tumultueuse de ces deux hommes, principalement à Londres mais aussi à Paris et Rome.
Le peintre cherche constamment à profiter du corps du jeune homme pour le fourrer dans sa peinture. « Ta chair faisait du théâtre, elle jouait à la viande sur ma toile. » Il désire le peindre « comme s’il s’agissait d’un acte purement sexuel ».
On assiste à plusieurs scènes orageuses où Bacon est roué de coups. Cela l’aide « à peindre le visage, le sexe, puis leur inévitable confusion, puis fusion jouissive ». Il aime la fureur de son jeune truand. Il aime abuser de son corps à coups de pinceaux.
Le romancier note deux ou trois fois que Francis Bacon était attiré par les hommes mûrs, costauds, virils, plus difficiles à aborder, qu’il rencontrait dans les ruelles sombres et potentiellement dangereuses.
Il aimait draguer des hétéros, car cela affolait son désir et décuplait son plaisir.
Quelques chapitres portent sur la brève relation que Bacon a eu avec un jeune artiste rencontré à New York. Il l’invite à séjourner avec lui à Tanger, là où il a jadis été « accueilli comme de la chair fraîche dans les bars de pédés ».
Pour le narrateur, il est impossible de déceler, dans un acte sexuel, la différence entre souffrance et jouissance. « Peut-être étais-je ainsi fait que je ne pouvais aimer sans cruauté et être aimé sans violence ? » Un baiser est plus violent qu’un viol.
Au dire de Francis Bacon, l’art n’appartient pas au domaine de l’éthique. Il se nourrit de vérité et cela n’a rien à voir avec le mal,
le bien, le bonheur, le malheur. Selon l’artiste, il n’y a toujours eu qu’une seule chose à peindre : le corps et son cri. D’un tableau à
un autre, il déambule dans l’anatomie déformée, lacunaire, défaillante du sujet.
Larry Tremblay illustre bien comment, dans les portraits peints par Francis Bacon, les traits du visage sont toujours violentés, exacerbés, distordus, ni tout à fait féminins ni tout à fait masculins.
La personne devient primitive, brute, moins humaine, plus animale.
L’auteur est connu pour son style direct, voire cru. Il peut aussi être poétique, comme dans cette description d’un French kiss : « nous nous embrassions, nos langues s’interrogeaient, se répondaient ».
Le romancier décrit ainsi à quoi se résume le legs artistique de Bacon : « J’avais toujours peint de la viande : je m’étais acharné à faire déborder du corps humain sa part d’animalité, à exhiber
le spasme de sa sexualité entravée. J’avais mis en scène, d’un tableau à l’autre, l’absurdité de la condition humaine, son désespoir,
sa cruauté, et l’absence de toute éternité salvatrice. »
John Boyne, Il n’est pire aveugle, roman traduit de l’anglais par Sophie Aslanides, Paris, Éditions JC Lattès, 2021, 416 pages, 34,95 $.
Les mots « prêtres » et « pédophilie » ont fait couler beaucoup d’encre. C’est le sujet du roman Il n’est pire aveugle, de John Boyne. L’action se déroule en Irlande, mais il s’agit d’un roman aussi intime qu’universel.
Les seize chapitres ont chacun pour titre une année entre 1964 et 2013, mais pas en ordre chronologique, plutôt pêle-mêle. Je préfère les romans qui ont un début, un milieu et une fin, mais il semble que ce ne soit plus à la mode.
Le personnage principal et narrateur est Odran Yates. Né en 1953,
il entre au grand séminaire en 1973, à une époque où les prêtres sont très respectés en Irlande. Que s’est-il passé pour que, quarante plus tard, les rues de Dublin soient envahiesde manifestants scandant « VIREZ-LES ! » ?
À 10 ans, Odran se fait dire par sa mère qu’il a été choisi : « Tu as la vocation pour devenir prêtre. » À cet âge-là, l’enfant croit tout
ce que sa mère lui dit. Il entre donc au séminaire à 17 ans, en même temps que Tom Cardle, second personnage important et ami proche d’Odran.
L’auteur étoffe son roman en incluant des séjours en Norvège et
en Italie. Ainsi, Odran est envoyé à Rome pour sa dernière année
de théologie et pour une tâche secrète. Il est choisi pour apporter
le thé ou le lait chaud au pape en fin de soirée et pour le réveiller le matin. Son séjour de neuf mois coïncide avec le passage de Paul VI, Jean-Paul I et Jean-Paul II. Le séminariste manque une seule fois de se présenter à la chambre à coucher papale, et c’est le soir où Jean-Paul I est « assassiné ».
Ordonné prêtre à Rome, Odran Yates est nommé aumônier, prof
et bibliothécaire dans un collège de garçons. Il adore la sécurité de cet emploi pendant vingt-cinq ans, puis son évêque décide de
le nommer vicaire dans une paroisse. Il va commencer à se poser des questions, sur lui-même et sur son ami de longue date.
Cet ami, Tom Cardle, est muté dans onze paroisses sur une période de vingt-cinq ans. Chaque fois, des garçons se plaignent
des agissements du curé. Cinq cas sont retenus pour que Cardle
soit finalement accusé de pédophilie dans un retentissant procès
au début des années 2000.
Bien qu’Odran connaisse Tom depuis le séminaire, il ne l’a jamais soupçonné d’un penchant pour les garçons. Ou a-t-il préféré regarder ailleurs, dans le confort de ses fonctions en marge de
la vie active dans une paroisse… ?
Nous assistons non pas au procès d’un seul homme, mais plutôt à celui de l’Église catholique à tous les niveaux : paroisses, diocèses, curie romaine et papauté. Au sujet de Jean-Paul II et de Benoît XVI, on lit que « ces deux criminels sont les pires raclures que la terre ait portées ».   
Le public voit en Tom Cardle un salopard de pédophile. Les mots pédophile et prêtre deviennent irrémédiablement liés, « formant une paire tout à fait impie ». Le romancier explique comment
un prêtre ne pouvait plus animer une réunion avec les enfants
de chœur sans qu’un parent soit présent « pour s’assurer qu’on
ne se mettait pas à les tripoter ». On n’hésite pas à traiter un prêtre de pédophile à voix haute.
John Boyne peint le portrait d’une Irlande pourrie jusqu’à la moelle et fait dire à un personnage que ce sont les prêtres qui ont détruit le pays. En réalité, c’est quand un drame rouvre les blessures du passé que nous sommes forcés d’affronter les démons qui ravagent une institution de l’intérieur. Du coup, nous interrogeons notre propre complicité.                                                 
Guillaume Musso, Skidamarink, roman, Paris, Éditions Calmann-Lévy, 2020, 448 pages, 29,95 $.
Dix-sept romans ont permis à Guillaume Musso de conquérir
des dizaines de millions de lecteurs à travers le monde.
Son premier roman, Skidamarink (2001), était jusqu’à tout récemment introuvable. Calmann-Lévy vient de le rééditer,
ce sera certainement un de mes coups de cœur en 2020.
Auteur le plus lu en France pour la dixième année consécutive, Guillaume Musso signe ici un roman engagé, militant même,
« un Da Vinci Code avant l’heure », selon Le Figaro littéraire. Dan Brown a publié son célèbre roman en 2003, donc deux ans après Skidamarink. Il ne l’avait sans doute pas lu, mais Musso lui a damé le pion en termes d’énigme et de codes.
Alors que le vol de La Joconde fait la une de tous les journaux, quatre personnes qui ne se connaissent pas reçoivent un fragment découpé du célèbre tableau de Léonard de Vinci, accompagné
d’un mystérieux rendez-vous dans une chapelle de Toscane.
Une citation est jointe à chaque fragment.
Les quatre personnes sont un chercheur en biologie d’origine russe, un ancien avocat d’origine française, une directrice de ventes d’origine américaine et un jeune prêtre d’origine italienne. Ils ne se connaissent pas, mais n’ont pas le choix de résoudre ensemble une énigme guet-apens. Dès lors, leur vie prend un tournant dangereux, exaltant et sans retour.
L’action se déroule tour à tour en Toscane, en Irlande, à New York et en Islande. Le narrateur est l’ancien avocat. Les quatre citations proviennent de Victor Hugo, de John Donne, de Rabelais et d’Alexis de Tocqueville. Elles font respectivement allusion au libéralisme économique, à l’individualisme, à la science et à la démocratie.
Guillaume Musso excelle dans l’art de camper des personnages complexes et de tisser des rebondissements compliqués. Ce n’est pas parce que les quatre protagonistes se rencontrent dans une chapelle qu’ils sont en odeur de sainteté, y compris le prêtre, bien au contraire. Sans révéler les tenants et aboutissants de l’intrigue, je dois dire que ces trois hommes et une femme échappent parfois
à la mort dans des conditions « arrangées avec le gars des vues ».
Je signale, en passant, qu’il se boit beaucoup d’alcool dans ce roman. Le vin est décrit comme « une boisson pour l’âme : équilibrée, charnue, moelleuse et veloutée ». Quand le jeune prêtre sert son vin de messe personnel, comme il aime à le dire, c’est un chianti classico de 1988. À Noël, le chercheur en biologie reçoit trois bouteilles de château-margaux ayant appartenu à Conon Doyle, rien de moins.
Si les quatre protagonistes ne se connaissaient pas avant d’être convoqués à un mystérieux rendez-vous, les gens derrière cette diabolique manipulation connaissaient, eux, des événements qu’aucun des quatre n’avait jamais ébruités. Qui plus est, ils ont tous eu une relation avec la même femme à des époques différentes.
L’auteur montre comment un meurtre peut créer un lien indestructible, voire rendre des gens solidaires. Il fait remarquer que le chiffre 4 n’est que « le signe de la potentialité et de l’expectative, avant que ne s’opère la manifestation, qui vient avec
le 5, notre cinquième élément, notre cinquième sens ».
Skidamarink demeure, en définitive, une quête de la vérité qui force trois hommes et une femme à remonter loin, du côté des déchirures mal cicatrisées qui structuraient leurs vies.

Nicole V. Champeau, Niagara… la voie qui y mène, essai, Ottawa, Éditions David, hors collection, 2020, 440 pages, 29,95 $.
Dans un essai envoûtant intitulé Niagara… la voie qui y mène, Nicole V. Champeau reconstruit l’histoire et la géographie de cet endroit mythique qui, avant d’être la destination touristique qu’on connaît, fut un haut lieu sacré pour les Premières Nations et une cathédrale vivante du patrimoine français.
Les lieux ont porté l’empreinte des Nations Neutres, puis des Iroquois. Il y a 117 variations du toponyme Niagara, qui vont d’Onigara à Saut di Niagara en passant par Ungiara, Yaugree, Nyahgaah, Ny’-Euch-Gau et T-Gah-Sgoh’-So-Wa-Nah, pour
n’en nommer que quelques-uns. Chacune évoque une dimension de sacré, de mystère ou de puissance.
L’auteure note que les Français nous ont laissé de magnifiques cartes, des comptes rendus, des relations, des mémoires de guerre, des précieuses indications et, plus encore, un ferment d’humanité. Louis Hennepin parle d’une « prodigieuse cascade […] un abyme [qu’on n’ose] regarder qu’en frémissant ». Cavelier de la Salle écrit que « les eaux escument et bouillonnent d’une manière affreuse ».
Nicole V. Champeau continue en citant intégralement des noms bien connus comme le baron de Lahontan, Xavier de Charlevoix, Chateaubriand et Alexis de Tocqueville. Chacun nous donne rendez-vous dans l’abrupt. Tous nous disent « que moult possibles y sont et que, d’une certaine manière, ils continuent de déjouer
les oracles ».
Un chapitre complet est consacré au Fort Niagara et à son commandant Pierre Pouchot. Il entretenait d’excellentes relations avec les Amérindiens et, ce qui est moins connu, était homme de théâtre à ses heures. Il présentait des pièces pour divertir les soldats mobilisés au Fort Niagara. En 1757, il a écrit et fait jouer Le Vieillard dupé, première création dramatique en terre ontarienne. C’est donc un homme du Niagara qui porte le titre de premier dramaturge franco-ontarien.
Les Anglais ont souvent supplanté les toponymes français qui,
eux, avaient parfois effacé les toponymes amérindiens. Dans les années 1820 et jusqu’à la fin du XIXe siècle, le Niagara a éveillé
la convoitise, devenant dès lors objet de spéculations immobilière
et commerciale. Certains rêvent d’en faire une propriété privée, rien de moins! Puis, au nom de l’hydroélectricité, d’autres proposent
de faire disparaître les chutes sous un super barrage.
D’un côté, les industriels clament vouloir « mettre au service
du bien commun le magnifique cadeau fait par le Créateur ».
De l’autre côté, artistes, visionnaires et amants de la nature claironnent que « le Niagara n’appartenait ni aux Canadiens,
ni aux Américains, mais à l’humanité tout entière ». En mars 1906, la International Waterways Commission en arrive à un compromis : la génératrice d’hydro-électricité Sir Adam Beck No. 1 (1917) et
No. 2 (1954).
Nicole V. Champeau dose son récit de données tour à tour historiques, technologiques et poétiques. Elle cite le président de l’International Niagara Falls Commission, Lord Kelvin qui souhaitait que les enfants de nos enfants ne voient jamais la cataracte du Niagara. Puis elle évoque comment « explorateurs et pèlerins partis ensemble [sont] réunis depuis un lieu pareil à un incompréhensible infini ».
La poète-essayiste a revisité Niagara en 2016, ce qui l’amène
à conclure son ouvrage en ces termes : « Niagara, obstinément, inlassablement, nous rappelait que tout passe. / Niagara, chaos lumineux, à la fois symbole et plaidoyer. / La beauté parfois fait mal. / Niagara se présentait encore
et plus que jamais en récit de voyage. / Niagara / L’ailleurs et
le meilleur d’ici. / Lacryma mortis. »
Marie-Christine Chartier, Le sommeil des loutres, roman, Montréal, Éditions Hurtubise, 2020, 200 pages, 21,95 $.
Les relations sont généralement plus compliquées qu’on peut se l’imaginer au départ. Voilà, en bref, le thème du tout nouveau roman
de Marie-Christine Chartier, Le sommeil des loutres. On y découvre que « les cages faites à même nos bras laissent toujours des trous assez grands pour que l’autre s’y glisse ».
Ce roman à deux voix met en scène Jake, célèbre acteur de 21 ans « au futur incertain, qui traîne derrière lui une liste de mauvaises décisions », et Émilie, étudiante de 18 ans, perçue par Jake « comme une bouffée d’air frais dans mon univers d’asphyxié ».
Jake a toujours aimé jouer des rôles à la télé ou au cinéma. Ironiquement, en cours de route, il a oublié qui il était. Depuis la mort de son frère, l’état de base de Jake est la tristesse; tout ce qui s’élève au-dessus de ça demeure un bonus. Pour le moment, sa devise pourrait être « La vie s’occupe de nous mettre dans la marde, qu’on le veuille ou pas. »
En apparence, Émilie et Jake n’ont rien en commun, sauf leurs blessures béantes au cœur et leur travail à la pizzéria du coin.
Et pourtant, au fil de leurs soirées de placotage, une relation précieuse se tissera entre eux, empreinte de l’espoir que l’aube revient toujours, même après la plus sombre des nuits.
Jake est beau physiquement, mais ce sont ses mots qui résonnent dans la tête d’Émilie. « L’intelligence m’a toujours attirée autant que la beauté, et ça adonne que Jake possède les deux. » Ce dernier aime être la raison derrière les éclats de rire d’Émilie.
Le style de Marie-Christine Chartier est coloré et finement ciselé. À titre d’exemple, elle fait dire à Jake « c’est comme si j’étais une vigne et qu’Émilie était le tuteur autour duquel je m’étais enroulé pour grandir ». Ça lui permet de s’ancrer, de ne plus s’égarer.
La romancière excelle dans l’art de démontrer comment le regard de quelqu’un peut suspendre le temps, et d’illustrer comment une des beautés dans l’amitié consiste à deviner certaines choses tout seul, toute seule. Elle fait dire à Émilie : « il sait qui je suis et je sais qui il est, et il n’y a pas de place pour de l’adulation entre nous. C’est ce qui se passe quand on comprend que l’autre est tout aussi imparfait que nous. »
Le sommeil des loutres est un roman où nous savourons à quel point c’est une chance d’avoir des humains de qualité dans notre vie. L’amour de l’autre est sublime dans une relation, mais lui faire confiance demeure un choix que nous renouvelons chaque jour.


Frédéric Martel, Sodoma, enquête au cœur du Vatican, essai, Paris, Éditions Robert Laffont, 2019, 632 pages.
Il est impossible de chiffrer le nombre exact d’homosexuels
au Vatican parce qu’ils ont diverses teintes, « cinquante nuances
de gay », écrit Frédéric Martel, sociologue, journaliste et auteur
de Sodoma - Enquête au cœur du Vatican.
Le terme « homosexuel » comprend, ici, des pratiquants gays,
des inclinations homophiles, des gens dans le placard, des versatiles et des « questioning ». Selon Martel, « ils représentent la grande majorité » du personnel, au point où cela « dépasse l’entendement ». Toutes tendances confondues, ce serait autour
de 80%.
L’essai Sodoma - Enquête au cœur du Vatican, de Frédéric Martel, est paru en février simultanément en huit langues et dans une vingtaine de pays. Cette enquête sur l’homosexualité a duré plus
de quatre ans, au cours desquels l’auteur-sociologue-journaliste a interrogé près de 1 500 personnes au Vatican et dans trente pays; parmi elles, on trouve 41 cardinaux, 52 évêques et monsignori,
45 nonces apostoliques et ambassadeurs étrangers, 11 gardes suisses et plus de 200 prêtres et séminaristes.
Un des prêtres interviewés a lancé à Martel : « Benvenuto a Sodoma ! » (Bienvenue à Sodome !) C’est une référence aux villes de Sodome et Gomorrhe dans la Genèse (Ancien Testament). Le viol que les habitants de Sodome projetaient avait un caractère homo-sexuel, d’où le titre Sodoma.
Martel examine la présence homosexuelle, pour ne pas dire l’omniprésence, sous quatre pontificats: Paul VI (1963-1978), Jean-Paul II (1978-2005), Benoît XVI (2005-2013) et François (depuis 2013). Il y dégage « Les 13 Règles de Sodoma » que voici :
1. Le sacerdoce a longtemps été l’échappatoire idéale pour les jeunes homosexuels. L’homosexualité est l’une des clés de leur vocation.
2. L’homosexualité s’étend à mesure que l’on s’approche du saint
des saints; il y a de plus en plus d’homosexuels lorsqu’on monte dans la hiérarchie catholique. Dans le collège cardinalice et au Vatican, le processus préférentiel est abouti: l’homosexualité devient la règle, l’hétérosexualité l’exception.
3. Plus un prélat est véhément contre les gays, plus son obsession homophobe est forte, plus il a des chances d’être insincère et sa véhémence de nous cacher quelque chose.
4. Plus un prélat est pro-gay, moins il est susceptible d’être gay; plus un prélat est homophobe, plus il y a de probabilité qu’il soit homosexuel.
5. Les rumeurs, les médisances, les règlements de comptes,
la vengeance, le harcèlement sexuel sont fréquents au saint-siège.
La question gay est l’un des ressorts principaux de ces intrigues.
6. Derrière la majorité des affaires d’abus sexuels se trouvent des prêtres et des évêques qui ont protégé les agresseurs en raison de leur propre homosexualité et par peur qu’elle puisse être révélée
en cas de scandale. La culture du secret qui était nécessaire pour maintenir le silence sur la forte prévalence de l’homosexualité dans l’Église a permis aux abus sexuels d’être cachés et aux prédateurs d’agir.
7. Les cardinaux, les évêques et les prêtres les plus gay-friendly,
et ceux qui parlent peu de la question homosexuelle, sont généralement hétérosexuels.
8. Dans la prostitution à Rome entre les prêtres et les escorts arabes, deux misères sexuelles s’accouplent: la frustration sexuelle abyssale des prêtres catholiques trouve son écho dans la contrainte de l’islam, qui rend difficile pour un jeune musulman les actes hétérosexuels hors mariage.
9. Les homophiles du Vatican évoluent généralement de la chasteté vers l’homosexualité; les homosexuels n’y font jamais le chemin
en marche arrière en redevenant homophiles.
10. Les prêtres et les théologiens homosexuels sont beaucoup plus enclins à imposer le célibat des prêtres que leurs coreligionnaires hétérosexuels. Ils sont volontaristes et très soucieux de faire respecter cette consigne de chasteté, pourtant intrinsèquement contre-nature.
11. La majorité des nonces sont homosexuels mais leur diplomatie est essentiellement homophobe. Ils dénoncent ce qu’ils sont. Quant aux cardinaux, aux évêques et aux prêtres, plus ils voyagent,
plus ils deviennent suspects.
12. Les rumeurs colportées sur l’homosexualité d’un cardinal ou d’un prélat sont souvent le fait d’homosexuels, eux-mêmes dans
le placard, qui attaquent ainsi leurs opposants libéraux. Ce sont
des armes essentielles utilisées au Vatican contre les gays par
des gays.
13. Ne cherchez pas quels sont les compagnons des cardinaux et
des évêques; demandez à leurs secrétaires, leurs assistants ou leurs protégés, et à leur réaction vous connaîtrez la vérité.